Le Premier ministre libanais, Nagib Mikati, dont le gouvernement ne se réunit plus depuis le 12 octobre en raison d'une grave crise politique, a affirmé mardi qu'il ne démissionnera que s'il estime qu'une telle démarche pourra ouvrir une brèche dans le mur de la crise. En réponse indirecte aux appels pressant du chef de l'Etat, Michel Aoun, pour une reprise des réunions du Conseil des ministres, il a prévenu que "la surenchère de certains pourrait avoir des conséquences insupportables" sur la scène locale.
"Faille structurelle"
"Je ne démissionnerai que si j'estime que cela paverait la voie à une solution", a déclaré M. Mikati dans une conférence de presse au Sérail. "Il est vrai que le travail de l'exécutif se poursuit à travers les réunions des commissions ad-hoc pour étudier les dossiers urgents afin de les soumettre au Conseil des ministres. Mais la non-réunion du gouvernement est une faille structurelle dans l'action du cabinet", a-t-il reconnu. "Mais il est tout aussi vrai que la surenchère de certains complique davantage les choses et pourrait avoir des conséquences désastreuses", a-t-il souligné dans une réponse évidente aux appels successifs du président Aoun, le dernier en date datant de la veille.
Le cabinet de M. Mikati est paralysé depuis le 12 octobre dernier, les ministres du tandem chiite Amal- Hezbollah s'opposant à ce que le Conseil des ministres se réunisse avant qu'il ne tranche la question du sort du juge Tarek Bitar, le magistrat en charge de l'enquête sur la double explosion meurtrière au port de Beyrouth. Ce dernier est accusé par les deux partis chiites de politiser les investigations. Le Hezbollah plaide même pour la mise à l'écart du juge, alors que le mouvement Amal dit se contenter de le voir dessaisi du volet politique de l'affaire. Michel Aoun, allié de longue date du Hezbollah, réclame la reprise des réunions du Conseil, afin de tenter de sauver la dernière année de son mandat, qualifié de catastrophique par ses détracteurs. En attendant une solution à cette crise politique, le Premier ministre refuse de convoquer une nouvelle réunion de son cabinet, de crainte qu'il n'implose. A ce sujet, Nagib Mikati s'est voulu, encore une fois, très clair: "Tant qu'une composante essentielle ne prend pas part au Conseil des ministres, je ne le convoquerai pas", a-t-il lancé, dans une allusion au tandem chiite. "La relance du Conseil des ministres ne se fera pas dans le cadre d'un troc que n'accepterait pas le peuple libanais" , a encore martelé le leader sunnite. Des propos qui interviennent quelques jours après la mise en échec d'un deal politique liant le sort de Tarek Bitar aux élections législatives et à la reprise du travail du gouvernement.
Dans un message adressé à la nation lundi soir, le président Aoun a vivement critiqué la paralysie gouvernementale, réitérant son appel à la relance du Conseil des ministres, afin de plancher sur la situation économique et sociale des Libanais, frappés de plein fouet par une crise économique inédite depuis 2019.
Le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, connu pour mener les missions de bons offices en périodes de paralysie politique, avait démenti lundi les informations ayant récemment circulé dans les médias, et portant sur une éventuelle médiation à même de relancer le Conseil des ministres. "Il n' y a pas de médiation en cours", avait-il dit lors de l'inauguration d'une nouvelle branche de la SG dans la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah.
Signature du décret sur les législatives
Connu pour sa capacité à arrondir les angles, Nagib Mikati a en outre affirmé qu'il y a "des failles qui entachent l'enquête sur le drame du port", une accusation implicite lancée à l'égard du juge Bitar. Il a toutefois réitéré l'appel à garder la justice loin des tiraillements politiques. "C'est le premier pas sur la voie de la préservation de (la bonne image du Liban), a-t-il jugé.
Evoquant par ailleurs les élections législatives prévues en mai 2022, le chef du gouvernement a rappelé qu'avec les réformes économiques et le vote du budget pour l'année en cours, le scrutin figure au centre des missions de son équipe. Il a dans ce contexte annoncé avoir apporté mardi matin son contreseing au décret de convocation du collège électoral émis la veille par le ministre de l'Intérieur. "Ce matin même, j'ai signé le décret de convocation du collège électoral qu'a paraphé le ministre de l'Intérieur lundi", a-t-il dit. Il a ensuite estimé que le chef de l'Etat fera de même, dans la mesure où la date du 15 mai - fixée pour l'échéance - "est le fruit d'une entente avec le président".
Lundi, le ministre de l'Intérieur, Bassam Maoulaoui, a signé le décret de convocation du collège électoral pour les législatives, fixant la date du scrutin au 15 mai 2022, contrairement à des amendements de la loi électorale approuvés en octobre par le Parlement et qui prévoyaient le 27 mars comme date pour les élections. Cette date était toutefois contestée par le chef de l'Etat, Michel Aoun, et son camp. La Chambre des députés avait approuvé la date du 27 mars 2022 pour l'organisation du scrutin, justifiant cet amendement par le jeûne du Ramadan qui tombe l'an prochain en avril, ce qui risquerait, selon eux, d'impacter la bonne marche de la campagne électorale. Le Parlement avait également adopté un amendement permettant aux Libanais de l’étranger de voter pour les 128 membres de l'Assemblée et non seulement pour les six dévolus à la diaspora. Ces deux amendements avaient été rejetés par le Courant patriotique libre (CPL, aouniste), seul bloc parlementaire à s'y opposer, arguant de l'illégalité du quorum retenu pour ce vote par le président de la Chambre, Nabih Berry. Le CPL avait présenté un recours en invalidation de ces amendements, mais le Conseil constitutionnel avait échoué à prendre une décision.
Soutien à Riad Salamé
Sur le plan financier, Nagib Mikati a apporté son soutien au gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, perçu par de nombreux observateurs comme l'un des responsables de la crise économique et financière dans le pays. M. Salamé fait l'objet de critiques récurrentes de la part du président Aoun et de son camp, qui réclament sa mise à l'écart, alors que le gouverneur fait l'objet de plusieurs enquêtes, notamment dans des pays européens. "On ne change pas d'officiers en cours de guerre", a répondu M. Mikati, interrogé par l'agence Reuters durant la conférence de presse. Une réponse qui a suscité des critiques de la part du chef du parti Kataëb, Samy Gemayel. "M. le Premier ministre, lorsque tous les plans d'un officier échouent, et lorsqu'il cache les véritables données et cause des catastrophes à son peuple, et qu'on refuse de le remplacer et de le sanctionner, cela signifie que ses supérieurs sont ses complices contre le peuple et la nation", a affirmé ce dernier.
Crise avec le Golfe
Revenant enfin sur la crise diplomatique avec les monarchies du Golfe, le Premier ministre a plaidé pour un dialogue national qui examinerait la politique étrangère du pays. Il a dans ce cadre appelé à ce que soit respectée la politique de distanciation du Liban par rapport aux conflits des axes régionaux, critiquant ainsi le Hezbollah sans le nommer. Dénonçant "les interférences dans les affaires de certains pays arabes" de la part du parti chiite, M. Mikati s'est abstenu de se prononcer sur l'hégémonie iranienne sur le Liban. "Je ne me permets pas de le faire", a-t-il dit. Si dans son discours lundi soir, Michel Aoun n'a pas employé les termes distanciation et neutralité, il a tout de même lui aussi critiqué son allié, le Hezbollah, sur ce plan. "Je souhaite de meilleures relations avec les pays arabes, en particulier avec les pays du Golfe, et je demande : qu’est-ce qui justifie aujourd’hui la tension avec ces pays et l'ingérence dans leurs affaires qui ne nous concernent pas ?", avait lancé le chef de l’État.
Fin octobre, une grave crise diplomatique a éclaté entre le Liban et plusieurs monarchies du Golfe, Arabie saoudite en tête, qui critiquent la mainmise du Hezbollah sur la politique libanaise, à la suite de la diffusion de propos controversés de Georges Cordahi, ex-ministre de l'Information sur le rôle de Riyad dans le conflit au Yémen. En dépit de la démission de M. Cordahi, dont les propos avaient été tenus avant sa prise de fonction, la brouille n'a toujours pas été réglée, même si le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane est entré en contact par téléphone avec M. Mikati à l'issue de son entretien avec le président français, Emmanuel Macron, à Djeddah le 4 décembre.
commentaires (18)
Mikati n’en revient toujours pas d’avoir pu réintégrer la sphère politique avec un poste et non des moindres de PM. Il est content de son sort même si son gouvernement n’existe pas et il n’y renoncerait pour rien au monde, quitte à sacrifier son pays. Son exemple est le président de la république et sa clique qui se cramponnent au pouvoir en détruisant le pays. Tant que ces loubards font passer leur ego avant la patrie nous sommes mal barrés. Leur double langage et leur lâcheté qui consistent à enfoncer l’autre aussitôt qu’il se redresse pour dénoncer le saccage du pays en dit long sur leur loyauté envers la nation pays et son peuple. HB est le seul à profiter de leur manque de patriotisme et leur égoïsme poussés à l’extrême et n’entend pas lâcher la grippe des tenailles tant que son emprise fonctionne sur les demeurés qui se prennent pour Einstein.
Sissi zayyat
11 h 03, le 29 décembre 2021