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Économie - Crise

Au Liban, les commerçants pas emballés par les fêtes

L’unique espoir des commerçants pour Noël réside dans les dépenses des expatriés au Liban qui ont tendance à augmenter en cette période, selon le président de l’Association des commerçants de Beyrouth, Nicolas Chammas.

Au Liban, les commerçants pas emballés par les fêtes

Un marché de Noël à Zouk Mikaël (Kesrouan). Photo P.H.B.

Écœurés aussi bien par l’interminable crise économique qui s’étend depuis 2019 que par la fuite en avant d’une classe politique dont une partie cherche sans vergogne à saboter l’enquête sur l a double explosion qui a ravagé Beyrouth le 4 août 2020, les Libanais n’ont assez logiquement pas le cœur à la fête cette année.

Une « sinistrose » ambiante, pour reprendre le qualificatif employé par le président de l’Association des commerçants de Beyrouth (ACB), Nicolas Chammas. « Les fêtes de fin d’année, qui sont un des quatre principaux rendez-vous de l’année des commerçants libanais – avec la fête du Fitr, celle d’Adha et la période estivale –, pesaient avant la crise de 25 à 30 % du chiffre d’affaires annuel du secteur », a souligné l’homme d’affaires, qui est également secrétaire général des organismes économiques – une organisation patronale –, sans pouvoir s’avancer sur les proportions dans lesquelles ce ratio était en passe de s’effondrer cette année. Il ajoute que le volume des ventes réalisées la semaine avant la veillée de Noël cette année devrait afficher une baisse de 90 % cette année par rapport aux niveaux de 2017, dernière année où le secteur commercial affichait une dynamique positive, selon lui.

Tout le monde « fait attention »

Un effondrement en raccord avec celui de la livre libanaise (qui a perdu près de 95 % de sa valeur depuis le début de la crise au second semestre 2019) qui, combiné à la levée progressive des subventions sur le taux de change dont bénéficiaient les importateurs de carburants, de blé ou encore de médicaments, a complètement miné le moral des commerçants comme des consommateurs. « Même les gens qui ont les moyens font attention à leurs dépenses », constate Nicolas Chammas, évoquant « l’effet psychologique » provoqué par la volatilité de la livre avant la dernière quinzaine de décembre.

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Le taux de change a en effet enregistré une nouvelle phase de fluctuations au début de ce même mois, notamment en marge de la décision de la Banque du Liban (BDL) d’augmenter le taux de retrait en livres des dollars bloqués par les restrictions bancaires illégalement mises en place depuis l’automne 2019. Le taux dollar/livre oscillait entre 26 000 et 28 000 livres pour un dollar ces derniers jours, contre une parité officielle de 1 507,5 livres que le gouverneur de la banque centrale, Riad Salamé, a enfin qualifiée d’irréaliste dans un entretien cette semaine. Avec une inflation de 201,07 % à fin novembre, les prix en livres atteignent des niveaux stratosphériques. Un produit à 100 dollars vaut, selon le taux du marché, 2,6 à 2,8 millions, soit un montant en livres qui vaut près de 2 000 dollars au taux officiel. Beaucoup de commerçants finissent par communiquer les prix en dollars, qui sont plus stables et moins affolants que ceux en livres.

En réaction, les commerces ont considérablement réduit leurs commandes pour les fêtes, que ce soit au niveau des quantités ou du choix. « Les commerçants ont préféré rester à la page niveau/qualité, et ce sont donc les volumes qui ont diminué », indique encore Nicolas Chammas en affirmant que son observation exclut les produits de consommation courante, notamment l’alimentaire, et les produits de nettoyage et de santé.

Habillement et produits culturels

Mais, selon des témoignages de clients, la tendance ne serait pas différente dans les commerces alimentaires et les pharmacies. « Cela fait un moment que les rayons des grandes et moyennes surfaces sont au mieux clairsemés », rapporte Hiba, une résidente de la capitale. « Ce n’est que le 22 décembre que les commerces que je fréquente ont sorti les produits commandés spécialement pour les fêtes de fin d’année, alors qu’ils avaient l’habitude de le faire début décembre », a-t-elle notamment remarqué. Un retard qui serait spécifiquement lié aux incertitudes concernant la conjoncture et le taux de change. Rita, qui réside dans le Kesrouan, dresse un constat à peu près similaire. Contacté, le syndicat des propriétaires de supermarché n’était pas joignable.

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« C’est particulièrement flagrant dans le secteur de l’habillement. Beaucoup de boutiques ont soit ressorti les vêtements de l’année dernière, soit limité les commandes au niveau des choix des couleurs ou des tailles », déplore-t-elle. « Mais le plus dramatique, c’est dans la parapharmacie (crèmes, produits de beauté et autres produits sans usage thérapeutique que l’on peut trouver en pharmacie, NDLR). On ne trouve plus rien, et les commerçants en sont réduits à espacer leurs marchandises sur les rayons pour limiter l’impression de vide. Enfin, les livres et les produits culturels ne sont plus disponibles que sur commande », raconte-t-elle encore.

Modification des habitudes

Pour le syndicat des importateurs de denrées alimentaires, la crise a profondément modifié les habitudes. « Les commandes des fêtes de fin d’année sont généralement passées au cours du mois d’octobre qui précède. Avant la crise, les importateurs effectuaient leurs commandes en se basant sur les moyennes annuelles de leur segment d’activité. Depuis que la crise s’est intensifiée, ils se basent sur une estimation de ce qu’ils pourraient être sûrs d’écouler », selon le président de l’organisation, Hani Bohsali. Il relève que la dépréciation de la livre entre fin 2020 et fin 2021 (le taux est passé de 9 000 à 28 000 livres pour un dollar, NDLR) et le fait qu’une majorité des rémunérations n’aient pas été ajustées en fonction ont fatalement porté l’estocade a une demande déjà en baisse. Il souligne enfin qu’une majorité de ménages composent désormais leur repas de Noël en tenant uniquement compte du budget, substituant ainsi certains produits « de luxe », comme le foie gras ou le saumon, par de la charcuterie commune ou de la dinde.

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Outre des prévisions de ventes en forte baisse, la réduction de voilure chez l’ensemble des commerçants et importateurs – de produits essentiels ou non – est également à mettre en relation avec les problèmes de liquidités des commerçants, aggravés par les restrictions bancaires au Liban, ainsi qu›avec l’alourdissement administratif parfois considérable que les fournisseurs et les banques étrangères imposent aux commerçants résidant au Liban, une des principales répercussions de la dégradation de la réputation du système bancaire libanais à l’international.

Seule lueur dans ce sombre tableau rapportée par Nicolas Chammas : le fait que, depuis le début de la crise, les dépenses des expatriés au Liban ont tendance à augmenter pendant les fêtes. « Ce sont actuellement eux qui ont les tickets de caisse les plus élevés », insiste-t-il. Il reste à savoir à quel point cet apport permettra aux commerçants de souffler, alors qu’au moins 50 % d’entre eux ont fermé depuis 2011, selon l’ACB. Un vide qui est comblé par certains commerçants qui revendent des marchandises au noir et en dollars.

Écœurés aussi bien par l’interminable crise économique qui s’étend depuis 2019 que par la fuite en avant d’une classe politique dont une partie cherche sans vergogne à saboter l’enquête sur l a double explosion qui a ravagé Beyrouth le 4 août 2020, les Libanais n’ont assez logiquement pas le cœur à la fête cette année.Une « sinistrose » ambiante, pour reprendre...

commentaires (1)

L’effet n’est pas que psychologique. les expats venus pour Noël, sont venus par solidarité avec leurs familles, amis et tous les libanais. Ils n’ont pas le cœur ni à la fête ni à consommer comme d’habitude. Ce serait de l’indécence. Dépenser sans compter c’est fini et c’est probablement pour le bien du Liban à terme.

PPZZ58

19 h 01, le 25 décembre 2021

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Commentaires (1)

  • L’effet n’est pas que psychologique. les expats venus pour Noël, sont venus par solidarité avec leurs familles, amis et tous les libanais. Ils n’ont pas le cœur ni à la fête ni à consommer comme d’habitude. Ce serait de l’indécence. Dépenser sans compter c’est fini et c’est probablement pour le bien du Liban à terme.

    PPZZ58

    19 h 01, le 25 décembre 2021

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