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La crise bancaire au Liban : aux grands maux, les grands remèdes

La crise bancaire au Liban : aux grands maux, les grands remèdes

Joseph Eid/AFP

La ruée sur la liquidité, la tendance haussière des prêts non performants et les problèmes de solvabilité qui s’ensuivent, la détérioration de la position nette en devises et les risques de change qui en découlent sont autant de maux dont souffre le système bancaire au Liban et qui constituent les traits communs aux crises financières.

De prime abord, il s’agit bel et bien d’une crise de confiance vis-à-vis du système bancaire et qui s’est manifestée à travers les retraits massifs des dépôts, rimant avec une croissance exponentielle de la circulation fiduciaire. En effet, cette dernière a vu son montant se multiplier par sept à partir du deuxième trimestre de 2019. La contraction du passif des banques qui s’est ensuivie est d’autant plus inquiétante qu’elle concerne les engagements à court terme et qu’elle ne peut être compensée que par un rétrécissement des actifs liquides. De ce fait, le ratio des actifs liquides rapportés aux engagements à court terme et qui était à 30 % au deuxième trimestre 2017 est passé à 19 % au terme de l’année 2020. De même que le ratio de liquidité des banques qui a été réduit de 40 %, les actifs liquides passant de 18 à 11 % du total des actifs des banques.

Le paradoxe inhérent à une telle situation réside dans l’amélioration, certes illusoire, de la part du capital dans les actifs. Cette amélioration fallacieuse est due à une ponction sur l’actif des banques et nullement à une hausse de leurs fonds propres. De surcroît et en admettant qu’elle persiste, cette ruée sur les dépôts pourrait consumer non seulement les liquidités des banques, à savoir les réserves et les bons du Trésor, mais également les actifs les moins liquides, avec une forte probabilité de malmener l’économie vers un choc d’offre des crédits.

S’agissant des risques de solvabilité, les prêts non performants ont déjà frôlé le seuil de 20 % du total des prêts accordés par les banques agréées au Liban. Compte tenu des provisions constatées à titre de protection contre les risques de défaut, la part non couverte des prêts non performants représente le quart des fonds propres des banques au Liban. Autant dire qu’après s’être affichée à 5 % jusqu’au terme de l’année 2013, elle a été multipliée par cinq en moins de huit ans. À noter que ce ratio ne dépasse pas 3 % dans les économies avancées, et qu’il oscille entre 5 et 9 % dans les pays en développement et qui jouissent d’une stabilité financière. Dans cette perspective, deux scénarios, tout aussi inquiétants l’un que l’autre, sont envisageables. Le premier scénario, le plus extrême et le moins probable, consiste en une simple annulation de ces créances douteuses qui s’avéreraient impossibles à récupérer et qui devraient être passées en pertes sèches. Le second scénario, qui demeure le plus plausible, consiste en un maintien du sentier de croissance du ratio des prêts non performants avec, comme corollaire, une hausse des primes de risque imputées aux taux débiteurs et une amputation des fonds propres des banques.

Par ailleurs, la dollarisation du système bancaire libanais s’est traduite par un écart d’évaluation entre les actifs et les passifs des établissement de crédit, et ce parallèlement à la forte dépréciation du taux de change. Dans ce sillage, il convient de noter que les engagements des banques en devises sont nettement supérieurs à leurs créances en devises et qu’il s’est ensuivi une détérioration de leur position ouverte. Si la dépréciation du taux de change maintient sa tendance actuelle, les banques devraient faire face à une hausse plus que proportionnelle de leurs passifs en devises et à une fragilisation de leurs capitaux. Cela dit, le narratif de la vulnérabilité des fonds propres et de la probabilité de banqueroute qui en découle est à lire à la lumière des risques de change qui planent sur l’ensemble de l’économie.

Somme toute, cette imbrication des risques de solvabilité et de liquidité dans les risques de change au Liban, conjuguée aux signaux de détresse émis par l’ensemble des établissements bancaires, amène à conclure sur la possibilité d’un risque systémique. La situation actuelle appelle à plus de prudence, et une intervention des autorités de tutelle s’impose. Néanmoins, il serait une erreur de concevoir un plan de sauvetage à l’écart d’un diagnostic global des déséquilibres macroéconomiques que connaît le pays. Ce diagnostic devrait identifier, entre bien d’autres, les facteurs explicatifs de la détérioration du solde du compte courant et le désalignement du taux de change qui en résulte. Eu égard à la conjoncture macroéconomique au Liban et aux effets d’amplification que peut avoir la sphère financière, il est temps d’aller au-delà de la régulation microprudentielle vers une approche macroprudentielle

Ainsi, la banque centrale du Liban est tenue d’établir un cadre de régulation macroprudentielle en s’appuyant sur une batterie d’instruments. D’une part, les banquiers libanais devraient observer des filets de sécurité en termes de fonds propres en vue de maintenir un ratio contra-cyclique du capital aux actifs. D’autre part, il convient de constater des provisions dynamiques dont le montant varie en fonction des phases du cyclique économique. Ces mesures sont à adopter en veillant sur le respect d’un ratio de couverture de la liquidité, juxtaposé à un ratio structurel de liquidité à long terme. L’opérationnalisation de ces mesures devrait se faire selon une approche intégrée et intégrante, compte tenu des liens de complémentarité entre les normes prudentielles, la politique monétaire et la gestion du taux de change. Tout bien considéré, cette approche macroprudentielle est à même de concilier toutes les dimensions du risque systémique et de contrecarrer les liens macrofinanciers entre la dépression économique et la détresse du système bancaire au Liban.

Professeur d’économie monétaire et directeur d’équipe de recherche

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

La ruée sur la liquidité, la tendance haussière des prêts non performants et les problèmes de solvabilité qui s’ensuivent, la détérioration de la position nette en devises et les risques de change qui en découlent sont autant de maux dont souffre le système bancaire au Liban et qui constituent les traits communs aux crises financières. De prime abord, il s’agit bel et bien d’une...

commentaires (1)

"La possibilité d'un risque systémique"? Il me semblait que ça fait au moins deux ans que le risque systémique s'est matérialisé. Pour le reste, on n'a pas fait mieux que la bonne gouvernance au moyen de conseils d'administration réellement indépendants (il suffirait que les émoluments des membres indépendants soient publiés pour se faire une idée de leur indépendance), une réelle transparence de l'information financière, la mise en place intégrale de Bâle 3 (dont votre ratio contracyclique) y compris le troisième pilier jamais exigé par la Commission de Contrôle, une gestion prudente du système par les autorités de tutelle y compris par l'interdiction des dividendes quand les risques augmentent et last but not least une possibilité d'environnement économique sain (donc après réformes politiques comprenant la mise hors la loi du Hezbollah et autres poisons) favorisant l'investissement privé y compris la recapitalisation des banques.

M.E

11 h 43, le 01 décembre 2021

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Commentaires (1)

  • "La possibilité d'un risque systémique"? Il me semblait que ça fait au moins deux ans que le risque systémique s'est matérialisé. Pour le reste, on n'a pas fait mieux que la bonne gouvernance au moyen de conseils d'administration réellement indépendants (il suffirait que les émoluments des membres indépendants soient publiés pour se faire une idée de leur indépendance), une réelle transparence de l'information financière, la mise en place intégrale de Bâle 3 (dont votre ratio contracyclique) y compris le troisième pilier jamais exigé par la Commission de Contrôle, une gestion prudente du système par les autorités de tutelle y compris par l'interdiction des dividendes quand les risques augmentent et last but not least une possibilité d'environnement économique sain (donc après réformes politiques comprenant la mise hors la loi du Hezbollah et autres poisons) favorisant l'investissement privé y compris la recapitalisation des banques.

    M.E

    11 h 43, le 01 décembre 2021

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