Deriane reprend l’initiative auprès de la rue sunnite

Après la confusion qui a régné dans les milieux sunnites, suite à la décision de l’ancien Premier ministre Saad Hariri de suspendre ses activités politiques, Dar el-Fatwa est en train de reprendre l’initiative, à un peu plus de deux mois des législatives. Le siège du mufti de la République est ainsi redevenu le passage obligé pour tous les chefs politiques de la communauté, ainsi que pour les candidats et autres groupes influents dans le processus électoral. Il s’agit certes d’un phénomène habituel au Liban: lorsque les politiques peinent à mobiliser leurs bases ou lorsqu’ils sont en difficulté, c’est l’autorité religieuse communautaire qui prend le relais. Mais dans le cas de Dar el-Fatwa, il y a un peu plus que cela. Selon des sources du Conseil chérié de la communauté, rattaché à Dar el-Fatwa après le retrait de Saad Hariri, il y a eu un moment de flottement dans l’entourage du mufti de la République Abdellatif Deriane, lui-même considéré comme un proche du courant du Futur et de son chef. L’idée de pousser au boycott des élections, en solidarité avec Hariri, pour aboutir à leur report a même été envisagée et discutée dans les couloirs de Dar el-Fatwa, surtout après l’élan de sympathie qui s’est manifesté par les visites de plusieurs responsables au siège du mufti de la République.

Mais très vite, des messages sont parvenus à Dar el-Fatwa pour demander au mufti de ne prendre aucune initiative de ce genre. Les conseils donnés par des personnalités proches des Saoudiens se sont multipliés et suggéraient d’attendre un peu avant d’agir pour que la situation se précise. Le mufti Deriane s’est donc rapproché dans un premier temps du Premier ministre Nagib Mikati, qui représente la plus haute fonction de la communauté sunnite au sein de l’État. Mais ni M. Mikati ni les autres personnalités sunnites n’avaient encore pris de décision claire au sujet des élections.

Il a donc fallu attendre le retour d’Arabie d’une personnalité influente au sein de Dar el-Fatwa pour apprendre que les États du Golfe et la communauté internationale en général tiennent absolument à ce que les élections législatives aient lieu à la date prévue. Il ne faut donc, pour eux, qu’il n’y ait aucun prétexte qui puisse justifier leur report, d’autant que des rumeurs ont commencé à circuler sur le fait qu’un boycott des électeurs sunnites pourrait entraîner un tel ajournement. C’est pourquoi, ajoute-t-on de même source, Dar el-Fatwa et le mufti Deriane en particulier ont été chargés de pousser la base sunnite à participer massivement aux élections et même à parrainer ces dernières.

Depuis que cette mission a été confiée à Dar el-Fatwa, le défilé des personnalités sunnites désireuses de se présenter – ou de renoncer à participer – aux élections se poursuit auprès du mufti Deriane. De même, des délégations des associations sunnites se succèdent chez lui pour tâter le terrain et échanger avec lui des informations sur le cours des élections et sur le nombre de leurs électeurs respectifs. Dans les coulisses de Dar el-Fatwa, on affirme que le mot d’ordre du mufti est désormais d’appuyer l’ancien président du Conseil Fouad Siniora, qui devrait prendre la direction de l’opération électorale à la place de Saad Hariri en formant une liste-choc dans la circonscription de Beyrouth II, qui constitue le véritable poids sunnite dans la capitale avec six sièges pour la communauté.

D’ailleurs, la dernière initiative de l’ambassadeur saoudien Walid Boukhari, qui a contacté hier un certain nombre de personnalités sunnites pour leur présenter ses vœux à l’occasion d’une fête religieuse, a été perçue comme un encouragement saoudien direct en faveur des élections et comme l’indice d’une volonté de s’impliquer de nouveau au Liban auprès de la communauté sunnite.

En même temps, l’annonce conjointe par la France et l’Arabie de concrétiser l’idée, qui avait été lancée il y a quelques mois, de créer un fonds pour aider la population libanaise montre une volonté conjointe des deux pays de pousser vers la tenue des législatives à la date prévue, le 15 mai.

Selon les sources proches du Conseil chérié sunnite, il est donc désormais clair que le mufti doit encourager la communauté à participer aux élections indépendamment du courant du Futur. En même temps, il devrait conseiller à tous ceux qui le sondent d’appuyer Fouad Siniora, devenu le fer de lance de la communauté en l’absence de Saad Hariri. Même si M. Siniora n’a pas encore officiellement annoncé sa décision, les sources précitées estiment qu’il devrait se présenter dans la deuxième circonscription de Beyrouth, qui consacre en réalité le leadership sunnite, ou en tout cas diriger la formation des listes dans cette circonscription, et même sur tout le territoire. Selon les mêmes sources, le mufti aurait déjà donné des directives en ce sens. Reste à savoir si les cheikhs dans les régions s’y conformeront, sachant que certains se plaignent d’un laisser-aller de la part de Dar el-Fatwa qui ne s’occuperait pas vraiment d’eux et n’aurait pas procédé aux nominations nécessaires après la vacance de plusieurs postes. C’est notamment le cas au Akkar où, après l’explosion de Tleil, la grogne était montée contre Dar el-Fatwa, mais aussi dans la Békaa.