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Lifestyle - Beyrouth Insight

La première chocolaterie du Liban fait peau neuve

Après la double explosion dévastatrice du 4 août 2020, Attié Frères a réparé ses locaux, lourdement endommagés, et reprend la confection de ses fameux nougats et incontournables marguerites. Une saveur indélébile qui imprègne encore la mémoire des Libanais.

La première chocolaterie du Liban fait peau neuve

Pierre, Suzie et leur fils Joseph devant la première enrobeuse de chocolat importée au Liban et repeinte en rouge. Photo João Sousa

Une abeille sur fond blanc encadrée par des alvéoles couleur miel. Le dessin est simple, presque naïf, comme tracé par une main d’enfant. Cet emballage reconnaissable depuis presque 90 ans est un peu la marque de fabrique des nougats de Montélimar des frères Attié qu’il enveloppe. Fondés depuis 1932, l’atelier et la boutique, situés à la rue Pasteur, à Beyrouth, viennent de se refaire une beauté et une nouvelle jeunesse après la tragique double explosion du 4 août 2020. Il suffit de revoir cet emballage pour que se bousculent une multitude de souvenirs chaleureux et rassurants, nous ramenant à ces années où la vie était douce et tout pouvait se régler par une étreinte ou un sourire. Les pièces blanches au goût de miel, fondant dans la bouche de ses aficionados, qu’ils savouraient les yeux fermés, étaient synonymes de bonheur et de douceur de vivre pour grands et petits. Les marguerites au chocolat noir et brillant faisaient, avec leur subtile amertume, le même effet. Attié Frères, confectionneur de nougat de Montélimar et de chocolat surfin, comme imprimé sur ses boîtes, était même le fournisseur de la présidence de la République jusqu’aux années 70, à la fin du mandat de Sleiman Frangié. Une visite dans ses ateliers est à la fois une promenade dans le passé et dans le présent avec une explosion de couleurs, un retour à la vie, quelques machines conservées et exposées et des produits intacts.


Attié Frères avec pignon sur la rue Pasteur, revisité par l’architecte d’intérieur Marine Bustros. Photo DR

Car l’histoire de la confiserie remonte à 1928, quand Georges Attié embarque pour la France apprendre à faire des confitures. « Mais il a changé d’avis et a préféré suivre des formations auprès des plus importants confiseurs de l’Hexagone de l’époque, parmi lesquels Jacquin et Marquise de Sévigné. Il est revenu avec, en plus d’un savoir-faire neuf, la recette des nougats de Montélimar », raconte aujourd’hui son fils Pierre. À peine rentré, il ouvre avec son frère Joseph une chocolaterie dont le succès ne s’est jamais démenti. « Mon père et mon oncle étaient les premiers au Liban à confectionner du chocolat. Il existait des marques importées qui vendaient leurs produits dans le pays, mais avant eux, personne ne fabriquait du chocolat localement. Nous étions aussi et durant longtemps les premiers confiseurs à avoir pignon sur rue. Notre boutique possédait une vitrine de 34 mètres de long au niveau de l’actuelle avenue Béchara el-Khoury. C’est avec les travaux d’agrandissement des rues de Beyrouth que mon père a installé la boutique et l’atelier ici, à la rue Pasteur », poursuit Pierre Attié.


Les fameuses marguerites au chocolat qui ont fait la signature des frères Attié. Photo João Sousa

Les premiers

Durant les années trente, les deux frères rapportent marchandises et matériel de France, d’Allemagne et des Pays-Bas. Pour le nougat, les machines seront importées de France, de même que les papiers paraffinés et le papier hostie. Pour la confection de chocolat, les machines viendront d’Allemagne et du Royaume-Uni avant d’être montées à la rue Pasteur par des techniciens allemands. Aujourd’hui, dans ce nouveau cadre, il reste de cette installation une chaudière et une poulie que l’on peut découvrir dans l’atelier restauré grâce à des fonds versés par l’ONG Baytna Baytak qui a pris en charge la reconstruction de plusieurs maisons détruites à Beyrouth. Dans les souvenirs de Pierre, qui a pris avec son frère Bernard la relève de son père et de son oncle en 1967, de nombreux souvenirs restent attachés à cette belle époque : « Nous étions aussi, grâce à des moules importés d’Europe, les premiers à confectionner des œufs, des lapins et des poules en chocolat pour Pâques. Les passants fascinés s’arrêtaient devant notre vitrine juste pour admirer la décoration de la fête. Ils ne pouvaient pas concevoir que les œufs soient vides de l’intérieur ! Agardich, un technicien arménien qui habitait Bourj Hammoud et s’occupait de l’entretien des machines de mon père, me confiait que, souvent, il prenait exprès la rue Pasteur au lieu de la rue Gouraud en rentrant chez lui juste pour passer devant notre chocolaterie et admirer les œufs de Pâques. »

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Joseph, 20 ans, le fils de Pierre, se souvient à son tour des visites à la confiserie et de ces instants magiques où, enfant, il aidait à emballer les carrés de nougat. « Petit, j’aidais mes parents… surtout en mangeant les nougats et les chocolats ! » avoue-t-il en souriant. Aujourd’hui, le jeune homme veut assurer la suite. « C’est une chance de reprendre une enseigne qui a pignon sur rue depuis 1932 et appréciée par tous les Libanais, qu’ils habitent le pays ou ailleurs » – Attié Frères a aussi parmi ses clients des membres de la famille régnante du Koweït, et des dirigeants du Qatar et d’Arabie saoudite. « Durant le confinement, je venais souvent à l’atelier aider mon père et mon oncle. J’ai pris goût au métier. Quand j’ai commencé à envisager des plans d’avenir, l’explosion a tout emporté. Nos ateliers aussi... »


Des photos qui retracent l’histoire des frères Attié ornent les murs du nouvel espace. Photo João Sousa.

Une boîte à curiosités

Ce 4 août 2020, la famille était bien heureusement en montagne. Pierre, revenu en catastrophe, découvre un blessé parmi ses artisans et sa chocolaterie entièrement dévastée. Les ONG Baytna Baytak et The House of Christmas interviendront une semaine plus tard en proposant de tout reconstruire. Le chantier prend du temps à être lancé et les Attié, devant l’ampleur de la catastrophe, ne pensent même pas, dans cette ville ravagée, à remplacer ou tenter de fermer les portes défoncées. Les machines, douze en tout, seront entièrement ou partiellement volées. « Celles qui n’ont pas été emportées ont été dépouillées de leur cuivre. Aujourd’hui, nous confectionnons les marguerites à la main, une à une. Auparavant, nous les produisions par lots de 36. Les machines à nougats achetées en 1932 ont perdu leur cuivre. Il nous faut des dizaines de milliers de dollars pour les remplacer. Elles sont actuellement en réparation », précise Pierre. Alors, quand la reconstruction des locaux s’est achevée, le temps de la décoration a sonné. Marine Bustros, architecte d’intérieur, diplômée de l’ALBA et de l’École polytechnique de design de Milan, lauréate du German Design Award, sera choisie pour repenser et reconstruire l’espace. « Il fallait en même temps renouveler et préserver le patrimoine de Beyrouth. La confiserie avait trois vitrines, dont une, la salle de vente, qui était visible aux passants. Les deux autres étaient condamnées car elles donnaient sur le dépôt. J’ai voulu concevoir l’espace comme une boîte à curiosités qui attire les passants », explique-t-elle.


Des traces du passé, les premières machines sont encore là pour le souvenir. Photo João Sousa

Outre l’atelier qui a été refait, l’espace adjacent à l’hôpital du Rosaire et faisant face au port de Beyrouth a été divisé en trois parties. La première est la salle de vente, la deuxième est un lieu de rencontre où une table a été placée, cette salle pouvant être utilisée plus tard comme un café, et la troisième, où trône la première enrobeuse de chocolat importée au Liban repeinte en rouge, a été pensée un peu comme un musée. « Aujourd’hui, on y découvre une série de photos anciennes de l’atelier au fil des ans et jusqu’à sa destruction après le 4 août. Plus tard, cet espace pourra retracer l’histoire du chocolat au Liban », précise l’architecte d’intérieur. Le packaging s’est également rajeuni, conservant néanmoins les mêmes couleurs et la même calligraphie de la chocolaterie sur des boîtes en carton qui peuvent contenir un kilo, 500 grammes et – signe des temps présents – une once de marguerites ou de rochers au chocolat.


Un espace coloré et vivant pour une nouvelle page. Photo DR

Dans deux mois, Attié Frères reprendra la confection de ses nougats, dès que le cuivre volé des machines sera remplacé. Peut-être bien qu’à ce moment-là, Beyrouth aura retrouvé son goût du bonheur. Et que, un peu, beaucoup, passionnément, en effeuillant leurs marguerites au chocolat, les sourires reviendront…


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Attié Frères : la crise économique pèse aussi sur la confiserie

Nada ALAMEDDINE

Attié Frères devrait de nouveau fonctionner à plein régime au début du mois de décembre en prévision des fêtes de fin d’année, après une ouverture en soft opening il y a deux semaines. Différentes ONG libanaises sont venues en aide à la famille pour restaurer de fond en comble les locaux détruits par la double explosion, repositionner la marque Attié sur le marché libanais et remplacer le matériel. Après le 4 août 2020, des voleurs avaient profité du chaos régnant dans la rue pour subtiliser du matériel dans l’usine pour une somme avoisinant les 15 000 dollars. Au total, environ 90 000 dollars ont été investis par les ONG Baytna Baytak, Mada et The House of Christmas soutenues par des associations de la diaspora, comme Life, Seal, Humanité nouvelle ainsi que des donateurs privés. Les locaux de l’usine ont été réagencés afin d’optimiser l’espace. « L’entreprise est quasi centenaire, c’était inconcevable pour nous de tirer un trait sur cet héritage. Il n’a jamais été question de fermer », explique Pierre Attié, 72 ans, copropriétaire avec son frère Bernard de l’entreprise et fils du fondateur de la marque, Georges Attié.

Développer la marque

Pourtant, le plus dur reste à faire pour la famille Attié. Depuis le début de la crise économique, la confiserie avait dû diviser par deux sa production en passant de 5 tonnes de chocolat produites par an à 2,5, et de 6 tonnes de nougat à 3. Si certaines matières premières comme les amandes ou le miel, nécessaires à la réalisation des nougats, peuvent être trouvées au Liban, le cacao doit, lui, être importé de Grande-Bretagne au prix fort. Plusieurs employés de l’entreprise ont, en outre, quitté le pays, et il faudra embaucher et former de nouveaux ouvriers dans les prochaines semaines. Les coupures d’électricité, elles, se sont intensifiées ces derniers mois, la famille Attié devant pour l’instant adapter sa production au bon vouloir des générateurs en attendant des solutions alternatives. Avec le concours des ONG qui soutiennent la marque, la famille pourrait néanmoins tripler sa production dans les prochains mois. « Il y a aussi la question de la clientèle, ajoute Pierre Attié. Depuis l’explosion, de nombreux habitués ont quitté le pays. Nous verrons dans les prochaines semaines si la demande est toujours là. » Pour ce faire, la marque, représentée dans les boutiques La Cigale et Aziz à Zalka, va prochainement intensifier sa présence au Liban en vendant ses produits dans différents hôtels et boutiques. Elle pourrait ensuite se développer à l’étranger en participant à des Salons internationaux du chocolat à Londres, Dubaï ou Abou Dhabi. Dans les années à venir, la possibilité de franchiser à l’étranger sera aussi étudiée, même si rien n’est encore signé. La grille tarifaire n’a pas encore été finalisée, mais la famille souhaite se positionner 5 à 10 % en dessous des prix du marché.

Cet article, réalisé dans le cadre d’un partenariat avec Hodema Consulting Services, n’a aucune vocation promotionnelle. Ce rendez-vous hebdomadaire sera consacré au secteur de la restauration et de l’hôtellerie qui continue, malgré tout, de se battre.


Une abeille sur fond blanc encadrée par des alvéoles couleur miel. Le dessin est simple, presque naïf, comme tracé par une main d’enfant. Cet emballage reconnaissable depuis presque 90 ans est un peu la marque de fabrique des nougats de Montélimar des frères Attié qu’il enveloppe. Fondés depuis 1932, l’atelier et la boutique, situés à la rue Pasteur, à Beyrouth, viennent de se...

commentaires (5)

Très beau récit et un grand merci d'avoir partagé ces histoires car nous devons tous être fiers de ces professionnels qui dessinent nos quartiers et enrichissent nos assiettes!

Georges Olivier

23 h 38, le 11 novembre 2021

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • Très beau récit et un grand merci d'avoir partagé ces histoires car nous devons tous être fiers de ces professionnels qui dessinent nos quartiers et enrichissent nos assiettes!

    Georges Olivier

    23 h 38, le 11 novembre 2021

  • Sweet!!!

    Wlek Sanferlou

    16 h 57, le 11 novembre 2021

  • Que d'émotions on ressent en lisant cet article. Elles éveillent les papilles et les souvenirs. Merci Patricia!

    Roula Freiha

    10 h 57, le 11 novembre 2021

  • Super, il faudrait faire un musée des Arts et métiers au Liban, et surtout acheter li-ba-nais, courage, nous y arriverons.

    Christine KHALIL

    09 h 36, le 11 novembre 2021

  • Y a-t-il une possibilité d acheter on line?

    leylaricha

    06 h 02, le 11 novembre 2021

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