
Le chef du CPL Gebran Bassil. Photo d’archives/AFP
Gebran Bassil n’est pas dans une position enviable en ce moment. Pris en tenailles entre son partenariat avec le Hezbollah et l’humeur de la rue chrétienne de plus en plus remontée contre lui et contre son alliance avec un parti mis à l’index par quasiment le monde entier, le chef du Courant patriotique libre (CPL) jongle avec les paradoxes. Alors que le climat se polarise de plus en plus – principalement autour de la question des armes du Hezbollah et de l’influence iranienne grandissante au Liban –, le leader aouniste cherche à se repositionner sur un échiquier complexe où ses rivaux chrétiens, les Forces libanaises (FL) notamment, ont réussi à marquer des points.
Comment ménager la chèvre et le chou à un moment où les prises de position se radicalisent de plus en plus et où chacun des protagonistes doit clairement choisir son camp : pour ou contre l’axe iranien ? Tel est le dilemme auquel fait face le camp aouniste.
Or, et c’est là que le bât blesse, Gebran Bassil n’arrive plus à gérer les contradictions et à trouver un juste milieu entre des choix politiques et géostratégiques devenus de plus en plus inconciliables. C’est probablement le plus grand défi auquel doit faire face le leader chrétien alors que la campagne électorale approche à grands pas et que l’enjeu autour de la mainmise du parti pro-iranien est devenu au moins aussi important que la question des réformes nécessaires pour remettre le pays sur les rails.
Alliance indéfectible
Depuis l’explosion au port le 4 août 2020, le camp aouniste a été placé devant une alternative difficile : rallier la rue chrétienne qui a payé cher une tragédie dans laquelle le Hezbollah est largement pointé du doigt, ou soutenir son partenaire chiite au risque de devenir complice de ce qui est considéré comme le crime du siècle. Le choix est devenu d’autant plus pressant que les incidents de Tayouné – dans lesquels des éléments armés appartenant vraisemblablement aux FL ont affronté des miliciens du tandem chiite – ont propulsé Samir Geagea au rang de héros aux yeux d’une partie de l’opinion, lui faisant gagner la sympathie non seulement de sa communauté mais également des sunnites. Une situation qui a embarrassé le camp aouniste contraint de défendre l’enquête conduite par le juge Tarek Bitar que le Hezbollah cherche depuis à écarter du jeu. « C’est un des rares différends qui nous sépare du CPL en ce moment », commente une source du Hezbollah.
Gebran Bassil ne semble pas être de cet avis. Le gendre du président n’hésite pas à se démarquer, à chaque fois qu’il le peut, du parti chiite, notamment sur des questions stratégiques avec lesquelles il disait pourtant être en accord par le passé. La scène qui s’est déroulée samedi dernier était à ce titre assez équivoque. Un groupe issu de mouvements contestataires opposés au Hezbollah a organisé un rassemblement près de Nahr el-Kalb, réclamant « l’évacuation des occupants iraniens » du Liban. L’affaire a fait polémique sur les réseaux sociaux, surtout après la réponse du chef du CPL. Dans un discours qui résume bien l’exercice de contorsion auquel se livre le leader chrétien depuis un certain temps, Gebran Bassil s’est posé en défenseur de la communauté chrétienne qu’il a cherché à rassurer sans toutefois s’en prendre ouvertement à son partenaire chiite. « Ne craignez rien. Il n’y a pas d’occupation iranienne au Liban pour une raison simple : c’est que personne ne peut envahir notre culture, encore moins porter atteinte à notre foi. Personne ne peut occuper cette terre ou ces montagnes, ni même y mettre les pieds. » Des propos qui ont vraisemblablement heurté la sensibilité de certains sympathisants du Hezbollah qui y ont vu une manifestation d’hostilité à l’égard du parti et de son parrain politique, l’Iran.
« Ce que M. Bassil est en train de dire implicitement, c’est que s’il y avait une occupation iranienne, il serait le premier à y résister », commente un proche du parti chiite qui faisait allusion à un discours prononcé dimanche à Kfardebiane. « En dépit de toutes les intempéries, l’alliance entre le Hezbollah est stratégique et donc indéfectible puisqu’elle sert les intérêts des deux parties », ajoute toutefois la source précitée.
Accord à la carte
Ce n’est pas la première fois que le chef du CPL se lave publiquement les mains de son partenariat avec le parti pro-iranien. Dans un entretien accordé au journal al-Qabas le 19 novembre dernier, M. Bassil s’est désolidarisé de son allié en affirmant qu’il faut distinguer la position du Hezbollah de celle du Liban officiel. « Pourquoi mêler la position du Hezbollah à celle du Liban officiel ? » s’était-il interrogé dans cet entretien, préconisant la nécessité de séparer ces deux prises de position avant d’affirmer vouloir entretenir les meilleurs rapports avec les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite.
Ces propos avaient été relayés par le président Michel Aoun, qui a estimé aussitôt après être lié au Hezbollah par « une entente » et « non une alliance », en référence à l’entente dite de Mar Mikhaël conclue en 2006. « Notre accord fonctionne à la carte, c’est-à-dire selon les dossiers en examen », défend pour sa part Nagi Hayek, un cadre du CPL connu pour son hostilité au Hezbollah.
En concoctant une alliance avec le Hezbollah, le CPL a tout simplement voulu « mettre un frein à la tentative des sunnites et des chiites de se partager le legs des maronites », justifie ce cadre aouniste. Le parti considère en effet que l’accord de Taëf a écarté les chrétiens de la scène politique et que l’alliance avec le Hezbollah leur a permis de retrouver leur juste place. Mais cette alliance devient de plus en plus embarrassante pour le CPL. Elle paraît loin l’époque où la formation de Michel Aoun évoquait une alliance stratégique contre le radicalisme sunnite et réduisait les différends à des questions internes. Aujourd’hui, c’est le discours inverse qui prévaut. Le CPL dénonce l’aventurisme extraterritorial du Hezbollah, qui a fini par transformer le Liban en un pays paria, boudé par la communauté internationale et par son environnement arabe. Dans son entretien au quotidien al-Qabas, et alors que le conflit avec les pays du Golfe s’est exacerbé sur fond de la polémique suscitée par le ministre George Cordahi, le chef du CPL avait laissé entendre que sa formation n’approuvait pas l’intervention du parti chiite au Yémen. « Nous ne pouvons pas nous distancier de la crise syrienne mais nous pouvons nous distancier de la guerre du Yémen », avait-il ajouté.
Autant de jongleries qui ne convainquent vraisemblablement plus les pourfendeurs du CPL, voire même les plus proches du mouvement aouniste. « Beaucoup de gens issus du CPL ne supportent plus Gebran Bassil », commente un cadre du parti qui a requis l’anonymat, en allusion à ses volte-face devenues indéchiffrables. On raconte d’ailleurs que nombreux sont ceux qui aimeraient quitter les rangs du parti, mais hésitent à le faire, certains par loyauté envers le chef de l’État qui est à l’origine de leur affiliation. D’autres n’ont jamais eu des atomes crochus avec Gebran Bassil, que l’on accuse de faire un one-man-show permanent au sein du CPL. « Plusieurs d’entre eux ont tout simplement peur de ne pas se faire réélire et n’osent par rendre publique leur opposition au chef », note un dissident aouniste.
Revirement calculé et mutuellement consenti
Au niveau de la rue chrétienne, la perte de vitesse est patente mais son ampleur est pour l’heure difficilement chiffrable. « Gebran Bassil n’a pas besoin de convaincre ceux qui lui sont fidèles. Mais il aura du mal à rallier tous ceux qui, comme le montrent certains sondages, ne voteront plus pour lui », dit un dissident aouniste qui rappelle qu’au Kesrouan, on évoque un recul de près de 50 % du CPL, et à Jbeil, de 30 %. « Ces acrobaties, qui visent principalement à couper la route à l’ascension fulgurante de Samir Geagea, vont finir par se retourner contre lui », ajoute le dissident.
Dicté par les besoins d’amadouer une base populaire chrétienne de plus en plus dépitée, le revirement du camp aouniste serait toutefois calculé et consenti de part et d’autre. « Le jeu auquel se livre le CPL relève d’une mise en scène directement approuvée par le Hezbollah et implicitement par Nabih Berry (le chef du mouvement Amal). L’entente repose sur cette marge de manœuvre mutuellement agréée pour que l’un et l’autre puissent améliorer en amont leur popularité avant les législatives », commente Jean Aziz, ancien conseiller du président de la République, Michel Aoun.
Mais ce n’est pas de cette oreille que l’entendent certains membres du CPL. Nagi Hayek, lui, justifie la position de Gebran Bassil et sa distanciation par rapport au Hezbollah et à l’Iran par le réalisme politique pur et dur. « À l’instar des autres protagonistes en cette période électorale, Gebran Bassil œuvre tout simplement dans l’intérêt de son parti. Il n’est pas plus opportuniste que le reste des acteurs politiques », dit-il.
Gebran Bassil n’est pas dans une position enviable en ce moment. Pris en tenailles entre son partenariat avec le Hezbollah et l’humeur de la rue chrétienne de plus en plus remontée contre lui et contre son alliance avec un parti mis à l’index par quasiment le monde entier, le chef du Courant patriotique libre (CPL) jongle avec les paradoxes. Alors que le climat se polarise de plus en...
commentaires (23)
Tes acrobaties politiques ne te serviront en rien. Ton passé lourd remplit le décor.
Esber
00 h 04, le 03 décembre 2021