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Nos Lecteurs ont la Parole

Entre ici et ailleurs

« On s’attache, inévitablement. Puis, inévitablement, on s’en va. Sans même refermer la porte derrière soi, puisqu’il n’y a ni portes ni murs. » Amin Maalouf

L’avion décolle. Destination Paris, Larnaca, Dubaï, Madrid, Londres, Genève, Montréal. Ils sont partout. Nous sommes partout. Le rêve de partir, la crainte du déracinement, la nostalgie d’un pays qui s’éloigne à son tour. Double divorce. Des rires et des larmes, tranquillité et intranquillité dans un mouvement de bascule perpétuel. L’image d’un individu perdu dans un aéroport de fortune, qui pousse ses valises et traîne ses rêves, dans un va-et-vient incessant, errant sans but, sauf celui de s’évader, regardant les uns débarquer par lassitude et les autres embarquer par désespoir. Partir et revenir. Puis repartir. Puis revenir de nouveau. Puis repartir. Puis revenir. Tel est le métier des Libanais depuis des générations. C’est quoi être libanais ? Être libanais, est-ce un métier ? Non, c’est une identité, et c’est l’inverse de la citoyenneté.

Être libanais se réduit à très peu de chose, des traits de caractère, d’infimes détails qu’on reconnaît immédiatement. Un « ça va » trop allongé, une démarche de faux pressé, le téléphone dans les oreilles, et qui crie au lieu de parler, un accent libanais dont on n’arrive pas à se débarrasser, des SDF autoproclamés qui ouvrent le champagne dans les restos branchés, des individus qu’on croise à l’étranger et tout d’un coup on comprend qu’on est pareils, pas besoin de religion, pas besoin de confession, ils nous attirent inconsciemment, mais on fait tout pour les éviter parce qu’ils nous rappellent trop d’où on vient.

Et toujours ce mouvement de bascule perpétuel entre ici et ailleurs, entre l’instant et le temps, ce désir de dévorer le moment, avec toujours l’obsession de garantir une place auprès de son dieu. Un ego surdimensionné et l’envie de s’anéantir dans un collectif. Une soif de liberté et le besoin de s’enfermer dans des cages communautaires, partout, à Paris, Larnaca, Dubaï, Madrid, Londres, Genève, Montréal. Des communautés ouvertes, facilement assimilées, intégrées à leur milieu, mais en même temps, des communautés fermées qui ne parlent que du Liban.

Un peuple sans visage parce qu’il n’ose pas se regarder dans la glace. La nuit partout. L’intérieur qui s’assombrit, l’extérieur aussi. L’obscurité est contagieuse, l’obscurantisme est mortel. Douceur du climat, tristesse des gens. Des sourires qui se font rares, des regards qui se vident, et toujours le déni, celui de vivre dans sa propre réalité, dans une fuite continuelle pour ne pas crever.

Vivre deux fois plus au-dessus de ses moyens puis basculer subitement dans la survie en quête d’un peu de lumière et de pain. Promettre trois fois plus qu’on ne peut accomplir pour finalement ne rien accomplir du tout. Connaître quatre fois plus de choses et en réalité ne rien vraiment savoir. Obtenir cinq fois plus d’intérêt sur ses dépôts pour finalement voir son argent s’évaporer.

Notre quotidien a changé du jour au lendemain, régression terrible, insupportable, d’une violence rare. Difficile de prendre conscience de ce qui nous arrive. Vivre hors du temps avec l’impression d’avoir tout. Mais en réalité n’avoir rien du tout. Continuer à vivre comme si tout était normal. Impermanence de la vie. Se sentir libanais malgré tout. Peuple nomade à la recherche d’un pays qui s’efface. Obligé de se réinventer pour exister, avec le Liban à la fois si proche et si lointain. On n’est pas là pour disparaître. Putain, c’est compliqué d’être libanais.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

« On s’attache, inévitablement. Puis, inévitablement, on s’en va. Sans même refermer la porte derrière soi, puisqu’il n’y a ni portes ni murs. » Amin MaaloufL’avion décolle. Destination Paris, Larnaca, Dubaï, Madrid, Londres, Genève, Montréal. Ils sont partout. Nous sommes partout. Le rêve de partir, la crainte du déracinement, la nostalgie d’un...

commentaires (1)

Très beau et tellement ... vrai Bravo

Bassam Youssef

18 h 12, le 23 octobre 2021

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Commentaires (1)

  • Très beau et tellement ... vrai Bravo

    Bassam Youssef

    18 h 12, le 23 octobre 2021

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