
La livre libanaise n’en finit plus de s’effondrer face au billet vert, l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth est paralysée, l’accord avec le Fonds monétaire international (FMI) se fait toujours attendre et les responsables au pouvoir souhaitent… de bonnes fêtes aux Libanais. Malgré quelques rebondissements politiques, l’année 2021 aura été dans la continuité de celle de 2020 puisque le Liban poursuit sa descente aux enfers. Dans ce contexte, de nombreux partis sont en difficulté, tandis que d’autres semblent au contraire se renforcer. L’Orient-Le Jour fait le bilan politique de l’année et présente les principaux enjeux, pour chacune des formations, pour 2022.
Le courant du Futur
Encore une année difficile pour le courant du Futur. Son chef de file, Saad Hariri, a été contraint en juillet dernier de renoncer à former un gouvernement, neuf mois après sa désignation par le Parlement, s’étant heurté à la rigidité du camp présidentiel tant sur la répartition des portefeuilles du cabinet que sur le vote de confiance. S’est ensuivie une période de silence pour le parti qui, bien qu’ayant participé à la désignation de Nagib Mikati au sommet de l’exécutif, n’a pas souhaité prendre part à son cabinet. Un silence rompu fin octobre, quand le parti bleu a annoncé avoir tourné la page de son « modus vivendi » avec le Hezbollah. Une annonce que l’on peut difficilement dissocier des événements de Tayouné ayant eu lieu deux semaines auparavant. Les affrontements miliciens entre des partisans du tandem chiite Amal-Hezbollah et des proches des Forces Libanaises (FL) ont permis à Samir Geagea d’émerger en héros auprès d’une partie de l’opinion publique, y compris sunnite. Affaiblissant un peu plus Saad Hariri, contesté par une partie de sa communauté qui le juge trop conciliant avec le parti de Dieu.
Le courant du Futur aborde 2022 dans le plus grand flou. La ligne politique du parti n’est pas claire, mais surtout, Saad Hariri entretient toujours le suspense quant à sa participation aux législatives de mai 2022, et même au sujet de celle de son parti. Des sources concordantes affirment que M. Hariri souhaiterait que le courant du Futur ne présente aucune liste et que ceux qui désirent briguer un mandat le fassent en tant qu’indépendants, ce que sa tante Bahia refuse catégoriquement. Si des cadres du parti ont tempéré ces informations, affirmant que le leader sunnite n’a pas encore tranché, la tâche risque d’être ardue pour M. Hariri et le paysage politique sunnite semble pour le moment effrité entre plusieurs personnalités réparties dans les grandes villes. Saad Hariri pourrait toutefois créer la surprise en annonçant sa participation au dernier moment.
Le Courant patriotique libre
L’année 2021 fut également ardue pour le Courant patriotique libre (CPL), qui a essuyé plusieurs camouflets. Le parti de Gebran Bassil n’a pas réussi à marquer des points dans plusieurs dossiers-clés, comme celui de l’audit juricomptable des comptes de la Banque du Liban (BDL), le remplacement de son gouverneur, Riad Salamé, ou la limitation du vote de la diaspora à six députés. Le courant aouniste doit également composer avec une popularité en perte de vitesse, le bilan du mandat du président de la République étant pour le moment loin d’être satisfaisant. Michel Aoun souhaiterait donc conclure son mandat en octobre prochain sur une note positive, en réalisant des percées dans des dossiers-clés comme ceux de la reprise économique et l’accord avec le FMI en particulier. Or, le boycott du Conseil des ministres par le tandem Amal-Hezbollah lui complique la tâche.
Mais c’est probablement le dossier de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth qui met le plus le parti fondé par Michel Aoun face à ses propres contradictions, les « droits des chrétiens » et l’indépendance de la justice occupant un large espace dans sa rhétorique. Or, c’est son principal allié, le Hezbollah, qui met des bâtons dans les roues du juge d’instruction Tarek Bitar. Signe de la relation compliquée entre ces deux formations, dans son discours lundi, le président Aoun ne s’est pas contenté d’attaquer le président de la Chambre. Il a également envoyé des piques en direction du parti de Dieu, en remettant la stratégie de défense nationale sur la table.
Alors que l’électorat chrétien est de plus en plus hostile au Hezbollah, le CPL devra tenter de se démarquer du parti de Dieu en 2022. Mais il ne pourra le faire que dans une moindre mesure, tant il a besoin d’une alliance avec la formation chiite pour les élections législatives. Mais aussi parce que le Hezbollah semble être le seul potentiel allié de Gebran Bassil dans sa quête vers la présidentielle. Le CPL pourrait perdre très gros en 2022, tant aux législatives qu’à la présidentielle. Mais Michel Aoun a d’ores et déjà prévenu qu’il ne quitterait pas Baabda tant qu’un successeur n’aura pas été élu.
Le Hezbollah
Ce fut décidément une mauvaise année pour le Hezbollah aussi. Le parti chiite a réussi à importer du fuel iranien, défiant les États-Unis, et a contenu la grogne populaire au sein de sa base en se substituant à l’État et en proposant une série de services, dans un Liban plombé par la crise. Mais à part cela, le Hezbollah a connu plusieurs épisodes difficiles, que ce soit à Khaldé, où il a perdu deux membres en août dans des affrontements l’opposant à des tribus arabes sunnites ; à Chouaya, où des habitants du village druze ont intercepté, en août aussi, un camion transportant un lance-roquettes utilisé par le parti pour cibler Israël ; ou enfin à Tayouné en octobre, où il a été défait par des combattants vraisemblablement proches des Forces libanaises chrétiennes.
Le parti de Dieu ne parvient, par ailleurs, pas à écarter le juge Tarek Bitar, qu’il a menacé de « déboulonnage ». Pour lui, l’enjeu est particulièrement sensible puisqu’il est accusé par une partie de l’opinion publique d’être à l’origine du stockage de plusieurs milliers de tonnes de nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth.
Au sein de sa communauté, le Hezbollah n’a, a priori, pas grand-chose à craindre pour les élections de 2022, le tandem chiite ayant imposé un glacis électoral dans les régions du Sud et de la Békaa. Le parti chiite devra toutefois trouver le bon équilibre entre ses deux alliés principaux, le CPL et Amal, qui se livrent une guerre sans merci. Si les élections ont bien lieu, le Hezbollah pourra toutefois perdre des points et se retrouver dans une Assemblée qui lui est plus hostile qu’aujourd’hui. Pour lui le risque est double : voir les FL prendre le pas sur le CPL, d’une part, et voir des leaders sunnites moins conciliants s’imposer au sein de cette communauté, d’autre part. Une situation que le Hezbollah devra gérer en parallèle aux négociations de Vienne entre les puissances occidentales et son parrain iranien pour un retour à l’accord sur le nucléaire. Si l’Iran insiste pour que la question de ses protégés au Liban, en Irak ou au Yémen soit dissociée de la question nucléaire, certaines puissances occidentales, notamment la France, l’entendent autrement.
Les Forces libanaises
Elles sont les seules à pouvoir se féliciter d’avoir passé une bonne année. Car si les Forces libanaises sont relativement restées à l’écart sur les questions économiques, les affrontements de Tayouné ont permis à Samir Geagea de se positionner en chef de fil du camp autoproclamé « souverainiste ». Tant au niveau local qu’international, cet ancien chef de guerre a réussi à marquer des points, s’attirant les éloges d’une partie de l’opinion publique chrétienne, mais aussi sunnite. Une dynamique positive qui arrive au bon moment pour les FL. Car si ce parti chrétien réussit à traduire cet élan en bons résultats électoraux, il pourrait être en position de force au moment de choisir le prochain président de la République. Toutefois, c’est au niveau des alliances que la question se compliquera pour les FL. Car les calculs électoraux pourraient imposer une alliance avec les autres formations traditionnelles comme le courant du Futur et le Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt. De quoi nuire à la crédibilité du parti au sein d’une partie de l’opinion publique.
Le Parti socialiste progressiste
Le parti de Walid Joumblatt a vécu une année plutôt calme, si ce n’est l’épisode de Chouaya. Si le PSP se positionne généralement de plus en plus dans l’opposition au Hezbollah et au président de la République, il n’a cessé d’appeler durant l’année écoulée au compromis politique, évitant toujours de prendre des chemins sans retour.
Toutefois, les prochaines élections risquent d’être compliquées pour le leader druze, alors que la circonscription du Mont-Liban IV, d’où la majorité des députés joumblattistes sont issus, est l’une des plus compétitives avec un seuil électoral relativement bas. C’est également l’une des circonscriptions sur laquelle le camp réformateur semble capitaliser le plus.
Le mouvement Amal
Ce fut une année sous le signe du bras de fer pour le président de la Chambre et son mouvement. Bras de fer avec le président de la République sur des questions comme l’audit juricomptable, le gouverneur de la BDL, le plan de reprise économique, le juge d’instruction Tarek Bitar, la date de la consultation populaire de 2022, le vote des émigrés et les immunités garanties par la Constitution. Si Nabih Berry semble souvent sortir gagnant et sans égratignure de ces confrontations, celles-ci restent néanmoins problématiques. De fait, elles pèsent sur son alliance avec le Hezbollah, qu’Amal ne peut pas remettre en question. La base du Hezbollah est toutefois de plus en plus hostile à cette alliance, ce qui pourrait compliquer les affaires de Nabih Berry. Pour lui, l’enjeu cette année sera sa réélection à la tête du Parlement, mais aussi un affaiblissement de son ennemi aouniste, et l’arrivée à Baabda d’un président qui soit plus conciliant avec lui. Autre dossier de taille avec lequel le mouvement devra traiter, celui de Tarek Bitar qui a déjà demandé l’arrestation de l’ancien ministre des Finances Ali Hassan Khalil, un proche de M. Berry. Dans ce contexte, ce dernier souhaiterait amputer l’enquête du juge Bitar de son volet politique.
La coalition baptisée L’Ordre se révolte, regroupant une liste hétérogène de partis politiques, célébrant la victoire après les élections de l’ordre des ingénieurs et architectes en juillet 2021. Photo tirée de la page Facebook de Kulluna Irada
Le camp réformiste
Les astres n’ont pas souri non plus aux partis qui se revendiquent de la thaoura en 2021. Cette pléthore de groupes plus ou moins hétéroclites a majoritairement brillé par son absence lors de moments-clés, comme les affrontements de Tayouné ou face à la détérioration de plus en plus sévère des conditions de vie des Libanais. Le camp réformateur est en train de perdre du terrain en faveur de l’abstention ou même des FL. Les mouvements disposant d’un véritable programme politique cohérent et détaillé sont rares, et la plupart des groupes se contentent de slogans attrape-tout. L’année 2022 représentera donc une opportunité pour ces partis de démontrer qu’ils sont une alternative crédible en amont du scrutin prévu pour le mois de mai. Pour maximiser leurs chances de former un bloc large au Parlement, ils devront s’unir pour atteindre les seuils électoraux. Cela implique des choix difficiles au niveau des alliances, surtout avec les figures plus traditionnelles, comme les Gemayel, Fouad Makhzoumi, Nehmat Frem, Oussama Saad, Baha’ Hariri, pour ne citer qu’eux. Si ces derniers peuvent apporter un soutien populaire et financier importants, ils risquent aussi de nuire à la crédibilité du mouvement de contestation, surtout aux yeux des électeurs les plus puristes.
Côté chrétien, ces partis devront se disputer avec les FL les voix des aounistes déçus et de ceux qui s’étaient abstenus en 2018. Chez les sunnites, où le vide politique est de plus en plus apparent, la thaoura devra prouver qu’elle est une alternative solide. Enfin, côté chiite, la thaoura pourrait réaliser des percées dans des régions comme Jbeil, Beyrouth ou Zahlé, plus compétitives que le Sud ou Baalbeck-Hermel.
Quoi qu’il en soit, c’est une fois installé au Parlement que le mouvement de contestation devra faire ses preuves afin de devenir un acteur réellement influent sur la scène politique. Pour 2022, les Libanais ont besoin de plus que des spectateurs.
commentaires (16)
L'omission des Kataeb est abherrant. Ce parti qui a contribué a liberer le Liban des palestiniens et autres partis poubelle. Vous Perdez toute votre credibilité en les omettant. Quand a ces partis de la thawra, tant que leur motto reste "il faut distribuer des advantages sociaux" et pas "il faut encourager les investisseurs", ils n'arriveront nulle part. Pour le reste, l'analyse est acceptable.
Le Liban d'abord
11 h 19, le 01 janvier 2022