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Culture - Cinéma

« Sous le ciel d’Alice », le Liban et ses illusions perdues

À partir d’aujourd’hui jeudi, le film de Chloé Mazlo est à l’affiche du Grand Cinemas ABC (Achrafieh). L’occasion de rencontrer la jeune réalisatrice franco-libanaise venue présenter son film en avant-première à la salle Montaigne de l’Institut français.

« Sous le ciel d’Alice », le Liban et ses illusions perdues

Chloé Mazlo au Liban sur les pas de ses grands-parents et parents. Photo DR

Vous êtes issue de grands-parents et de parents libanais qui ont vécu au Liban et l’ont quitté quand la guerre a éclaté, mais vous êtes née en France. Pour quelles raisons avez-vous réalisé ce film sur le Liban ?

Sous le ciel d’Alice parle certes de la guerre du Liban qui s’est introduite tel un voleur pour ravir tous les rêves d’un peuple paisible et calme. Néanmoins, il s’agit aussi et surtout de l’éclatement de la cellule familiale, de la dislocation de la famille et particulièrement de celle d’Alice, jeune Suisse venue au pays du Cèdre dans les années 50 et tombée amoureuse d’un astrophysicien rêveur, mais également d’un pays qui sentait bon le bonheur de vivre. Quand j’ai tourné ce film en 2015, ma seule intention était de partager les histoires de ma famille et parler du Liban que je ne retrouvais pas dans d’autres récits. La situation n’était pas la même que celle d’aujourd’hui. Peut-être qu’actuellement ou à partir de 2019, j’aurai tourné le film autrement.

Les couleurs acidulées et très fraîches du décor traduisent une certaine dolce vita. Ce choix indique-t-il une volonté d’accentuer le contraste avec une situation grave, celle de la guerre qui ne va pas tarder à éclater ?

Dans le film, on est carrément dans la tête d’Alice, dans ses souvenirs. Elle fantasme donc à la fois le passé et le bonheur. Il fallait donc exagérer et accentuer ces couleurs très fraîches et gaies alors que tout le monde sait que même avant la guerre, entre les années 50 et 75, il ne se passait pas que des choses gaies. Au contraire, il y avait des événements très négatifs, annonciateurs d’une guerre. Alice est donc dans le déni total. Probablement comme beaucoup de Libanais à cette époque.


Alba Rohrwacher (Alice) au milieu de l’énergie libanaise dans « Sous le ciel d’Alice », de Chloé Mazlo. Photo Hélène Louvart/DOP

Pour vous, le Liban est-il comme une carte postale ? Avec un beau soleil (presque indécent) et des paysages magnifiques ? Comment le percevez-vous ?

Je suis très mal placée pour en témoigner. D’ailleurs, mon cinéma n’est pas pour réécrire l’histoire d’une guerre (car je ne suis pas apte à le faire) mais pour raconter de simples histoires. Mais je peux dire qu’à chaque fois que je venais au Liban, et ceci à intervalles successifs, une dizaine de fois depuis 1990, je croyais pouvoir cerner le pays et je me rendais compte que je me trompais. J’ai toujours essayé de comprendre le Liban mais j’ai finalement déduit qu’il ne fallait pas chercher à comprendre. D’ailleurs, la phrase devenue célèbre d’Henry Laurens, « Si vous avez compris quelque chose au Liban, c’est qu’on vous l’a mal expliqué », résume bien la situation.

L’idée d’un retour au Liban vous a-t-elle toujours triturée ?

Revenir pour y vivre, non. Mais revenir sur les pas de mes parents et grands-parents, oui. Quand je suis revenue en 1990, j’avais huit ans et le regard que j’avais sur le pays était celui d’une enfant. Par la suite, en 2006, j’étais revenue pour tourner un court métrage et j’ai été rattrapée par la guerre contre Israël. Comme si le pays ne cessait de vivre des cycles et qu’il tournait dans une roue infernale. Il est certain que lorsque j’apprenais l’histoire de la France à l’école, j’étais moins touchée parce que je savais que mes racines sont ailleurs. Je suis consciente d’avoir été élevée différemment et si mes films sont différents, c’est parce que je possède cette double culture.


« Sous le ciel d’Alice », un film de Chloé Mazlo, avec Alba Rohrwacher (Alice), Wajdi Mouawad (Joseph), Isabelle Zigondhy (Mona), Odette Makhlouf (Amal), Hany Tamba (Georges), Maria Tannoury (Mimi), Jade Breidi (Rima), Ziad Jallad (Sélim), Charbel Kamel (Walid) et Cécile Moubarak (Raymonde). Photo Hélène Louvart/DOP

Avez-vous été élevée dans la nostalgie du Liban ? Et qui était le principal conteur d’histoires en famille ?

Je ressentais la nostalgie du Liban surtout de la part de mes grands-parents qui sont les personnages principaux du film alors qu’il y avait plus de la colère de la part de mes parents qui ont quitté le Liban jeunes en 1976. Ma grand-mère, elle, bien que d’origine suisse, était très attachée au pays. C’est elle qui narrait le plus d’histoires. D’ailleurs, elle n’a quitté le pays qu’en 1986. Elle disait préférer vivre sous les bombes que s’ennuyer en Suisse. Le (but du, NDRL) cinéma, pour moi, n’est pas de nous expliquer la vie, mais de nous faire vivre des émotions.

Pour mémoire

« Sous le ciel d’Alice », il y a le Liban et toujours le Liban

Vous avez fait des études d’art graphique et vous vous êtes spécialisée en animation. Pourquoi avez-vous choisi d’insérer des images animées dans ce film ?

Parce que cela permettait de faire des ellipses et de faire passer des images plus métaphoriques que le réel. En outre, j’aime bien mélanger les techniques, notamment dans ce sujet car le Liban est riche dans sa mixité et ses mélanges et cela s’adaptait donc au mélange de genres.

Vous n’avez pas tourné au Liban, et pourtant votre casting est entièrement libanais. Comment expliquez-vous ce choix ?

J’ai dû tourner en studio et certaines prises de vue à Chypre pour des raisons de financement. Mais si j’ai dû faire des concessions sur le choix du lieu, je ne voulais pas du tout en faire sur le choix des comédiens. Ainsi, c’est Charbel Kamel, comédien, directeur de casting et traducteur sur Sous le ciel d’Alice qui a réuni cet ensemble de comédiens dont Wajdi Mouawad qui incarne l’astrophysicien et dont le tempérament rêveur m’a séduite. La comédienne Alba Rohrwacher s’est dit envahie par cette énergie libanaise et m’a avoué qu’en tournant, elle se sentait au Liban.

* « Sous le ciel d’Alice », distribué par la société MC au Liban, a fait son avant-première à la salle Montaigne à l’Institut français du Liban (Beyrouth) et sera projeté uniquement au Grand Cinemas ABC Achrafieh.

Vous êtes issue de grands-parents et de parents libanais qui ont vécu au Liban et l’ont quitté quand la guerre a éclaté, mais vous êtes née en France. Pour quelles raisons avez-vous réalisé ce film sur le Liban ? Sous le ciel d’Alice parle certes de la guerre du Liban qui s’est introduite tel un voleur pour ravir tous les rêves d’un peuple paisible et calme. Néanmoins, il...

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