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Culture - Cinéma/Entretien

À Casablanca, zoom sur les jeunes qui rappent « Haut et Fort »

À la veille de la sortie de son film « Casablanca Beats » dans différentes salles à Beyrouth, Nabil Ayouch s’est confié à « L’OLJ », décrivant son combat pour que les jeunes du Maroc élèvent leurs voix et tracent leurs voies.

À Casablanca, zoom sur les jeunes qui rappent « Haut et Fort »

Les jeunes du Maroc rappent, dansent et élèvent la voix. ©Virginie Surdej – Amine Messadi

Casablanca Beats en anglais, Aalli Saoutak en arabe et Haut et Fort en français. Trois titres qui se rejoignent pour décrire l’énergie qui anime le long métrage du réalisateur marocain Nabil Ayouch où le documentaire perce sous le genre du film musical. Inspiré par sa propre enfance, cet opus s’inscrit dans la lignée du travail d’observation et d’introspection que le réalisateur mène depuis des années sur chacun de ses films. Il a en effet vu le jour avec la participation des jeunes (issus en grande partie de milieux défavorisés) du Centre culturel « Les Étoiles de Sidi Moumen », créé par la fondation Ali Zaoua en 2014.

Qu’est-ce qui vous a incité à faire ce film ? Est-il autobiographique ?

J’ai eu envie de faire un film pour donner la parole aux jeunes. Ce désir est très lié à ma propre histoire. En effet, dans les années 80, alors que j’étais adolescent, j’ai appris à regarder et à penser le monde au Club des jeunes associatifs de Sarcelles où j’ai grandi. À travers les arts et la culture, j’ai appris à parler de moi et à aimer qui j’étais. C’est là où j’ai vu mes premiers films, mes premiers concerts, où j’ai fait du théâtre et de la chorale. C’est pourquoi j’ai eu envie de faire ce film car j’ai saisi l’impact que cette expérience a eue sur moi. D’ailleurs, c’est la raison majeure pour laquelle je suis devenu réalisateur.

Anas Basbousi, l’acteur principal de « Casablanca Beats » et animateur de la maison de la culture à Casablanca. DR

Ce centre culturel à Casablanca, qui est en quelque sorte un acteur dans le film, quelle est son histoire ? Comment est-il né ?

Quand j’ai été à Casablanca dans le quartier de Sidi Moumen pour filmer Ali Zaoua, prince de la rue en 2000 puis Les Chevaux de Dieu en 2012, je voulais laisser une trace durable dans ce quartier, cette banlieue de Casablanca qui avait été marquée au fer rouge en 2003 par les attentats terroristes. En misant sur les arts et la culture comme moyen de développement, j’ai créé la Fondation Ali Zaoua pour inspirer les centres culturels au Maroc à offrir à ces jeunes la même opportunité que j’avais eue quand j’étais enfant. Les Étoiles de Sidi Moumen ont vu le jour en 2014 et s’en sont suivies les ouvertures d’autres centres culturels de proximité à travers le Maroc : Tanger (2016), Agadir (2019), Fès (2020) et Marrakech (2021). En créant ces centres, et en réalisant aujourd’hui ce film, je voulais rendre hommage à ces lieux et à ce qu’ils m’ont donné et continuent à me donner encore aujourd’hui.

Vous avez alors fondé ce centre où l’on pratique le hip-hop, le rap, où l’on chante et danse en toute liberté. Quelle a été la réaction des parents face à la création de ce lieu ?

Comme le film le raconte, il y avait plusieurs cas de figure. Certains ont opposé une résistance et refusaient que leurs enfants fréquentent le lieu. Ils les ont même retirés de la maison de la culture alors que d’autres étaient plus tolérants. En outre, le défi était toujours plus dur pour les filles. On avait de la difficulté à les préserver mais on y est arrivé. La preuve, on était à 90 % de présence masculine pour 10 % féminine et aujourd’hui on est à 50/50.

Pour vous, l’art joue-t-il un rôle essentiel dans l’épanouissement des jeunes afin qu’ils puissent s’affirmer dans le monde arabe ?

La parole est un moyen de résistance et l’art, c’est la parole. Je suis convaincu que l’art est un des principaux moyens d’émancipation, de revendication et de résistance. Le corps est un outil de combat et de prise de pouvoir plus particulièrement pour les femmes comme le montre cette scène où les jeunes filles dansent dans la rue. C’est comme si elles arrivaient à reconquérir la liberté par le langage de leurs corps. Je pense que si on enlève ce genre de lieu (qui est une aire de liberté et d’expression) à cette jeunesse, il ne lui restera plus grand-chose comme source d’espoir.

Nabil Ayouch : « Je suis convaincu que l’art est l’un des principaux moyens d’émancipation, de revendication et de résistance. » Photo DR

Comment s’est fait le choix des acteurs ?

Dans le film, Anas Basbousi tient le rôle d’un héros mystérieux dont on ne connaît pas le passé. Il n’est pas forcément sympathique. Son aura et son charisme viennent de là. Il ne sourit pas beaucoup mais quand il le fait, il est lumineux. Il a des méthodes dures. Il ne vient pas dans cette classe pour se faire aimer mais seulement pour se faire comprendre. Il est un peu comme les héros « fordiens ». Je l’ai choisi volontairement ainsi.

Pour mémoire

« Nous sommes toutes des dangereuses »

Il n’y a pas eu vraiment de casting. Peu de temps après l’ouverture du centre, ce type de 25-26 ans est arrivé en se présentant comme un ancien rappeur. Il nous a proposé un programme, « The Positive School of Hip-Hop », des cours pour apprendre aux jeunes à s’exprimer et à parler de leur vie. C’était Anas, qui est devenu le personnage central du film. Je l’ai observé pendant un an avec ces jeunes, je l’ai vu les faire travailler, écrire, réécrire, leur donner confiance en eux. Un jour, ils ont fait un show et j’ai trouvé qu’ils étaient incroyables. Ce ne sont pas des comédiens professionnels mais ils avaient du talent et avaient des mots justes sur tout, sur l’amour, la religion, la sexualité… Alors, je me suis assis avec eux et nous avons longuement parlé. J’ai tout compris : leurs envies, leurs frustrations, leurs doutes, leurs rêves. Grâce au hip-hop, ils se sont enfin sentis écoutés.

C’est donc ma rencontre avec Anas et les cours qu’il donnait dans ce centre qui m’ont inspiré et m’ont donné envie de faire ce film où la fiction se mêle à la réalité. D’autre part, ces jeunes se sont confiés à moi, sur leur vie. J’ai rencontré leurs parents, j’ai vu où ils vivaient. Je me suis donc inspiré de ces rencontres et j’ai mélangé réel et fiction pour me rapprocher au plus près de la réalité de la banlieue.

« La parole est un moyen de résistance et l’art, c’est la parole. » DR

Comment s’est passé le tournage ?

De prime abord, j’avais écrit une histoire mais j’ai tourné ce film d’une manière particulière. Pendant un an et demi j’écrivais, je tournais, je montais, j’écrivais de nouveau pour repartir en tournage. Je voulais que la matière se transforme. C’est l’observation de ces jeunes et comment ils ont grandi qui m’a réellement inspiré. Il y a quelque chose de très positif et d’énergique dans cette jeunesse qui m’a beaucoup appris et m’a donné beaucoup d’espoir. Ce sont des jeunes qui vivent dans des conditions difficiles et malgré tout, ils arrivent à s’en sortir grâce à la parole et à l’expression de leurs corps. Finalement, je réalise combien ces centres de la culture sont mon histoire, l’histoire de ma vie et le Maroc, mon combat.

*Le film est déjà en salle depuis hier à VOX Cinemas, ABC Verdun – Achrafieh/Dbayeh, Empire Premiere et Cinemacity Beirut Souks.

Casablanca Beats en anglais, Aalli Saoutak en arabe et Haut et Fort en français. Trois titres qui se rejoignent pour décrire l’énergie qui anime le long métrage du réalisateur marocain Nabil Ayouch où le documentaire perce sous le genre du film musical. Inspiré par sa propre enfance, cet opus s’inscrit dans la lignée du travail d’observation et d’introspection que le réalisateur...
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