
Le président du Parlement Nabih Berry. Photo Ali Fawaz
En novembre 2018, la fièvre électorale était déjà élevée à six mois des législatives. Cette année, et alors que le mois de novembre tire à sa fin, le paysage s’annonce déroutant et rien n’augure pour l’heure que les élections auront lieu au printemps. Bien que les machines des partis politiques aient été actionnées depuis peu, l’incertitude continue de planer sur la date du scrutin, qui fait l’objet d’un bras de fer entre le président du Parlement Nabih Berry et le président de la République Michel Aoun, via le Conseil constitutionnel. L’ambiguïté est telle que même les experts électoraux, voire certains partis politiques, ne peuvent assurer avec conviction quelle sera la destinée de cette échéance pourtant cruciale pour l’avenir du pays. Ce dont on est presque sûr pour l’heure, c’est que le scrutin ne pourra pas se tenir le 27 mars prochain comme souhaité par la majorité des protagonistes.
Aoun-Berry 1-0
Face à la défiance qui a gagné la rue au lendemain de la révolte du 17 octobre 2019, suivie de l’explosion au port le 4 août 2020, l’imprévisibilité des résultats d’une bataille qui ne sera pas très aisée pour les partis traditionnels a laissé sceptiques nombre d’experts qui craignent que l’échéance ne soit effectivement reportée. La guerre autour de la pertinence de la date des législatives, qui s’est récemment corsée avec le recours déposé par le Courant patriotique libre auprès du Conseil constitutionnel pour contester nombre d’amendements apportés par le Parlement à la loi électorale, notamment le rendez-vous du scrutin, n’a fait que renforcer ces doutes. Alors que le chef du mouvement Amal, soutenu par d’autres formations politiques, souhaite que les élections se tiennent au plus tôt, soit le 27 mars, le CPL préfère que la consultation se tienne le 8 ou le 15 mai. Une querelle de clocher qui a fini par donner l’impression que toute cette mise en scène futile dissimule une volonté de reporter ou d’annuler l’échéance pour maintenir le statu quo. Les propos menaçants tenus par le chef de l’État le 19 novembre ont dans ce contexte sonné comme un nouveau défi lancé au président de la Chambre. Michel Aoun a en effet affirmé qu’il ne signera pas le décret de convocation pour le 27 mars du collège électoral, et qu’il n’approuvera que les dates du 8 ou du 15 mai, tout en se prononçant contre la prorogation de la présente législature. « Le bras de fer s’arrêtera là. Il est clair que le président a bien manié l’arme dont il disposait (la signature du décret de convocation du collège électoral ). Il a marqué un but contre Nabih Berry », reconnaît une source proche des milieux de Aïn el-Tiné.
Mohammad Chamseddine, chercheur à la société de sondage al-Dawliya Lil Maaloumat, est également convaincu que le conflit entre les deux hommes n’ira pas au-delà de ce stade. « La bataille autour de la date des législatives ne peut s’expliquer que par un seul objectif, qui était celui de bisquer le camp aouniste. Nabih Berry savait dès le départ que cette bataille était perdante », dit-il. Ce n’est donc pas, selon lui, une volonté d’orchestrer une annulation en amont du scrutin, mais plutôt de poursuivre la politique entamée par M. Berry de torpillage du mandat Aoun.
Bataille de survie politique
Dans les milieux d’Amal, on confirme d’ailleurs la volonté du chef du législatif d’organiser les élections quelle que soit la date qui sera finalement retenue. « Nous prenons le plus au sérieux cette échéance. Nos machines électorales fonctionnent déjà à plein régime », commente Fadi Alamé, député berryiste. La démission, vendredi dernier, du président du Conseil du Sud, Kabalan Kabalan, qui souhaite présenter sa candidature dans la Békaa-Ouest, est dit-on le meilleur indicateur de la détermination de Nabih Berry à s’engager dans la bataille électorale.
Nombreux sont les experts électoraux qui le répètent à l’envi : les partis traditionnels, qui ont concocté une loi électorale qui les favorise quelles que soient les circonstances, n’ont rien à craindre. Si certaines formations risquent de laisser des plumes lors de ce scrutin, une telle appréhension n’existe pas dans les rangs du tandem chiite Amal-Hezbollah qui, disent les experts, reste inamovible dans ses régions.
Tel n’est pas l’état d’esprit qui anime toutefois les membres du mouvement Amal. « Nous ne pouvons pas dormir sur nos lauriers en nous disant que le tandem n’a rien à craindre. C’est une bataille de survie politique nécessaire pour s’affirmer aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, face à la communauté internationale », commente M. Alamé. Un avis que rejoint en partie Kamal Féghali, statisticien et expert électoral. Selon ses estimations, les deux formations qui doivent s’inquiéter le plus, ce sont précisément le mouvement Amal et encore plus le CPL qui a le couteau sur la gorge. Ces deux partis étaient, rappelons-le, les plus conspués dans les rangs de la contestation. Les sanctions américaines qui ont frappé le chef du CPL Gebran Bassil et des responsables du mouvement Amal ont contribué à réduire leur marge de manœuvre politique.
Financement au compte-gouttes
La part du tandem chiite au sein de l’hémicycle ne sera pas pour autant rognée. Ce qu’il pourrait toutefois craindre, c’est de ne plus pouvoir, avec ses alliés, prétendre à une majorité confortable, soit près de 70 % des sièges. « Tout au mieux, il pourra conquérir la moitié des sièges à la lumière surtout de l’affaiblissement du CPL », dit M. Féghali. Certains analystes font toutefois état de l’inquiétude que ressent le Hezbollah en coulisses quant aux faibles résultats que pourraient recueillir ses deux alliés favoris, Amal et le CPL.
« Le clientélisme exercé par le biais de l’État jadis considéré comme une vache laitière au service des patrons politiques ne peut plus se pratiquer comme avant, l’État étant aujourd’hui en faillite », commente un analyste. Une situation qui rendra la tâche extrêmement difficile à certains partis traditionnels qui puisaient allègrement dans les ressources publiques. Le problème se posera donc pour le financement des machines électorales. « M. Berry ne mettra jamais la main à la poche pour financer les élections. Le défi de trouver les moyens nécessaires sera donc très grand », poursuit l’analyste. Un candidat potentiel issu des rangs d’Amal reconnaît à son tour la difficulté de financer la campagne. Le plafond des dépenses électorales, fixé par la loi à 750 millions de livres libanaises pour chaque candidat (calculé sur la base du nouveau taux déterminé après la dépréciation de la livre), posera un casse-tête pour ce qui est du retrait au compte-gouttes des sommes auprès des banques, lorsqu’elles sont disponibles. « Comment faire si je ne peux pas retirer plus de 20 millions de LL par mois de ma propre banque ? » s’interroge ce candidat. Le financement sera tout aussi problématique pour le chef du CPL. Frappé de sanctions US, Gebran Bassil aura du mal à convaincre les hommes d’affaires sur lesquels il pouvait jadis compter pour financer sa campagne. Pour Kamal Féghali, beaucoup de partis ont intérêt à ce que les élections sautent même si la pression internationale est forte.
« Ce n’est pas du tout dans notre intérêt », rétorque Fadi Alamé. Il justifie ses propos par le fait que le mouvement dont il relève doit absolument remédier à la profonde crise de confiance qui a frappé de larges franges de la population et donc des électeurs. « M. Berry est convaincu qu’il faut absolument que le scrutin ait lieu. Si la participation est importante, le message le sera tout autant, aussi bien pour notre base populaire que pour la communauté internationale », conclut le député.
En novembre 2018, la fièvre électorale était déjà élevée à six mois des législatives. Cette année, et alors que le mois de novembre tire à sa fin, le paysage s’annonce déroutant et rien n’augure pour l’heure que les élections auront lieu au printemps. Bien que les machines des partis politiques aient été actionnées depuis peu, l’incertitude continue de planer sur la date...
commentaires (7)
Le bras de fer entre les deux vendus attitrés risque de torpiller les législatives? Il n’y a aucun bras de fer, seulement une entente pour arriver à garder le pouvoir qui leur sert d’armure pour échapper aux sanctions internationales et locales des crimes qu’ils ont et continuent de commettre sur le peuple au risque de voir disparaître notre pauvre pays. Si vous n’avez pas encore compris leur manège c’est que vous ne voulez pas comprendre et ça c’est beaucoup plus grave que leur bras de fer ou bras cassés desquels ils arrivent encore à se servir pour achever le pays. Que faisons nous en attendant? On se contente de compter les rounds de leurs mésententes simulées et attendons leur bon vouloir de lâcher le pouvoir et renoncer à leurs privilèges frauduleusement acquis.
Sissi zayyat
12 h 22, le 25 novembre 2021