Dix jours ont passé et Emmanuel Macron n’a toujours pas appelé. Lors de sa visite à Djeddah le 4 décembre, le président français avait pourtant affirmé qu’il allait s’entretenir avec « le président Aoun demain », pour le tenir informé de l’avancée de ses discussions concernant le Liban avec le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane. Il n’en fallait pas plus pour déclencher une minipolémique sur la scène locale, les détracteurs de Michel Aoun y voyant un signe de la volonté des Français de le mettre à l’écart. Un signe d’autant plus embarrassant pour le palais qu’au même moment, le Premier ministre Nagib Mikati recevait pour sa part un beau cadeau du chef de l’Élysée : Emmanuel Macron ayant réussi à convaincre l’inflexible dirigeant saoudien d'échanger directement avec le président du président du Conseil.
« Le contact avec Baabda n’a pas encore eu lieu, peut-être parce que le président Macron est occupé. Il lui revient de choisir la date selon sa disponibilité », tempère Rafic Chelala, conseiller média du président de la République. « S’il y avait vraiment un problème, le président n’aurait pas salué les efforts de la France dans la résolution de la crise diplomatique entre les pays arabes et le Liban », ajoute-t-il. Au palais, on rappelle que l’ambassadrice de France Anne Grillo s’est rendue le 7 décembre à Baabda pour faire un point sur plusieurs dossiers, dont celui de la nécessaire restauration des liens diplomatiques avec l’Arabie saoudite. La question de l’appel téléphonique paraît en ce sens secondaire. Mais elle confirme tout de même que Paris ne traite pas Nagib Mikati et Michel Aoun de la même façon. Le premier peut se targuer d’être soutenu par la France depuis le premier jour de sa nomination à la fonction de Premier ministre. Paris semble en effet penser que son gouvernement est à même de mettre le Liban sur les rails des réformes demandées par la communauté internationale et travaille ainsi étroitement avec lui. Michel Aoun, dont le mandat s’achève dans moins d’un an, est un cas politique plus difficile à gérer pour la France, d’autant que l’histoire qui les lie est longue et tumultueuse, le général libanais s’étant exilé dans l’Hexagone pendant quinze ans.
L’audit juricomptable
Sur toutes les questions relatives à la mise en œuvre des réformes, Nagib Mikati est clairement le principal interlocuteur. Le diplomate français Pierre Duquesne, chargé de la coordination du soutien international au Liban, s’est ainsi abstenu hier, comme à chacune de ses visites, de voir le président de la République, alors qu’il s’est rendu au Grand Sérail pour y rencontrer le Premier ministre. « M. Duquesne est chargé d’un dossier humanitaire et technique et non pas politique. Il n’y a aucune raison pour qu’il rende visite au président de la République », explique Randa Takieddine, une journaliste basée en France qui suit de près la politique française sur le dossier libanais. Sur le papier, rien de plus logique. Sauf que dans le contexte libanais, la mise à l’écart effective du président de la République sur un sujet aussi important peut être problématique. D’autant plus quand le chef de l’État a montré à plusieurs reprises sa volonté de jouer un rôle dans cette affaire.
Selon plusieurs médias locaux, M. Aoun se sentirait mis à l’écart par le président du Conseil, principalement sur les questions économiques comme les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI). Au début du mois d’octobre, quelques semaines après la formation du gouvernement Mikati, le président de la République avait insisté pour inclure deux de ses conseilleurs (Charbel Cordahi et Rafic Haddad) dans la délégation ministérielle chargée de négocier avec l’institution monétaire. Le président a même envoyé un courrier au secrétariat général du Conseil des ministres pour protester contre l’absence de ces deux conseillers pendant les négociations. Dans le même sens, Michel Aoun a demandé plus récemment au vice-Premier ministre Saadé Chami, à la tête de la délégation libanaise, de lui fournir les procès-verbaux des discussions avec l’institut. M. Chami a réagi lors d’un entretien à la télévision en affirmant que « personne ne fait de procès-verbaux. Cela prend trop de temps ».
« Le président Aoun n’est pas mis à l’écart, les lignes du dialogue avec le Sérail sont toujours actives. Mais il faut se rappeler que selon l’article 52 de la Constitution, il revient au président de la République de négocier les traités internationaux. Le président souhaitait donc inclure les procès-verbaux des discussions avec le FMI dans les archives présidentielles », explique Rafic Chelala.Autre question qui divise : l’audit juricomptable de la Banque du Liban. Le président ne souhaite pas quitter le palais sans avoir au moins réussi à réaliser quelques réformes phares, comme cet audit auquel il « reste attaché sans compromis », selon son conseiller média. Le problème, c’est que dans ce dossier, le président s’oppose à tous les autres acteurs politiques qui ne veulent pas en entendre parler, puisqu’un tel audit pourrait avoir des répercussions pénales pour certains d’entre eux. Or Paris a besoin d’avancer sur ce sujet et, pour se faire, de procéder au moins à un audit simple, qui permette de rendre compte de la réalité financière et de lancer les négociations avec le FMI. Dans ce contexte, la demande du chef de l’État, motivée par des considérations politiques, devient-elle un frein au processus ? Sollicités par L’Orient-Le Jour, les services de l’ambassade de France n’ont pas donné suite hier.
commentaires (8)
Le Président a plus d'un tour dans son sac , rira bien qui rira le dernier . Il s'il n'en reste qu'un, il sera celui-là ! Le sul résistant à toutes ces escroqueries du FMI !
Chucri Abboud
15 h 01, le 15 décembre 2021