Nous connaissons tous le rôle moteur qu’a joué l’enseignement pour valoriser les Libanais et leur ouvrir les chemins de la réussite un peu partout dans le monde. Nos scientifiques, médecins, ingénieurs, enseignants… ont occupé et occupent des postes-clés dans les pays où ils ont immigré. Quels sont les ingrédients qui ont produit cette réussite ?
Le credo des Libanais est simple : il faut aller à l’école, il faut réussir ses études et obtenir les plus hauts diplômes si possible. Et pour que ce soit possible, chaque famille libanaise est prête à tous les sacrifices. Mais toutes les familles n’ont pas les moyens de payer à leurs enfants des études supérieures, surtout dans les pays riches. Qu’à cela ne tienne : toute la famille accepte de faire les sacrifices nécessaires en économisant sur tout, même parfois sur l’essentiel, ou en vendant le lopin de terre qu’elle possède pour que les enfants puissent obtenir les diplômes tant désirés soit au Liban, soit en France, ou aux États-Unis, ou ailleurs. N’oublions pas de mentionner, parmi les sacrifices que consentent les familles, le traumatisme affectif provoqué par le départ de l’enfant qui quitte ses parents et son pays.
Mais pour que l’enfant réussisse, il a aussi besoin de bons professeurs. On ne dira jamais assez à quel point la plupart des professeurs libanais sont exceptionnels. Ils considèrent que la réussite de leurs élèves est leur sienne propre et n’épargnent aucun effort pour y parvenir. Ils veulent leur transmettre tout leur savoir avec une générosité sans pareil, souvent en leur consacrant du temps en dehors des cours.
L’État, donc le pays, joue aussi un rôle important en consacrant une partie de son budget à l’enseignement. Une génération d’étudiants coûte aux parents, aux professeurs et à l’État beaucoup d’argent, de sacrifices et souvent des larmes pour financer leurs études. Quel est le retour pour le pays de cet énorme investissement ?
Un très important retour de cet investissement est l’ensemble d’étudiants qui, à la fin de leurs études supérieures, réussissent si brillamment et dont nous sommes tous si fiers. Le Liban devrait donc disposer d’une élite de citoyens capables de rendre à leur pays l’investissement qu’il a fait pour eux. Entre autres, ils peuvent contribuer à son développement en y construisant, en collaboration avec les industriels du pays, des usines, en y faisant de la recherche et en développant de nouveaux produits qu’il peut exporter et qui l’enrichissent.
Malheureusement, rien de tout cela ne se fait car la plupart du temps, les étudiants exceptionnels vont travailler dans les pays qui les accueillent. On ne peut que remercier ces pays, et tant mieux pour eux s’ils profitent de leurs compétences sans avoir dépensé l’argent payé sur toute une génération pour les faire émerger, car ils leur offrent la possibilité de réussir. C’est une opération gagnant-gagnant pour les Libanais qui sont accueillis et pour les pays qui les accueillent.
Le grand perdant est le Liban qui a tant investi pour leur formation. Il a produit et exporté des cerveaux, et, en se vidant continuellement de l’élite qui doit le faire progresser, il régresse de plus en plus. Il est vrai qu’il reste beaucoup de Libanais exceptionnels au Liban, mais cela ne nous console pas quand on pense à ce que serait le Liban si une partie de ces excellents Libanais disséminés partout dans le monde étaient rentrés pour le développer, créer les industries du futur et le hisser à un haut rang mondial pour son développement. En effet, nous savons que la réussite des jeunes de chaque génération est pyramidale et que ceux qui sont au sommet de la pyramide possèdent le plus grand potentiel pour le développement du pays. Mais la stratégie politique libanaise n’allait pas du tout dans ce sens et nous ne voyons malheureusement que trop bien ses conséquences catastrophiques.
La première priorité est de sauver l’enseignement au Liban, surtout pendant cette rentrée chaotique, car le pays se vide de ses professeurs. La seconde priorité serait d’essayer, s’il n’est pas trop tard, de changer notre stratégie pour construire l’avenir du Liban en créant les opportunités pour le retour des cerveaux. C’est plus que difficile, j’en conviens. Mais ceux qui sont prêts à relever le défi doivent se mobiliser car le Liban ne peut pas continuer à s’endetter pour dépenser, d’autant plus que les créanciers ont montré les limites de cette stratégie. C’est la seule solution possible car il faut sortir de la seule voie de l’endettement, qui est sans issue. Toutefois, attention aux faux espoirs, car ni la bonne volonté ni les discours, fussent-ils très éloquents, ne peuvent produire le moindre effet dans le développement industriel novateur. Les appels lancés par le passé aux Libanais de la diaspora, qui ont toujours aidé le Liban, sont là pour prouver leur inefficacité dans ce domaine. Et que l’État sans moyens propose de développer l’industrie libanaise ne relève pas moins de l’utopie. Personne n’accepterait aujourd’hui de transférer de l’argent dans les banques libanaises pour investir au Liban, ni les cerveaux libanais n’accepteraient de revenir pour le moment. Encore une fois, que ceux qui veulent relever le défi se mobilisent car c’est le seul espoir pour le Liban.
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