Précairement circonscrite sur le terrain, la guerre d’Ukraine n’en revêt pas moins, déjà, une envergure mondiale, ne serait-ce que par les nombreuses retombées politiques, économiques et autres qu’elle a sur le gros de la planète. Universel, ce conflit l’est surtout par la richesse et la diversité des enseignements que peut, et doit, en tirer l’humanité tout entière, peuples et États, à commencer par les plus nantis et les mieux armés de ces derniers, qui se hissent dès lors au rang de puissances ou même de superpuissances.
Vietnam pour les uns, Afghanistan pour les uns et les autres, sans parler de bourbiers plus récents : de ces titans aux pieds d’argile se trouve confirmée une fois de plus la propension à les mettre, ces gros pieds, là où il ne fallait pas. Amplement analysées et commentées ont été les ahurissantes lacunes techniques et psychologiques qui ont marqué une opération spéciale tenue pour une promenade militaire arpentée la fleur au fusil, mais qui menace sérieusement de tourner à l’enlisement. En bref, tout s’est passé comme si le Kremlin s’était laissé aveugler par deux fausses, mensongères, trompeuses certitudes.
La première est la longue tradition de passivité occidentale face aux coups de force russes opérés en divers points du globe. Méprisables, aux yeux d’un Vladimir Poutine qui a fait ses classes au KGB, sont ces démocraties ligotées par leurs principes et valeurs déclarés, empêtrées dans leurs scrupules car exagérément vulnérables aux fractures survenant au sein de leurs opinions publiques : toutes tares inconnues, ou parfaitement contrôlées et maîtrisées, en Russie. À la longue cependant, le seuil de tolérance ne pouvait qu’être enfoncé. Mais encore fallait-il que l’on vît les Ukrainiens eux-mêmes interdire aux Occidentaux toute velléité d’inaction, dès le moment où ils faisaient montre d’une capacité de résistance aussi farouche qu’insoupçonnée. Ainsi volait en éclats la seconde de ces traîtresses présomptions russes. Ainsi, et par la grâce du plus improbable des chefs qu’elle pouvait se choisir, une nation brutalement agressée se gagnait une aube d’espérance, en même temps que le respect et l’admiration du monde.
Volodymyr Zelensky n’est certes pas le premier comédien parvenu au faîte du pouvoir. Au pays du showbiz, l’acteur de séries B Ronald Reagan figure au nombre des grands présidents, honneur que se voit vivement contester l’animateur de téléréalité Donald Trump. Incroyable néanmoins est la métamorphose, la transfiguration qui d’une vedette du comique portée sur la bouffonnerie a fait un leader à la volonté d’acier. Car non seulement cet homme a rassemblé son peuple autour d’une même option de résistance ; non seulement a-t-il réussi à engager substantiellement à ses côtés nombre d’États de deux continents, les houspillant sans cesse pour obtenir un surcroît de matériel, notamment des chasseurs-bombardiers en sus de ces missiles portatifs qui font tout de même des ravages dans les rangs ennemis; mais Zelensky en est venu à incarner le chef qui, un peu partout dans le monde, fait rêver les peuples opprimés en demeurant inébranlablement à son poste plutôt que de le déserter pour s’abriter en lieu sûr, mais aussi en gardant en permanence le contact audiovisuel avec ses concitoyens.
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La folle guerre d’Ukraine, notre pays souffrant d’un grave déficit d’immunité ne pouvait évidemment qu’en ressentir cruellement les contrecoups de toutes sortes. Après tout, ces Russes diablement remuants sont solidement installés à nos portes, dans une Syrie qui s’est déjà invitée chez nous dans le passé et ambitionne sans doute de récidiver. Le prix de l’essence ne cesse de monter; spéculateurs, accapareurs et autres profiteurs de guerre aidant, même le secteur de l’alimentation se trouve aujourd’hui menacé par la pagaille qui règne dans les circuits officiels de ravitaillement. La vie intellectuelle n’est guère épargnée par la déglingue générale et jamais la traditionnelle exposition du livre arabe n’aura davantage mérité son nom de foire, outrageusement investie qu’elle fut par la propagande guerrière persane.
Le Liban ne manque certes pas de comédiens au pouvoir, qui tiennent bien mal leur rôle, qui mentent comme ils respirent; mais jamais ce type de chenille ne se transformera en fier et scintillant papillon. Les vouer au knout des Russes ou à la batte de baseball des Américains serait encore trop clément. Pour leur crépuscule tant attendu, c’est Gengis Khan qui, le mieux, ferait l’affaire.
Issa GORAIEB