
Portraits (de gauche à droite) de Bachar el-Assad, Hassan Nasrallah, Ali Khamenei, Vladimir Poutine et Khaled el-Assaad (archéologue assassiné de l’ancienne cité de Palmyre) dans la ville syrienne de Deir ez-Zor, le 20 septembre 2017. Louai Beshara/AFP
A priori, la comparaison est absurde. Comment établir en effet un parallèle entre l’une des plus grandes puissances – au plan géopolitique – de l’époque et un parti milicien qui domine un (tout) petit pays du Proche-Orient ? S’ils ont combattu ensemble en Syrie, la Russie de Poutine et le Hezbollah ne jouent clairement pas dans la même division, même si la formation pro-iranienne est devenue une force régionale au cours de ces dernières années. L’alliance entre eux est fondée sur une volonté partagée de sauver le régime syrien et sur une hostilité commune envers les États-Unis. La romance ne va pas plus loin. Moscou et le Hezbollah n’ont ni la même idéologie ni les mêmes intérêts, y compris en Syrie. En témoignent les frappes régulières des avions israéliens contre les membres du parti chiite sous le regard passif de l’Ours russe. À chacun son storytelling. L’Église russe a béni l’intervention en Syrie au nom de la défense des chrétiens d’Orient et de la lutte contre l’islamisme. Le Hezbollah, milice islamiste s’il en est, a pour sa part justifié, dans un premier temps, son déploiement dans le pays voisin par son devoir de protéger les lieux saints chiites. Même s’il est de raison, le mariage entre la Sainte Russie et la milice khomeyniste ne manque pas, de ce point de vue, d’une certaine ironie.
Entre les deux acteurs, il y a aussi, évidemment, une différence de nature. La Russie de Poutine est une puissance traditionnelle qui, même si elle n’en respecte pas les règles, est fortement intégrée au système international, dans lequel elle cherche à étendre son influence. Le Hezbollah est un objet hybride, à la fois parti politique, organisation sociale, milice au service des intérêts de l’Iran et organisation terroriste aux yeux de nombreux pays. Le premier est un acteur incontournable à la table des négociations. Le second est un paria qui n’entretient de relations officielles qu’avec les autres membres de l’axe irano-syrien.
Spartiates entourés d’Athéniens
Malgré ces nombreuses différences, et l’on pourrait en citer bien d’autres encore, les deux acteurs sont plus semblables qu’il n’y paraît à première vue. Tous deux sont imprégnés d’un esprit de revanche sur l’histoire, le Hezbollah en raison de la répression qu’a subie la communauté chiite depuis les premiers temps de l’islam, la Russie de Poutine en réaction à la disparition de l’Empire soviétique. Tous deux sont motivés par des calculs rationnels, mais aussi par des considérations idéologiques fondées sur une lecture mythifiée de leur propre histoire et de leurs rapports au reste du monde. Tous deux se posent à la fois, et en permanence, en victimes et en principaaux remparts face à la domination américaine, entretenant au sein de leurs bases respectives un double sentiment de surpuissance et de peur permanente. Tous deux sont des forces profondément contre-révolutionnaires, qui exècrent le changement, qui moquent les « valeurs occidentales » et qui sont allergiques à toute forme de débat démocratique.
Rien ne ressemble ainsi plus à l’assassinat de l’intellectuel chiite Lokman Slim que l’empoisonnement, un an plus tôt, du principal opposant au chef du Kremlin, Alexeï Navalny. Des actes suffisamment « signés » pour dissuader tous ceux qui seraient tentés de s’opposer à leur tour au pouvoir, mais en même temps suffisamment flous pour donner du grain à moudre à tous ceux qui émettent des doutes quant à leurs auteurs, le plus souvent par naïveté ou par conviction idéologique. Quel est leur intérêt ? se demandent-ils ainsi tous en chœur, ne semblant pas voir qu’ils n’en ont justement aucun à ne pas saisir l’opportunité d’éliminer un de leurs opposants tout en sachant que cela n’aura strictement aucune espèce de conséquence pour eux.
Et c’est bien cette donnée qui rapproche le plus la Russie de Poutine du Hezbollah. Tous deux sont des Spartiates entourés d’Athéniens. Tous deux savent qui est leur ennemi et sont prêts à utiliser tous les moyens possibles (assassinats, propagande, cyberattaque, intimidation) pour le défaire. Le Hezbollah peut faire un chantage à la guerre civile pour enterrer l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth dans laquelle il pourrait être impliqué. Vladimir Poutine peut mobiliser des dizaines de milliers d’hommes à la frontière ukrainienne et menacer ses rivaux d’une « réponse militaire » pour être certain de « récupérer son Ukraine » . Ce n’est pas tant leur force militaire qui leur assure une supériorité sur leur adversaire que le fait que, contrairement à eux, ils soient prêts à l’utiliser. Tous deux ne se servent des négociations que pour gagner du temps ou pour renforcer leur statut et ne croient, en définitive, qu’aux rapports de force.
Comment contenir alors un adversaire prêt à en découdre, lorsque, de son côté, on craint la guerre comme la peste ? C’est le défi auquel sont confrontés à la fois l’Europe et les mouvements d’opposition au Liban. Ces derniers veulent, à raison, éviter la guerre à tout prix. Mais cela les met dans une position de faiblesse par rapport à leur adversaire sans pour autant écarter de façon définitive le risque d’une confrontation. Il faut parfois, malheureusement, se montrer prêt à la mener pour éviter la guerre. Même Athènes connaît par cœur la leçon.
A priori, la comparaison est absurde. Comment établir en effet un parallèle entre l’une des plus grandes puissances – au plan géopolitique – de l’époque et un parti milicien qui domine un (tout) petit pays du Proche-Orient ? S’ils ont combattu ensemble en Syrie, la Russie de Poutine et le Hezbollah ne jouent clairement pas dans la même division, même si la formation pro-iranienne...
commentaires (13)
La Russie (autoritaire) constitue à la fois un trait d'union entre l'Orient et l'Occident en même temps qu'un rempart face à certains totalitarismes islamismes et marxistes chinois ou même americano-liberales qui semblent parfois tous se rejoindre. Le Hezbollah, lui, est au contraire islamiste à la sauce chiite, terroriste à la sauce iranienne et symbolise le plus cruellement la division du Liban et le divorce entre un Occident et Orient qui pourtant pourraient être si proches.
Zahar Nicolas
09 h 43, le 04 janvier 2022