En revotant les amendements apportés il y a une dizaine de jours à la loi électorale en vigueur, la Chambre des députés a sans aucun doute infligé hier un camouflet au président de la République, Michel Aoun. Mais telle n’est pas la seule conclusion à tirer de la réunion parlementaire d’hier. Le vote autour de l’amendement portant sur le vote des émigrés a montré qu’un bon nombre de groupes parlementaires sont prêts à aller très loin dans le bras de fer qui les oppose au Courant patriotique libre et à son chef, Gebran Bassil. Ils peuvent même enfreindre la Constitution, sans vouloir le reconnaître. Une sorte de « Sainte-Alliance » multiconfessionnelle se forme donc déjà contre M. Bassil, à quelques mois de la tenue des élections législatives.
Les députés ont voté à la majorité en faveur des amendements qui prévoient le rapprochement de la date du scrutin du 8 mai 2022 au 27 mars, et le vote des Libanais de la diaspora dans le cadre des 15 circonscriptions de la métropole (les 128 sièges) et non plus au sein d’une seizième consacrée uniquement aux émigrés et comptant six sièges. Le vote sur ce second amendement a fait l’objet d’âpres débats entre les élus autour de la majorité requise.Hostile à ces amendements, le président Aoun avait renvoyé vendredi dernier au Parlement une première mouture des textes. Sur ce point, la Constitution est très claire. Son article 57 stipule que le Parlement devrait voter la loi renvoyée par le chef à la majorité absolue (la moitié plus un) du nombre total de députés qui « composent légalement la Chambre ». La majorité requise est donc de 65 députés sur 128, ce que confirme l’ancien ministre Ziyad Baroud, indépendamment du fait qu’il y a aujourd’hui 11 sièges vacants, huit députés ayant démissionné et trois autres étant décédés.
Sauf que le président de la Chambre ne l’entend pas de cette oreille. Se considérant maître incontesté des séances parlementaires, M. Berry s’est livré à une interprétation personnelle du texte constitutionnel. Il a donc fixé la majorité requise à 59 députés (sur 117) au lieu de 65 (sur 128). C’est à la faveur de cette logique qu’a été approuvé l’amendement portant sur le vote des émigrés, à 61 voix. Comme en 2018, les Libanais de la diaspora voteront donc pour les candidats en lice dans leur circonscription d’origine, et non dans une seizième qui viendrait s’ajouter aux quinze locales comme le veut le tandem Baabda-CPL. Pour protester contre cette démarche, les députés du groupe parlementaire du Liban fort, dont le CPL est la principale composante, se sont retirés de la séance. Ils préparent déjà leur contre-attaque. Le CPL étudie en effet « très sérieusement » la possibilité de présenter un recours en invalidation des modifications apportées à la loi électorale hier, confie à L’Orient-Le Jour Eddy Maalouf, député aouniste du Metn. Une démarche qui donnera le coup d’envoi à une nouvelle manche de la querelle entre le camp de la présidence et Aïn el-Tiné. D’ailleurs, Ali Hassan Khalil, bras droit du président de la Chambre, n’a pas tardé à attaquer, sans les nommer, la présidence et ses satellites. « Il est devenu clair qu’un camp voudrait torpiller ou reporter les législatives. Nous insistons pour que les élections se tiennent dans les délais constitutionnels (…) », a-t-il lancé en marge de la réunion.
Les Forces libanaises, plus grand rival chrétien du CPL, partagent ces angoisses. « Ce genre d’agissement de la part du courant aouniste suscite des craintes quant à une éventuelle volonté de torpiller le scrutin », commente pour L’OLJ Fadi Saad, député FL de Batroun, dont la formation plaide pour que les élections se tiennent dans les plus brefs délais. Une position à laquelle Meerab affiche son attachement, surtout en ces moments où le chef du parti, Samir Geagea, a pu mobiliser une grande partie de la rue chrétienne en sa faveur, après sa convocation par la justice dans le cadre de l’enquête sur les affrontements meurtriers de Tayouné. Ces incidents avaient opposé, le 14 octobre, des miliciens chiites affiliés au tandem Amal-Hezbollah à des éléments chrétiens présumés proches des FL. Mais en dépit de cela, les partis de Samir Geagea et de Nabih Berry ont convergé sur la question du vote des émigrés, dans une volonté d’affronter le parti de Gebran Bassil. « Nous divergeons avec Nabih Berry sur les questions stratégiques. Mais nous nous entendons avec lui sur la nécessité de tenir les élections », explique M. Saad, soulignant que le vote des émigrés n’était pas entaché d’infraction à la Constitution. Selon lui, les députés de la Chambre ne sont pas actuellement au nombre de 128. « Comment peut-on égaliser entre les sièges de députés occupés et les sièges vacants ? » s’est-il interrogé.
Même son de cloche du côté de Moukhtara dont le leader Walid Joumblatt veille à préserver de bonnes relations avec le président de la Chambre. Le Rassemblement démocratique s’est donc, lui aussi, montré favorable à la position de Nabih Berry. « Il n’y a pas d’infraction à la Constitution », affirme Bilal Abdallah, député joumblattiste du Chouf. « Nous avons toujours mis en garde contre la volonté de retarder le scrutin, ou d’en empêcher la tenue », dit-il.
Bassil « ne fait pas partie de nos préoccupations »
Tout comme les Marada de Sleiman Frangié, le courant du Futur fait partie de cette alliance. Les députés haririens présents au palais de l’Unesco hier ne se sont pas opposés au vote effectué en violation à la Constitution. « Tel n’est pas le cas. Nous avons eu recours à un précédent employé au moment des élections des présidents Bachir Gemayel et René Moawad », précise Mohammad Hajjar, député du Chouf (Futur). S’il tient à assurer que Gebran Bassil « ne fait pas partie des préoccupations » de sa formation, il l’accuse implicitement de mettre en péril les législatives, dans la mesure où un recours devant le CC pourrait mener à une éventuelle modification des délais prévus par la loi électorale. Un argument qu’Eddy Maalouf déconstruit en soulignant qu’« au pire des cas, les élections pourront avoir lieu en mai, au lieu de mars ».
C’est surtout la prise de position du Hezbollah qui suscite l’attention des observateurs. Allié traditionnel aussi bien du mouvement Amal de Nabih Berry que du CPL, le parti de Hassan Nasrallah a tenté de ménager la chèvre et le chou. Il a donc voté en faveur d’un avancement des élections au 27 mars, ce qui a donné 77 voix en faveur de cet amendement. Il s’est par contre abstenu de se prononcer en faveur du vote de la diaspora pour les 128 députés, alors que des parlementaires du parti s’opposaient carrément à ce que les émigrés se rendent aux urnes. Pour le parti chiite, une telle éventualité va à l’encontre de ses intérêts en cette période où il est la cible de sanctions. « Le Hezbollah tente de préserver son alliance avec les deux partis », décrypte Kassem Kassir, analyste connu pour sa proximité des milieux du Hezb. « Le Hezbollah a besoin de voir les élections se tenir et a besoin de Gebran Bassil, surtout après les accrochages de Tayouné », ajoute M. Kassir.
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Le parti aouniste, ou ce qu'il en reste, ne peut s'en prendre qu'à lui même, en rejetant des élections lors de la démission des précédents députés, assuré qu'il était de gagner sur tous les fronts, le bassil s'est pris les pieds dans la moquette et si l'article 57 stipule que la majorité plus une voix l'emporte, il devra s'y plier à moins de faire revenir voter les trois députés décédés, pratique que !es aounistes maîtrisent parfaitement
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12 h 14, le 29 octobre 2021