C’est probablement l’un des discours les plus menaçants de sa longue carrière. Et Hassan Nasrallah a pu constater qu’il n’a pas laissé ses destinataires de marbre. Quelques heures après sa violente diatribe contre Tarek Bitar, ce dernier a été à nouveau provisoirement dessaisi de l’enquête sur la double explosion au port, à la suite d’une nouvelle demande en récusation déposée contre lui par les anciens ministres Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter (Amal).
Pour de nombreux analystes, la technique du secrétaire général du Hezbollah et le jargon employés ne sont pas nouveaux. Il en va ainsi des accusations de trahison, de politisation ou d’arbitraire déjà formulées par le numéro un du parti chiite à l’adresse de Tarek Bitar, et dans une moindre mesure de Fadi Sawan, qui avait été écarté en décembre dernier, quasiment pour les mêmes motifs. « Ils vont finir par trouver un magistrat qui se pliera à leurs desiderata pour écarter également Tarek Bitar », décryptait pour L’Orient-Le Jour un analyste du 14 Mars, une heure à peine avant la décision de suspendre l’investigation.
La mesure a été si expéditive qu’elle soulève forcément le doute. « Il est clair qu’ils (les personnalités mises en cause avec le soutien du chef du Hezbollah) vont essayer par tous les détours judiciaires possibles et imaginables de démontrer que le juge d’instruction a été dessaisi de l’affaire de manière (pseudo) légale », commente le directeur de l’Agenda Légal, Nizar Saghieh. « Mais plus ces manœuvres dilatoires échouent, plus les menaces et la violence verbale et psychologique vont aller crescendo », ajoute-t-il.Hassan Nasrallah est clairement monté d’un cran lundi. En ciblant non seulement le juge Bitar, mais aussi en envoyant des messages au président de la République Michel Aoun, pourtant l’un de ses principaux alliés, qui jusqu’à très récemment encourageait le magistrat à poursuivre son enquête. Le chef de l’État, qui avait reconnu au début de l’investigation avoir été mis au courant de l’existence du nitrate d’ammonium stocké au port, n’aurait toujours pas été inquiété dans le cadre de cette enquête. Un « deux poids, deux mesures » qui ne semble pas passer pour le secrétaire général du Hezbollah.
« Michel Aoun a dit plusieurs fois qu’il était prêt à être entendu par le juge. Est-ce que vous l’avez entendu ? », « Avez-vous entendu l’ancien président Michel Sleiman ? », a-t-il déclaré hier au prétexte de s’adresser à Tarek Bitar. M. Sleiman était le chef de l’État lorsque le navire Rhosus, chargé de la cargaison de nitrate d’ammonium, est arrivé à Beyrouth, a pris soin de rappeler Hassan Nasrallah, avant de s’interroger également sur la pertinence pour le juge d’avoir aussi épargné plusieurs anciens chefs de gouvernement sunnites. Comprendre : pas question que les chiites soient les seuls à être ciblés. « Toutes ces menaces d’accusations de trahison n’auraient pu avoir lieu si l’on ne se trouvait pas dans un pays où prévaut la culture d’ingérence dans le judiciaire », déplore M. Saghieh. Le juge Bitar a néanmoins inculpé de nombreux responsables politiques, toutes confessions confondues, dont l’ancien Premier ministre Hassane Diab.
Des précédents
Hassan Nasrallah n’en est pas à son coup d’essai en matière de dénigrement de la justice. C’est quasiment la même approche qui avait été utilisée il y a quelques années en vue de décrédibiliser le Tribunal spécial pour le Liban, chargé de juger les assassins de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri. À maintes reprises, le TSL, ainsi que ceux qui y travaillent, avaient été accusés par le parti chiite d’être à la solde d’Israël et d’être politisés. « La méthode consistait à dénoncer la politisation du processus, à décrédibiliser la procédure et à diaboliser l’institution en intimidant ceux qui y travaillent », rappelle un juriste qui a suivi de près les travaux du TSL. Plusieurs des discours prononcés à l’époque (entre 2009 et 2020 ) par le leader chiite étaient destinés à menacer les juges et enquêteurs internationaux. Le parti pro-iranien est même passé une fois à l’action. On se souvient de l’agression physique perpétrée en octobre 2010, lorsque des enquêteurs du TSL se sont vu empêcher l’accès à des dossiers dans une clinique de la banlieue sud de Beyrouth, bastion du Hezbollah, après une altercation avec des femmes proches du parti. Lors d’une conférence de presse tenue en novembre 2011, le secrétaire général avait été encore plus loin en annonçant publiquement que la main de ceux qui coopèrent avec l’institution internationale « serait tranchée ». Une violence verbale récurrente qui resurgit toutes les fois que le parti chiite se sent menacé dans son existence même ou, pire encore, lorsque son arsenal est remis en cause.
C’était aussi le cas lors des incidents de mai 2008 lorsque le Hezbollah est passé à l’action se sentant menacé à la suite d’une décision officielle visant à bloquer son système de communication militaire. Les éléments du parti avaient à l’époque investi la capitale avec leurs armes et maté les partisans du courant du Futur, un signal envoyé directement au Premier ministre de l’époque, Fouad Siniora. Une chose demeure certaine pour de nombreux observateurs : Hassan Nasrallah se comporte, de plus en plus et sans ambages désormais, comme le seul commandant à bord, en « haut-commissaire » qui, note un juriste, « n’a aucun souci de torpiller tout le système judiciaire en place et le principe de séparation des pouvoirs ».
commentaires (27)
Schtroumph noir, allez au pays de vos reves (et realisez les notres): laissez nous batir une nation juste......
Sabri
17 h 09, le 14 octobre 2021