
Un des rares portraits qui subsistent de Saad Hariri à Tarik Jdidé. « Ce sera à toi ou personne », peut-on lire sur l’affiche. Photo Mohammad Yassine
Dans le quartier sunnite de Tarik Jdidé, cela fait déjà plusieurs mois que les portraits de Saad Hariri disparaissent progressivement des ruelles, au rythme des déboires de l’ancien Premier ministre. Depuis l’annonce de son retrait de la scène politique hier, les sentiments sont mitigés parmi les habitants de ce quartier à majorité sunnite, longtemps considéré comme le fief de Saad Hariri à Beyrouth.
Dans la rue, le leader sunnite continue toutefois de jouir d’une certaine base partisane. Osman, un livreur d’une vingtaine d’années, fait partie des personnes déçues par la décision de Saad Hariri de se retirer et donc de ne pas participer aux législatives de mai 2022. « Il n’y a que lui qui me représente. Je suis convaincu qu’il aurait pu améliorer le pays et stabiliser le cours du dollar, mais on lui a mis des bâtons dans les roues, estime le jeune homme. Le leadership sunnite est fait pour lui, Tarik Jdidé lui appartient. S’il ne change pas d’avis, je boycotterai les élections », promet-il. Un avis critiqué par son ami Ahmad, qui ne comprend pas l’attachement de Osman au leader du courant du Futur. « Qui a dit qu’il n’y a que lui pour diriger la rue sunnite? Ce n’est pas vrai que le leadership de notre communauté dépend uniquement de lui », lance cet étudiant de 21 ans. Pour lui, le discours de Osman est « sentimental ». « Peu importe qui prendra sa place, pourvu qu’il puisse aider les sunnites », ajoute Ahmad. Pour lui, le richissime homme d’affaires et député sunnite Fouad Makhzoumi, rival de Saad Hariri, « peut faire l’affaire ». Malgré ces divergences d’opinion au sein de la communauté sunnite, des partisans de Saad Hariri ont bloqué en fin de journée l’une des artères principales du district de Kaskas à l’aide de pneus brûlés, en signe de colère. La voie publique au niveau de la mosquée Abdel Nasser, dans le quartier de Corniche Mazraa, a elle aussi été fermée à l’aide de bennes à ordures. Un scénario similaire s’est produit à Verdun et dans le secteur Béchara el-Khoury.
« C’est mieux pour lui »
Fady, un coiffeur pour hommes du quartier de Tarik Jdidé, a du mal à cacher sa déception après l’annonce du chef du courant du Futur. Ce partisan pur et dur de Saad Hariri se sent plus abandonné que jamais. « Bien sûr que je suis triste, parce que c’est un zaïm sunnite qui jette l’éponge. Avec son départ, plus personne ne nous représente. D’ailleurs, j’ai décidé de boycotter le scrutin », confie Fady à L’Orient-Le Jour. « Mais c’est mieux pour lui au final. Qui voudrait rester parmi ces voyous ? » reprend le coiffeur, comme pour se consoler. Un peu plus loin, des hommes du quartier discutent devant une épicerie, cigarette à la main. « Qu’il se présente ou non, quelle différence ? Je ne le suivrai pas, même s’il me donnait mille dollars », lance le propriétaire de la boutique, qui souhaite rester anonyme. « Je ne compte voter pour personne. J’ai été partisan de M. Hariri pendant un moment, pensant qu’il allait changer quelque chose, mais peine perdue. D’ailleurs, les Libanais ont d’autres occupations que la politique aujourd’hui », soutient-il.
« Toute ma famille est pro-Hariri, mais depuis les dernières élections, je soutiens Fouad Makhzoumi », confie pour sa part Jamal Hajj Hassan, qui tient une boutique adjacente à l’épicerie. « Saad Hariri est un homme bien, mais il n’est pas fait pour la politique. Les sunnites ont besoin de quelqu’un de fort. Maintenant qu’il a laissé tomber la politique, la rue sunnite est ouverte à toutes les possibilités » , analyse-t-il.
Des partisans de l’ancien Premier ministre ont brièvement bloqué la voie publique du côté de Corniche Mazraa, en réaction à son départ de la vie politique. Photo Mohammad Yassine
À Tripoli, la peur de l’extrémisme
Si les Beyrouthins sont divisés entre les nostalgiques de l’ère Hariri et les indifférents, à Tripoli, nombreux sont ceux qui se disent inquiets du devenir de la communauté sunnite. « Malgré toutes ses erreurs, Saad Hariri représente la modération politique et religieuse. Maintenant, nous craignons pour notre avenir. Nous avons peur que le Hezbollah ne prenne le pouvoir », confie Nadia Masri, résidente du quartier d’Abi Samra, à L’OLJ. Elle appelle le chef du courant du Futur « à revenir sur sa décision et à ne pas livrer les Libanais à l’inconnu » . Dans le secteur de Zahriyé, Hani el-Abed compatit pour sa part avec l’ancien Premier ministre. « Saad Hariri a été soumis à beaucoup d’injustice ; il ne mérite pas ce qu’il lui est arrivé, soupire Hani. J’aurais préféré qu’il ne fasse pas de compromis avec (le chef du Courant patriotique libre) Gebran Bassil ou le Hezbollah. Mais il a préféré le compromis à la guerre » , observe-t-il. « C’est la décision la plus juste que Saad Hariri a prise depuis des années », estime en revanche Hussein Allam, habitant du quartier de Gemmayzat. « Il est tout aussi corrompu que les autres et tout aussi responsable de la destruction du pays », ajoute-t-il. À Bab el-Tebbané, l’un des quartiers les plus pauvres de la capitale du Nord, les avis sont aussi divisés qu’ailleurs. Attablés devant un café, un groupe de jeunes disent regretter la décision de M. Hariri. « Il n’aurait pas dû claquer la porte. De tous les hommes politiques, il est sans doute celui qui est le moins responsable de nos malheurs. Ceux qui en sont responsables sont le Hezbollah et ceux qui gravitent autour du président de la République, Michel Aoun », assure un de ces jeunes, sous le couvert de l’anonymat.
Abou Ahmad, un habitant de Bab el-Tebbané qui a perdu son fils il y a quelques années dans l’un des nombreux affrontements entre sunnites de son quartier et ceux, alaouites, de Jabal Mohsen, est pour sa part satisfait de la décision de Saad Hariri. « Mon fils est mort à cause des partis et de leurs conflits insensés. J’espère que le départ de Saad Hariri pavera le chemin à d’autres départs, car tous les membres de la classe au pouvoir sont des criminels », lance-t-il.
Dans le quartier sunnite de Tarik Jdidé, cela fait déjà plusieurs mois que les portraits de Saad Hariri disparaissent progressivement des ruelles, au rythme des déboires de l’ancien Premier ministre. Depuis l’annonce de son retrait de la scène politique hier, les sentiments sont mitigés parmi les habitants de ce quartier à majorité sunnite, longtemps considéré comme le fief de Saad...
commentaires (4)
Fouad Makhzoumi sera le prochain homme fort du sunnisme au Liban .
Chucri Abboud
23 h 30, le 26 janvier 2022