
Le président Michel Aoun au palais de Baabda. Photo d’archives AFP
Au Liban, l’histoire donne parfois le sentiment de se répéter. Lorsque le président de la République, Michel Aoun, déclare la semaine dernière, dans une interview au journal pro-Hezbollah al-Akhbar, qu’« à la fin de son mandat », il ne « remettra pas le pouvoir au vide », c’est tout un pays qui replonge d’un coup à la fin des années 80. À une époque où l’actuel locataire du palais de Baabda refusait de quitter ce lieu de symbole et de pouvoir autrement que par la force.
En septembre 1988, le président Amine Gemayel nomme Michel Aoun à la tête d’un gouvernement de militaires afin que celui-ci organise l’élection d’un nouveau chef de l’État. Mais le général, qui lorgne déjà la présidence, ne voit pas les choses ainsi et s’accroche au pouvoir. Convaincu d’être le plus légitime, le seul à défendre la souveraineté de l’État, il annonce, en mars 1989, le lancement de la « guerre de libération » contre l’armée syrienne devant des milliers de partisans rassemblés devant le palais de Baabda. Quelques mois plus tard, il s’oppose à l’accord de Taëf, qui restreint sensiblement les prérogatives réservées aux maronites, au profit des sunnites. Après l’assassinat du président élu René Moawad, il refuse de reconnaître son successeur, Élias Hraoui, et de quitter le palais. Le général est soutenu par ses partisans mais assez isolé sur la scène locale, d’autant plus qu’il lance en janvier 1990 une « guerre d’élimination » contre les Forces libanaises. La situation devient intenable. Les Syriens négocient avec les États-Unis leur tutelle sur le Liban et intensifient la pression sur le terrain. Michel Aoun est contraint de fuir Baabda le 13 octobre 1990 et de s’exiler, quelques mois plus tard, en France pour quinze longues années.
L’histoire peut-elle alors se répéter? Le contexte est aujourd’hui très différent, mais il y a certaines choses qui ne semblent pas avoir beaucoup changé. La première, c’est que l’homme en question est toujours persuadé d’être la victime d’un grand complot et qu’il n’est prêt à accepter aucune de ses défaites. La seconde, c’est qu’il est aussi capable de tous les stratagèmes pour parvenir à ses fins, sa seule boussole étant la préservation de son pouvoir et de ceux qui l’entourent. On parle tout de même d’un militaire ayant été proche de Camille Chamoun avant de défendre ardemment Bachir Gemayel et enfin de faire de Hassan Nasrallah son principal allié. Dans la dernière année d’un mandat désastreux, qui a vu le pays plongé dans la pire crise de son histoire, Michel Aoun veut préserver ses acquis. Il dispose toutefois de beaucoup moins de cartes qu’à la fin des années 80. Sa popularité semble en nette baisse, il ne peut plus mener l’armée à sa guise, et tout son pouvoir ne tient presque plus qu’à un fil... le Hezbollah. En privé, le président se plaint de devoir faire face en même temps à « plusieurs fronts » et considère que la situation internationale « joue contre lui ». Mais l’expérience passée montre que plus il est acculé, plus l’ancien chef du Courant patriotique libre a tendance à durcir ses positions.
« Très en colère contre le Hezobllah »
Aujourd’hui, il est particulièrement embêté par la crise diplomatique entre le Liban et les pays du Golfe, qui continue de noircir son mandat. En mai dernier, le président avait sacrifié son ministre, Charbel Wehbé, après que celui-ci a tenu des propos polémiques à l’encontre notamment de l’Arabie saoudite. Il est ainsi d’autant plus énervé que le ministre de l’Information, Georges Cordahi, qui a critiqué l’intervention saoudienne au Yémen, refuse pour sa part de démissionner, fort du soutien que lui accorde le Hezbollah. « Le président est très en colère contre le Hezbollah », affirme l’un de ses proches, sous couvert d’anonymat. Selon lui, Michel Aoun considère que la formation chiite fait obstruction au gouvernement en fonction de calculs extérieurs, et plonge le Liban dans une crise dont le pays et le mandat pourraient se passer. Dans ce dossier, comme dans celui de l’enquête sur la double explosion au port, le président se trouve en porte-à-faux vis-à-vis de son principal allié, mais sans avoir lui-même de réelles marges de manœuvre, compte tenu de l’importance de ces sujets pour la communauté chrétienne. Un autre désaccord conduirait à provoquer des tensions entre les deux alliés, d’après un responsable au sein de la formation chiite. « Aoun veut que le Hezb s’engage à soutenir Bassil à la prochaine présidentielle, mais le parti n’a pas encore pris sa décision finale à ce sujet », dit le responsable.
Un nouveau « roi chrétien »
L’arrivée à Baabda de son gendre, Gebran Bassil, semble être l’ultime objectif du président. C’est pourquoi il a refusé d’entamer les discussions avec les autres parties afin de repousser les élections législatives et de s’assurer que le prochain président soit élu par la Chambre actuelle. Michel Aoun a sans doute compris qu’en l’état actuel, son gendre avait très peu de chances de l’emporter, compte tenu du flou entretenu par le Hezbollah, de l’hostilité de la majorité des partis et des sanctions américaines à son encontre. Afin d’éviter ce scénario, le président a rappelé aux acteurs locaux et internationaux qu’il lui était possible d’empêcher la prorogation du mandat du Parlement et d’exiger que le gouvernement demande même sa dissolution. Les opposants de Michel Aoun craignent d’ores et déjà que celui-ci refuse de quitter le palais à la fin de son mandat, en octobre 2022, prétextant d’un vide gouvernemental ou de l’illégitimité d’une Chambre dont le mandat a été prolongé. Il faut cependant rappeler que le président a été lui-même élu après 891 jours de vacance présidentielle par un Parlement qui avait prorogé son mandat.
Mais Michel Aoun n’est pas son prédécesseur Michel Sleiman. Il considère que son mandat ouvre une nouvelle étape : « Il n’y aura plus de président de la République qui ne représente personne, ni même lui-même, mais plutôt quelqu’un qui représente sa base populaire », a-t-il lui-même déclaré à l’occasion de la fête de l’Indépendance. Le message est sans ambiguïté : la présidence revient à celui qui est le plus fort chez les chrétiens. Le président semble faire le calcul que, grâce au soutien du Hezbollah, et malgré ces différends avec ce parti, Gebran Bassil peut demeurer le plus fort sur la scène chrétienne. Qu’adviendra-t-il alors si, à l’issue des législatives, à supposer qu’elles se tiennent, un nouveau « roi » chrétien émerge ? Si par exemple le chef des FL, Samir Geagea, obtient plus de sièges que Gebran Bassil ? « Dans ce cas-là, Aoun bloquera la formation d’un nouveau gouvernement (qui sera alors en charge de gérer les affaires courantes) et refusera de quitter Baabda, tant qu’il n’y a pas un package deal englobant la formation du cabinet et le choix de son successeur », dit un homme politique de premier plan opposé au président. « Si les élections législatives n’ont pas lieu, il restera au palais et sollicitera, au sein de la structure actuelle, une prolongation. Cette décision sera entre les mains du Hezbollah », ajoute-t-il. Plus que jamais, le président sait que son sort est lié à celui du parti de Dieu. Et, là aussi, l’expérience passée amène à penser que s’il n’obtenait pas prochainement un engagement clair de la part de la formation chiite, il pourrait faire monter les enchères avec celle-ci. C’est la dernière carte dont il dispose.
Au Liban, l’histoire donne parfois le sentiment de se répéter. Lorsque le président de la République, Michel Aoun, déclare la semaine dernière, dans une interview au journal pro-Hezbollah al-Akhbar, qu’« à la fin de son mandat », il ne « remettra pas le pouvoir au vide », c’est tout un pays qui replonge d’un coup à la fin des années 80. À une époque où...
commentaires (26)
Mr Rabih, Aoun ne décide de rien depuis un bon moment, si je puis dire...
DJACK
21 h 52, le 30 novembre 2021