
Photo d’illustration : des secouristes et des témoins évacuent un blessé pendant les affrontements du 14 octobre 2021 à Beyrouth. Photo d’archives AFP
Les scènes de combat du 14 octobre ont provoqué une onde de choc au Liban et au-delà, rappelant pour certains la guerre civile de 1975 et pour d’autres les événements du 7 mai 2008. À l’époque, le Hezbollah et ses alliés, dont le mouvement Amal et le Parti social nationaliste syrien, avaient déployé des hommes armés à Beyrouth et dans les montagnes pour renverser deux décisions gouvernementales qu’ils considéraient comme une menace. Leur succès de l’époque a également ouvert la voie à un gouvernement dans lequel ils disposaient de suffisamment de ministres pour contrôler l’ordre du jour du cabinet et bloquer les décisions auxquelles ils s’opposaient.
Plus de dix ans plus tard, les milices libanaises sont de retour dans les rues, et les manifestations contre le juge organisées par le Hezbollah et Amal et les violences qui ont suivi la semaine dernière avaient un objectif politique clair : le retrait du juge Tarek Bitar, qui s’est fait de nombreux ennemis en poursuivant des politiciens de tous bords – de l’ancien ministre des Finances Ali Hassan Khalil (Amal) à l’ancien ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk (Futur) – dans le cadre de l’enquête sur la double explosion du port de Beyrouth.
Logique milicienne
La période d’après-guerre au Liban a consolidé la centralité des milices de la guerre civile, qui ont pu renforcer leurs réseaux clientélistes en se nourrissant de l’État et en siphonnant l’argent du processus de reconstruction, tout en jetant les bases de leur immunité, sapant ainsi tout processus de construction d’institutions nationales solides. Le Hezbollah en particulier, avec ses armes et son réseau d’institutions de parti, a prospéré dans cette réalité d’après-guerre. C’est l’une des raisons pour lesquelles le parti de Dieu mène aujourd’hui la lutte pour assurer la pérennité du système remis en cause par la contestation de 2019, que ce soit par sa campagne contre Bitar ou en prenant la tête de la répression et de la délégitimation des organisations de la société civile, accusées d’être à la solde de l’étranger.
C’est une logique en partie similaire qui semble dicter l’attitude des politiciens libanais dans les dossiers relatifs à la corruption dans les institutions gouvernementales et aux comptes de la banque centrale (BDL). Comme pour l’enquête sur l’explosion de Beyrouth, ils ont recours à une rhétorique politico-confessionnelle allant jusqu’à laisser planer la menace de troubles sécuritaires pour éviter de rendre des comptes. Le bras de fer qui oppose les différents protagonistes autour de la question de l’audit juricomptable de la BDL constitue un exemple de cette dynamique : le soutien affiché par le président Michel Aoun et le Courant patriotique libre (CPL) à la mise en œuvre d’un tel audit a ainsi provoqué une forte réaction de la plupart des autres partis – en particulier Amal et le courant du Futur – qui n’en veulent pas et ont réclamé à leur tour un audit du ministère de l’Énergie, contrôlé depuis plus de dix ans par le CPL.
Aucun protagoniste ne réclame en revanche un audit examinant les finances des partis politiques dominants et les réseaux tissés dans les institutions gouvernementales et le secteur privé par les milices reconverties. Bien que cela soit presque impossible, une telle enquête serait pourtant appropriée à l’heure où les réformes libanaises sont censées être de nouveau à l’ordre du jour de la reprise des négociations avec le Fonds monétaire international et les partenaires du pays...
Financements opaques
Les partis dominant la scène libanaise ne sont pas financés de la même manière que la plupart des partis dans le monde. Ils ne sont pas financés par leurs membres et ne dépendent pas d’activités de collecte de fonds, pas plus qu’ils ne comptent sur les donations d’individus partageant les mêmes idées dans le monde des affaires. Pourtant, ces organisations emploient entre plusieurs centaines et quelques milliers de personnes à temps plein dans différents domaines, depuis leurs sièges sociaux et leurs bureaux régionaux jusqu’à leurs organisations de scouts, leurs journaux, leurs armées électroniques, leurs établissements d’enseignement (qui, dans le cas d’Amal, par exemple, comprennent trois lycées), leurs bureaux de services et leurs départements de santé, sans compter tous ceux qui sont recrutés dans leurs appareils sécuritaires.
Le Parti socialiste progressiste de Walid
Joumblatt en est un exemple : il gère, directement et indirectement, l’Institut Farah pour l’assistance sociale, l’hôpital Imane, le journal al-Anbaa et la cimenterie de Sibline, qui a également des intérêts dans le secteur de l’énergie. Il a également placé des membres du parti à plein temps au sein de la bureaucratie gouvernementale. Tout cela apporte des revenus ou contribue à étendre l’influence du parti et son réseau clientéliste. Le Hezbollah joue dans une autre cour : il bénéficie d’un financement extérieur, principalement de l’Iran, et entretient des milliers de combattants à plein temps ainsi que des employés dans ses institutions sociales, ses nombreuses branches du parti et ses publications.
Parallèlement, les institutions gouvernementales de l’après-guerre ont été transformées en réseaux politiques, injectant de l’argent dans les partis. Les employés du gouvernement servent effectivement leurs partis et non l’État. Autrement dit, ces partis, dont les réseaux sont bien plus importants que ceux des partis d’autres pays de la taille du Liban, se sont nourris de leur hôte, l’État libanais.
Alors que l’économie du Liban s’est effondrée et que les institutions gouvernementales luttent pour survivre, la plupart des partis confessionnels continuent d’entretenir milices, services de santé et réseaux d’aide sociale et humanitaire. C’est pourquoi toute réforme du système doit prendre en considération cette dimension structurelle. La seule façon d’aller de l’avant est d’exiger des organes institutionnels indépendants au Liban, libres des nominations politiques sur base confessionnelle. Tel est notamment le sens d’une proposition de loi portée par l’ONG Legal Agenda et visant à empêcher la nomination des juges par les partis politiques. Elle pourrait servir de base à la réforme des processus de nomination dans d’autres institutions publiques.
Cependant, atteindre cette étape sera long et difficile. Comme l’ont montré les événements de la semaine dernière, les partis et leurs milices sont des organismes plus importants que l’État libanais et ses institutions défaillantes. Pour que le Liban se remette sur pied, la reconstruction de l’État ne peut se faire qu’en mettant un terme à ces réseaux parasites.
Par Mohanad HAGE ALI
Chercheur et directeur de la communication du Malcolm H. Kerr Carnegie Middle East Center. Dernier ouvrage : « Nationalism, Transnationalism, and Political Islam » (Palgrave, 2017).
Les scènes de combat du 14 octobre ont provoqué une onde de choc au Liban et au-delà, rappelant pour certains la guerre civile de 1975 et pour d’autres les événements du 7 mai 2008. À l’époque, le Hezbollah et ses alliés, dont le mouvement Amal et le Parti social nationaliste syrien, avaient déployé des hommes armés à Beyrouth et dans les montagnes pour renverser deux décisions...
commentaires (8)
il est non slt utile mais necessaire de faire la difference, une bonne fois pour toute entre les uns et les autres ! parler dur retour des milices tt en jetant la pierre aux duo chiite seme le doute.Aussi dire que "La période d’après-guerre au Liban a consolidé la centralité des milices de la guerre civile"" est faux. par ex, les FL,les Kataeb & les autres partis eux n'on rien fait de cela-seuls amal&hezb l'ont fait. PRECISIONS INDENIABLES .
Gaby SIOUFI
16 h 29, le 25 octobre 2021