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Société - Port de Beyrouth

La démolition des silos, nécessité ou atteinte à la mémoire collective ?

Des proches de victimes dénoncent une volonté des autorités d’effacer les traces du drame qui a coûté la vie à plus de 200 personnes.

La démolition des silos, nécessité ou atteinte à la mémoire collective ?

Les silos sont devenus un symbole du drame du 4 août. Photo Mathieu Karam

Depuis la double explosion meurtrière du 4 août 2020 au port de Beyrouth, les silos à grains sont devenus un réel symbole de la catastrophe. Partiellement détruites par les déflagrations meurtrières, ces imposantes structures de 48 mètres de haut et d’une capacité de 120 000 tonnes sont aujourd’hui au centre d’une vive polémique. Leur démolition a en effet été évoquée le 8 février par le gouvernement, qui attend un rapport d’ici à fin février. Révoltées, les familles de victimes de l’explosion mettent en garde contre toute tentative « d’effacer la mémoire collective » liée à la catastrophe du 4 août 2020. Ces familles, qui souhaitent établir un mémorial au pied des silos, estiment que ce projet, désormais envisagé par les autorités, constitue une manière de supprimer les traces du drame.

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C’est dans ce contexte qu’une centaine de proches de victimes ont lancé une campagne dimanche dernier contre le démantèlement des silos, lors d’une manifestation devant le port. « Les autorités tentent de faire oublier leur crime et d’effacer ce symbole de la mémoire collective », estime William Noun, dont le frère Joe Noun, un pompier de Beyrouth, avait péri au moment des explosions. « Il faudrait garder les silos en place pour qu’on se rappelle, à chaque fois qu’on les voit, ce qui peut arriver quand de telles personnes sont au pouvoir », poursuit-il. M. Noun révèle par ailleurs à L’Orient-Le Jour que ce qui a poussé les familles à lancer l’alerte cette semaine est « un appel d’offres lancé par les autorités pour obtenir un démantèlement gratuit des silos, en échange du fer présent dans ces structures ». S’il confirme que la destruction des structures est désormais une option sérieuse, Geryès Berberi, directeur général des stocks de grains et de betterave sucrière, un organisme rattaché au ministère de l’Économie, dément pour sa part qu’un tel appel d’offres ait été envisagé. « La décision de détruire les silos a bien été prise par le gouvernement, mais les appels d’offre n’ont pas encore été lancés », assure M. Berberi à L’OLJ. Il révèle que le Koweït ou la Chine pourraient financer la construction de nouveaux silos. Les silos actuels avaient été édifiés grâce à un fonds koweïtien par la compagnie tchèque Prumstav, et inaugurés en 1970.

Risque d’effondrement ?

Geryès Berberi écarte par ailleurs toute possibilité de maintenir les silos actuels en place. « Ces réservoirs ne peuvent être rénovés, leur structure est ébranlée. Ils sont en train de pencher de près de 2 millimètres par jour. On ne sait pas quand ils pourraient s’effondrer totalement », avance ce haut fonctionnaire. Il estime par ailleurs que « les familles ont tout le droit de protester », mais que la direction du port n’a pas d’autre choix. « Malheureusement, la surface du port est étroite et nous avons besoin de chaque recoin pour le rebâtir. De plus, il nous faut absolument de nouveaux silos pour stocker des grains. Nous n’avons pas de réserves en ce moment, et s’il se passe quelque chose au niveau international et que nous ne sommes plus capables d’acheminer du blé, nous serions face à un vrai problème », ajoute-t-il.

Pour mémoire

Si les silos de Beyrouth pouvaient parler...

Pour Paul Naggear, qui a perdu sa fille Alexandra, âgée de trois ans au moment du drame, la décision du gouvernement est un véritable camouflet. « Ce régime, qui a détruit la moitié de la capitale, essaie de nous faire croire qu’il craint pour notre sécurité si les silos venaient à s’effondrer. C’est d’une impertinence ! » lance-t-il. « S’il y a vraiment danger d’effondrement comme ils le prétendent, on peut renforcer les structures qui existent déjà. Pas besoin de démolir quoi que ce soit », indique cet ingénieur. « D’ailleurs, nous ne permettrons aucune destruction et nous ne changerons pas d’avis. Nous souhaitons même édifier un mémorial sur place », ajoute-t-il d’un ton ferme. Selon Paul Naggear, le démantèlement de ces réservoirs géants ne menace pas d’altérer certaines preuves utiles à l’enquête, « ces dernières ayant été prélevées lors des premiers mois qui ont suivi le drame ». « Le vrai danger, c’est que les autorités tentent d’effacer ce qui s’est passé, tout simplement. Or nous avons besoin de connaître la vérité pour pouvoir tourner la page et faire notre deuil comme il se doit », soupire-t-il.

Les proches de victimes ont manifesté dimanche pour protester contre « une tentative d’effacer la mémoire collective ». Photo Mathieu Karam

Revendication légitime

Interrogé par notre journal sur l’importance pour les familles de victimes de maintenir les silos en place, le psychanalyste Chawki Azouri estime qu’une telle revendication est légitime, surtout que la vérité n’a toujours pas été dévoilée. « Les familles ont raison d’exiger le maintien de ces structures en place, au moins jusqu’à la publication des résultats de l’enquête », souligne le Dr Azouri.

« Si la reconstruction est entamée avant la fin de l’enquête, la pression sur les politiciens retombera, alors que les familles, elles, seront appelées à laisser tomber leurs revendications », ajoute ce spécialiste.Il estime par ailleurs que « le problème majeur des proches est de ne pas avoir pu faire leur deuil ». « Dans le deuil, la première chose que l’on éprouve est un sentiment de haine par rapport au défunt, car on estime qu’il nous a abandonnés en quelque sorte.

Dans le cas des explosions au port de Beyrouth, la haine des proches est toujours dirigée vers les tortionnaires que l’on tente d’identifier. Lorsque ces derniers seront nommés, les familles auront alors la possibilité de commencer leur deuil », dit le psychanalyste. Il insiste enfin sur « l’importance de mettre un mémorial en place, pour que les Libanais n’oublient pas ».

Depuis la double explosion meurtrière du 4 août 2020 au port de Beyrouth, les silos à grains sont devenus un réel symbole de la catastrophe. Partiellement détruites par les déflagrations meurtrières, ces imposantes structures de 48 mètres de haut et d’une capacité de 120 000 tonnes sont aujourd’hui au centre d’une vive polémique. Leur démolition a en effet été évoquée le...

commentaires (1)

Tout le monde a raison! et c'est là le preoblème. Les familles ont raison de vouloir, et même d'exiger que la mémoire ne soit pas effacée. Les autorités ont raison de vouloir construire de nouveaux silos. Par ailleurs, il est assez vraisemblable que les anciens ne dureront pas éternellement et que, affaiblis par l'explosion, ils finiront par s'écrouler un jour ou l'autre. Pourquoi ne pas construire de nouveaux silos en en faisant un monument , visible de loin, commémoratif du drame. Un concours d'artistes pourrait être lancé dans xce but.

Yves Prevost

07 h 20, le 23 février 2022

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Commentaires (1)

  • Tout le monde a raison! et c'est là le preoblème. Les familles ont raison de vouloir, et même d'exiger que la mémoire ne soit pas effacée. Les autorités ont raison de vouloir construire de nouveaux silos. Par ailleurs, il est assez vraisemblable que les anciens ne dureront pas éternellement et que, affaiblis par l'explosion, ils finiront par s'écrouler un jour ou l'autre. Pourquoi ne pas construire de nouveaux silos en en faisant un monument , visible de loin, commémoratif du drame. Un concours d'artistes pourrait être lancé dans xce but.

    Yves Prevost

    07 h 20, le 23 février 2022

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