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Société - Éducation

Délocalisation du Collège Louise Wegmann de Bchémoun : un choc, mais aussi une nécessité

L’institution éducative francophone laïque est confrontée à une chute libre du nombre d’élèves dans son site de 30 000 mètres carrés.

Délocalisation du Collège Louise Wegmann de Bchémoun : un choc, mais aussi une nécessité

Le campus de Jouret el-Ballout, dit Joura. Photo Collège Louise Wegmann

La communauté éducative est sous le choc. L’un des établissements scolaires privés francophones les plus prestigieux du Liban, le Collège Louise Wegmann, suspend provisoirement les activités de son campus de Bchémoun dès la rentrée de septembre 2022, et délocalisera ses élèves, enseignants et personnels vers ses deux autres sites de Joura (Jouret el-Ballout) et Badaro. La décision est tombée lundi 7 mars. Elle a été partagée par la direction de l’établissement avec l’ensemble des parents, enseignants et encadrants, sous forme de circulaire. Les élèves de Bchémoun du petit jardin à la classe de neuvième seront ainsi intégrés au campus de Badaro. Ceux de la huitième à la quatrième seront transférés à Joura. Et enfin, ceux de la troisième à la terminale resteront au collège de Badaro. Les raisons de cette décision ? Les crises que vit le Liban et qui n’épargnent aucun secteur depuis trois ans, selon le communiqué, en référence à l’effondrement de la monnaie locale et la paupérisation de la population, qui viennent se greffer sur une crise politique, sécuritaire et sanitaire en temps de Covid-19.

Le campus de Bchémoun, un espace vert et fleuri qui suscite déjà des réflexions nostalgiques. Mais aussi un gouffre financier dans le contexte actuel. Photo Collège Louise Wegmann

Une seule inscription au petit jardin

Le Collège Louise Wegmann n’échappe pas à la règle. Son campus de Bchémoun est largement déficitaire en raison « d’une baisse de 50 % des effectifs d’élèves dans les petites classes ». Une diminution qui serait liée, dit-on dans l’entourage de la communauté, à la multiplication des incidents sécuritaires sur les routes menant à Bchémoun, mais aussi au départ à l’étranger de nombreuses familles, après l’explosion au port de Beyrouth en août 2020. Les pertes financières, elles, sont « difficilement récupérables à court et moyen terme », malgré la perception d’une partie des écolages en dollars frais. À titre d’exemple, Bchémoun scolarisait 620 élèves en 2017. Aujourd’hui, le campus n’en compte que 365, dont une seule inscription au petit jardin pour la nouvelle année. « Lorsque j’ai pris conscience de l’ampleur des départs, en cours d’année pour certains élèves, j’ai compris qu’on ne pouvait plus continuer de la sorte », révèle à L’Orient-Le Jour la directrice adjointe du campus de Bchémoun, Raya Alameddine. Par souci de transparence, mais aussi pour tenter d’amortir le choc, la direction de l’établissement a organisé des réunions explicatives destinées aux enseignants, au personnel et aux parents. Les responsables ont aussi répondu aux questions des élèves, dans l’espoir de dédramatiser la situation. Mais l’inquiétude est grande, surtout de la part des parents habitant trop loin de Joura, à savoir à Bchémoun, Aramoun, Choueifate, Saïda… Savoir leurs enfants sur les routes, si loin de chez eux, pourrait les pousser à reconsidérer leur inscription pour la prochaine rentrée scolaire. Surtout en cette période d’insécurité qui se traduit parfois par des rixes armées entre clans adverses ou des fermetures d’axes routiers. Certains cherchent déjà des alternatives. D’autres jurent leurs grands dieux qu’ils suivront l’institution là où elle ira.

Le bâtiment des classes complémentaires à Badaro, chez les sœurs franciscaines. Photo Collège Louise Wegmann

Tous les scénarios étudiés

« La décision est douloureuse. Elle a fait l’effet d’une bombe pour nombre de parents d’élèves qui la vivent comme une catastrophe. Mais nous n’avions pas le choix. Continuer avec les trois campus dans l’état actuel des choses n’était plus viable », explique Nicole Fayad, membre du comité financier du conseil d’administration du Collège Louise Wegmann, s’exprimant au nom de la directrice générale de l’établissement, Tiba Geha. Confrontée à un profond déficit financier, la direction, placée en cellule de crise depuis plusieurs mois, avait recouru à une expertise pour envisager les solutions. Elle avait aussi lancé un appel à ses anciens élèves. « Nous avons envisagé tous les scénarios possibles, ajoute Mme Fayad. Nous avons dû nous rendre à l’évidence : le site de Bchémoun, qui s’étend sur 30 000 mètres carrés, est un gouffre financier. » Une réalité qui s’est imposée depuis l’adoption en 2017 de la loi 46 accordant aux enseignants d’importants réajustements salariaux. La nécessité de réduire les coûts de fonctionnement des écoles privées francophones a même fait l’objet d’un récent rapport d’Euromena Consulting, réalisé avec l’Agence française de développement et l’ambassade de France. « Nos sources de revenus étant limitées aux écolages et au soutien des anciens pour des projets ponctuels, la seule solution pour l’instant est de délocaliser les effectifs du campus de Bchémoun. » Une délocalisation qui, espère-t-elle, « est provisoire », sachant que le terrain reste la propriété de l’institution. L’histoire du Collège Louise Wegmann, établissement éducatif laïc fondé en 1965, est d’ailleurs ponctuée de déplacements durant la guerre civile. La région de Bchémoun, où le collège a construit son premier site en 1971 à proximité de l’aéroport de Beyrouth, a été particulièrement sinistrée. « L’institution s’est alors déplacée à l’École communautaire américaine (American Community School, ACS), au Collège protestant français, à Haigazian, à Brummana High School ou ailleurs, avant de rouvrir le site et de créer en 1992 le site de Jouret el-Ballout », se souvient Mme Fayad.

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Après avoir annoncé sa décision, le souci principal de la direction est maintenant d’organiser le processus, afin d’en limiter les impacts négatifs. « Malheureusement, l’école de proximité, nous ne pouvons plus l’assurer. Nous faisons à présent notre possible pour ne pas perdre des élèves ou des enseignants », regrette la responsable. Parmi les mesures envisagées, un aménagement des transports scolaires afin de raccourcir les temps de trajet et une aide aux transports à l’intention des plus lésés. Perpétuer sa mission du vivre-ensemble et du brassage d’élèves de toutes les communautés religieuses est aussi au cœur des préoccupations de la direction. « Notre souci est de former à l’excellence des citoyens éclairés, dans le respect de la mixité communautaire et sociale, rappelle Joumana Youssevitch, responsable pédagogique du primaire. Cet objectif guidera toujours notre mission, comme cela a toujours été le cas. »

L’entrée du collège de Bchémoun. Photo Collège Louise Wegmann

Des parents bouleversés

Plusieurs jours après avoir été informés, les membres de la famille éducative du collège sont encore sous le choc. S’ils expriment leur frustration, leur colère parfois, c’est à l’unanimité qu’ils décrivent ce sentiment d’appartenance qui les lie à l’institution. D’abord les enseignants qui, outre leur attachement affectif à ce lieu emblématique au sein duquel ils ont éduqué des générations d’élèves, s’inquiètent aussi pour leur emploi. « Durant deux jours, j’étais dans le déni, cela ne pouvait avoir lieu. Mais après avoir écouté les explications de la direction, je réalise que l’institution est attachée à ses enseignants et à ses élèves. Elle ne va pas nous lâcher », se rassure Maya Ghida, enseignante d’arabe. « Je commence à peine à digérer la nouvelle, décrit Rania Turkieh, professeure de français. Je veux voir les choses positivement, même si je suis triste. » Triste de ne plus revoir ses élèves, ses collègues, son équipe, triste aussi « de quitter ce site magnifique, avec sa verdure et sa forêt ».

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Conscients des difficultés financières de l’institution, les parents de leur côté ne pensaient pas que les mesures seraient si drastiques. Pour les plus lésés, la décision de fermer le campus de Bchémoun passe mal. Leurs enfants devront faire tous les jours le trajet entre la localité et Joura, voire Saïda pour certains. « Pourquoi sacrifier le campus de Bchémoun, chargé d’histoire, plutôt qu’un autre? demande une mère sous couvert d’anonymat. Pourquoi n’ont-ils pas plutôt lancé une levée de fonds, vu que les frais de scolarité sont déjà suffisamment élevés ? » Des questions qui fusent, même si elle dit « comprendre la fermeture d’un site en forte perte d’élèves ». Alissar Rahhal, mère de quatre enfants dont trois scolarisés à Bchémoun, est tout autant « bouleversée ». Cette ancienne élève du campus n’aurait jamais pensé qu’un jour elle devrait jeter l’éponge. « Mes enfants y sont si bien pris en charge sur le plan pédagogique, et nous formons une si belle famille », dit-elle. Sauf que le facteur sécurité l’emporte désormais sur les décisions familiales. « Le fait de savoir les enfants sur les routes dans ce contexte de profonde insécurité inquiète mon époux », ajoute-t-elle. Le couple envisage donc, sans grande conviction, d’inscrire les enfants dans un autre établissement de la capitale, à proximité de leur lieu de résidence. Ces réserves, les parents n’ont pas manqué de les formuler lors des réunions organisées par la direction, parfois houleuses, ponctuées de larmes. « Certains parents ont vécu la décision comme une injustice, commente la présidente du comité de parents d’élèves, Carla Maksoud. Mais après avoir écouté la version de la direction, ils ont pris conscience qu’il n’y avait pas d’autre choix. » « Avons-nous une autre option que celle de suivre cette institution qui inculque à nos enfants une éducation d’excellence et les valeurs du vivre-ensemble, et qui se bat aujourd’hui contre la crise économique ? » demande M. Fawaz, père d’élèves. Une chose est sûre, la décision bénéficie du soutien de l’Association des anciens élèves du Collège Louise Wegmann. « Il est parfois nécessaire de prendre des décisions difficiles et impopulaires, pour le bien de l’institution », résume Nadim Ghantous, son président, rappelant la capacité d’adaptation de l’établissement aux situations les plus extrêmes.

La communauté éducative est sous le choc. L’un des établissements scolaires privés francophones les plus prestigieux du Liban, le Collège Louise Wegmann, suspend provisoirement les activités de son campus de Bchémoun dès la rentrée de septembre 2022, et délocalisera ses élèves, enseignants et personnels vers ses deux autres sites de Joura (Jouret el-Ballout) et Badaro. La...

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CLW Badaro, n’a meme pas un Parking pour les Profs et les Parents qui viennent récupérer leurs enfants a la sortie de L’ecole C’etait deja Un Enfer pour rentrer chez soi a badaro Cela Va devenir INFERNAL Dans la ruelle De Badaro Rue du Musée

Rahal ferial / Henri Joseph Khoury

18 h 05, le 15 mars 2022

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Commentaires (9)

  • CLW Badaro, n’a meme pas un Parking pour les Profs et les Parents qui viennent récupérer leurs enfants a la sortie de L’ecole C’etait deja Un Enfer pour rentrer chez soi a badaro Cela Va devenir INFERNAL Dans la ruelle De Badaro Rue du Musée

    Rahal ferial / Henri Joseph Khoury

    18 h 05, le 15 mars 2022

  • Dans ce trou perdu de la nature, la culture face aux ignorants modernes cherche d 'autres cieux plus cléments .

    Antoine Sabbagha

    19 h 23, le 14 mars 2022

  • Le Hezbollah est entrain d’atteindre ses objectif pas pas. Après avoir détruit le secteur touristique avec ses guerres répétitives et ses attaques contre les pays du Golfe, après avoir laminé les institutions étatiques, détruit le secteur bancaire, voila maintenant le système éducatif qui se délétère et fond comme neige au soleil. Plus le peuple est ignorant et pauvre plus il est contrôlable. C'est le résultat d'une politique bien huilé qui consiste a tout faire pour changer l’identité et l'avenir du pays en poussant les souverainistes, en particuliers les chrétiens. a l’émigration ou l'exil, pour imposer sa wilayet el Fakih. Merci GB !

    Pierre Christo Hadjigeorgiou

    13 h 53, le 14 mars 2022

  • Lorsqu’on veut tuer un pays, on procède d’abord par détruire ce qu’il a de plus cher, à savoir sa culture et ses élites. Ils exécutent leur projet minutieusement sans être inquiétés pendant que les citoyens subissent les conséquences sans que les sanctions ne tombent ni qu’une aide de la part des dignitaires religieux de tout bord ne viennent à leurs secours alors qu’ils ont des réserves d’argent et on se demande pour quelle raison ils ne l’utilisent pas pour sauver le système éducatif, eux qui n’ont pas d’héritiers (en principe) et sont censés être charitables. Ils crient au désastre mais ne daignent pas débloquer leurs fortunes pour sauver le peuple de cette marche vers l’enfer. Il y a comme un hic.

    Sissi zayyat

    12 h 20, le 14 mars 2022

  • Réduire les effectifs est incontestablement la meilleure solution pour faire face à la crise qui touche tous les établissements scolaires sans exception. Les commentaires prétendant qu’une école reste “intouchable” et faisant des comparaisons absurdes n’ont pas leur place sous cet article. Personne n’est à l’abri de la crise, mais tout le monde a la capacité de s’adapter. Et c’est justement ce qu’a fait le Collège Louise Wegmann.

    Souaiby Nadyn

    11 h 16, le 14 mars 2022

  • Welcome back home. Habitant du Metn, je n'aurais JAMAIS envoyé mes enfants a Bchamoun ou je ne sais quel autre trou perdu.

    Lebinlon

    10 h 11, le 14 mars 2022

  • En réalité, les frais de scolarité du CLW ont toujours été trop chers. Pas étonnant que les élèves se barrent. Jamhour a choisi, très vite, de modérer les frais sans faire le moindre compromis sur le niveau pédagogique et ça marche.

    Marionet

    09 h 41, le 14 mars 2022

  • Seul jamhour est intouchable

    Robert Moumdjian

    03 h 38, le 14 mars 2022

  • Seul élément positif au milieu de cette nouvelle bouleversante : Le mot "Provisoire" ! L'espoir de voir le Collège rouvrir ses portes n'est donc pas mort !

    Chucri Abboud

    02 h 34, le 14 mars 2022

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