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Depuis samedi, minuit, les dés sont jetés. 244.442 Libanais vivant à l’étranger se sont inscrits pour voter aux législatives de 2022, soit trois fois plus qu’en 2018, lorsque 82,965 Libanais s’étaient enregistrés. Durant des semaines, des citoyens et des associations - de la société civile surtout - ont interpellé les Libanais de la diaspora pour qu’ils se mobilisent. Dans un contexte d’effondrement général du Liban et de grande défiance à l’égard de la classe politique, le scrutin est perçu par beaucoup comme étant décisif. Les chiffres témoignent en tous cas d’un réel élan pour y participer.
Et ce malgré le fait que la tenue même du scrutin est aujourd’hui incertaine, surtout après que le président de la République, Michel Aoun, a affirmé qu'il ne signera pas le décret de convocation du collège électoral pour des élections législatives le 27 mars prochain, et qu'il n'approuvera que les dates du 8 ou du 15 mai 2022. Mais s’il se tient, il donnera une occasion à la diaspora de voter pour la deuxième fois dans l’histoire de la République libanaise, après l’expérience en demie teinte de 2018.
Cette année-là, 82,965 Libanais de l'étranger s'étaient inscrits, mais le jour du scrutin, un peu plus de la moitié seulement des inscrits avaient effectivement voté. Et ce alors qu'il s’agissait des premières législatives depuis 2009, les députés libanais ayant prorogé leur propre mandat à trois reprises. Il s’agissait aussi des premières élections se déroulant selon le mode de scrutin proportionnel. En 2018, la majorité des inscrits de la diaspora étaient maronites. Les partis chrétiens avaient obtenu le plus grand nombre de voix des électeurs de l'étranger, que ce soit le Courant patriotique libre ou les Forces libanaises.
Comment lire les données de 2022 ?
Les résultats de 2022 pourraient toutefois être différents, notamment si l’on tient compte de la forte mobilisation. Il s'agira en effet de la première échéance électorale depuis la thaoura de l'automne 2019, lors de laquelle était scandé le slogan "kellon yaane kellon" (Tous c’est-à-dire tous), qui incarnait une volonté "dégagiste" face à une classe politique jugée corrompue et incompétente. Par ailleurs, en raison de la crise économique qui frappe le pays de plein fouet depuis plus de deux ans, de nombreux Libanais ont émigré ces dernières années et pourraient vouloir "sanctionner" le pouvoir en place par leur vote.
Zeina Helou, experte en comportement électoral, explique l’augmentation du nombre d’inscrits par "les campagnes de la société civile, ainsi que par l'engagement des partis traditionnels, qui ont poussé la diaspora à s’inscrire pour voter". Mais, ajoute-t-elle, "il y a également ces Libanais, principalement jeunes, qui ont quitté le Liban après la contestation populaire du 17 octobre, et qui sont marqués par cet épisode. Cela explique notamment l’augmentation du nombre de votants en Asie et en Europe".
Le nombre d'inscrits représente-t-il dès lors une aubaine pour les partis se réclamant de la thaoura, qui misent sur le vote des non-résidents pour amplifier ses scores ? Pas nécessairement, à en croire les experts. "En 2018, les partis de l’opposition n’ont obtenu que 6 % des voix des émigrés", rappelle Georgia Dagher, chercheuse et experte électorale. Un scénario qui pourrait se répéter en 2022 ? "L’idée selon laquelle les Libanais résidents à l’étranger sont complètement déconnectés du clientélisme et du confessionnalisme libanais est erronée. Ces gens-là ont de la famille au Liban", renchérit Zeina Helou.
Si Diana Menhem, directrice du think tank et plateforme électorale Kulluna Irada, qui a activement fait campagne en faveur de l’inscription des non-résidents, reconnaît que le vote en 2018 n’était pas favorable au camp réformateur, elle espère que ce scrutin sera différent. "Nous misons sur ceux qui ne s’étaient pas inscrits en 2018 et qui vont voter cette fois-ci. Pour nous, ce sont ces électeurs-là qui pourraient soutenir le changement", affirme-t-elle. Une stratégie qui semble convaincre Georgia Dagher. "Il est beaucoup plus facile de convaincre de nouveaux électeurs que de modifier le comportement électoral de ceux qui ont déjà voté par le passé", estime-t-elle.
Plus de 14 000 votes en moyenne
Le problème cependant, c’est que tous les inscrits n’iront pas voter. "En 2018, seulement un peu plus de la moitié des inscrits non-résidents ont fini par déposer un bulletin dans l'urne. Cela est dû à plusieurs facteurs comme la proximité des bureaux de vote, les conditions climatiques, les papiers non-valables, et ainsi de suite. Les électeurs peuvent aussi avoir changé d’avis pour de nombreuses raisons", explique Zeina Helou. Il n'en demeure pas moins que l'augmentation du nombre d'inscriptions entraînera de facto l'augmentation du nombre de bureaux de vote. "La loi exige qu’un bureau de vote soit ouvert pour chaque 200 inscrits. En maximisant le nombre d’inscrits, on augmente donc la probabilité qu’il y ait un bureau de vote à proximité du plus grand nombre, ce qui devrait réduire l’abstention", souligne Georgia Dagher.
Même en cas de mobilisation massive de la part de la diaspora en faveur des mouvements d’opposition, l’influence de ces derniers risque toutefois de rester limitée. "Les électeurs sont divisés sur 15 circonscriptions électorales. Leur influence est donc diluée", estime Zeina Helou. Elle est rejointe par Georgia Dagher, qui précise toutefois qu’il y a des divergences régionales. "La diaspora aura probablement plus d’influence dans les circonscriptions les plus compétitives, comme Beirut 1 ou le Mont-Liban 4 (Aley et Chouf), où le seuil électoral est bas", affirme-t-elle.
Diana Menhem se veut cependant plus optimiste. "200 000 inscrits sur 15 circonscriptions, c’est plus de 14 000 votes en moyenne dans chaque circonscription électorale. Un apport plus que bienvenu, surtout dans les régions où l’on frôle un ou deux seuils électoraux, espère-t-elle. Le travail avec la diaspora vient tout juste de commencer, et nous allons nous assurer que le plus grand nombre d'inscrits se rendra effectivement aux urnes."
Depuis samedi, minuit, les dés sont jetés. 244.442 Libanais vivant à l’étranger se sont inscrits pour voter aux législatives de 2022, soit trois fois plus qu’en 2018, lorsque 82,965 Libanais s’étaient enregistrés. Durant des semaines, des citoyens et des associations - de la société civile surtout - ont interpellé les Libanais de la diaspora pour qu’ils se mobilisent. Dans un...
commentaires (15)
Je viens d'avoir une vision: Et si tous les libanais votaient pour un parlement expatrié, non basé sur la répartition confessionnelle ? N'aurait-on pas plus de légitimité que tous ces candidats qui se présentent sous des bannières religieuses...? Je range immédiatement cette vision au placard et vais, un peu amer, me servir une Frankenheim Alt. Un peu honteux, aussi.
EZZEDINE Hussein
19 h 13, le 28 décembre 2021