La Cour de cassation civile est incompétente pour examiner un recours en dessaisissement d’un juge d’instruction près la Cour de justice. Tel est le verdict qu’a rendu hier la haute instance présidée par Jeannette Hanna, déboutant ainsi les deux députés et anciens ministres Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaiter, qui lui avaient soumis vendredi une requête visant à empêcher le juge Tarek Bitar de poursuivre son enquête sur la double explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020. Le magistrat avait en effet mis en cause les deux hommes dans le cadre de cette affaire.
« Le juge d’instruction près la Cour de justice ne fait ni partie des magistrats de la Cour de cassation ni ne relève du parquet de cassation », stipule en substance l’arrêt rendu, dont L’Orient-Le Jour a pu consulter une copie. « Pour ces motifs, la Cour de cassation civile ne peut statuer sur la demande en récusation », indique la décision.
Le juge Bitar pourra donc continuer son enquête sur la double explosion au port de Beyrouth, survenue le 4 août 2020. Le recours des députés, qui visait à le dessaisir de l’affaire, n’a pas eu l’effet recherché, la cour n’ayant pas jugé bon de le notifier puisqu’elle s’est déclarée d’emblée incompétente.
MM. Khalil et Zeaïter viennent ainsi d’échouer encore une fois à écarter le juge d’instruction, après avoir essuyé un premier refus provenant de la Cour d’appel civile présidée par Nassib Élia, qui s’était déclarée le 4 octobre dernier incompétente pour statuer sur leur demande de récusation ainsi que sur celle de leur confrère l’ex-ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, présentée dix jours plus tôt. La notification de cette dernière plainte avait eu pour effet immédiat de suspendre M. Bitar le 27 septembre, le temps que la Cour d’appel se prononce. Après la décision de la Cour d’appel, le juge d’instruction s’était immédiatement remis au travail.
Juge hybride
Pas découragés pour autant par ce premier revers, les trois députés ont recouru quelques jours plus tard, le 8 octobre, à de nouveaux moyens judiciaires. Le tandem Zeaïter-Khalil s’est alors tourné vers la Cour de cassation civile, tandis que M. Machnouk a porté plainte auprès de la Cour de cassation pénale présidée par Randa Kfoury pour « suspicion légitime ». Il a rejoint ainsi l’ancien ministre Youssef Fenianos, qui attend toujours la décision judiciaire à la suite de la plainte qu’il avait déposée le 22 septembre. Ce dernier verdict émanant de la Cour de cassation pénale est aujourd’hui impatiemment attendu par les proches des victimes et l’opinion publique, d’autant que la session parlementaire doit s’ouvrir mardi prochain, ce qui permettra aux trois députés de se réfugier de nouveau derrière leur immunité parlementaire.
Après le rejet de la demande de récusation, Rachad Salamé, qui, avec l’ancienne bâtonnière Amal Haddad, est l’avocat de MM. Khalil et Zeaïter, est à la recherche d’un nouveau recours. Interrogé par L’OLJ, il évoque une éventuelle demande de désignation d’une nouvelle juridiction, qu’il adresserait avec sa consœur au président du Conseil supérieur de la magistrature, Souheil Abboud. L’avocat souhaite par ce moyen faire examiner un point juridique dont il est convaincu : ayant les mêmes prérogatives légales que les juges d’instruction et des chambres d’accusation, le juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, doit relever du parquet de cassation et donc de la compétence de la Cour de cassation.
À défaut d’obtenir satisfaction, Mes Salamé et Haddad pourraient par la suite demander à M. Abboud de convoquer les présidents et membres des Cours de cassation, toutes chambres réunies, afin de désigner l’autorité compétente pour étudier les recours en récusation du juge Bitar. Selon l’avocat, chaque magistrat peut être récusé, il y va du droit de défense des justiciables.
Contacté par L’OLJ, le directeur de Legal Agenda, Nizar Saghieh, se félicite au contraire de la déclaration d’incompétence rendue hier. « Le juge d’instruction ne relève pas de la Cour de cassation parce qu’il est un juge hybride agissant en dehors des juridictions ordinaires », martèle-t-il, soulignant qu’« une demande de récusation d’un magistrat ne peut être présentée que devant le tribunal dont ce magistrat est membre ». Pour Me Saghieh, la seule voie de recours possible est la suspicion légitime devant la Cour de cassation pénale, prévue par la loi pour tous les magistrats, sans distinction.
Abbas Ibrahim à nouveau soustrait
Quoi qu’il en soit, la course contre la montre engagée par le juge Bitar pour interroger les trois députés et anciens ministres avant qu’ils ne récupèrent leur immunité parlementaire semble difficile à gagner. Censés être entendus respectivement aujourd’hui et demain par le magistrat, MM. Khalil et Zeaïter ne comparaîtront pas, indique à L’OLJ une source du mouvement Amal auquel les deux députés sont affiliés. Cela pour cause d’« incompétence de la Cour de justice » et de « sélectivité » dans la manière de mener l’enquête.
Quelles mesures pourrait alors prendre le magistrat ? « Il pourrait émettre des mandats d’amener ou d’arrêt », suppute Paul Morcos, directeur du cabinet Justicia, craignant que « de tels moyens ne mobilisent le public des partis qui s’estimeront ciblés », en allusion à des violences que pourraient commettre les partisans des formations concernées. Par ailleurs, le ministre de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui, a rejeté hier, comme l’avait fait son prédécesseur, la demande d’autorisation que lui avait adressée récemment le juge Bitar pour interroger le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim. M. Maoulaoui a motivé sa décision par le fait que cette demande ne comporte que les éléments sur base desquels son prédécesseur, Mohammad Fahmi, avait refusé l’autorisation. Comme pour affirmer qu’en l’absence d’indices supplémentaires fournis par M. Bitar, il s’en tiendra à la décision de M. Fahmi.
Pourquoi fuir la justice alors qu’ils se considèrent innocents? De tous les accusés il n’y a pas un qui veut respecter les lois de son pays et se présenter devant le juge pour s’expliquer alors qu’ils sont sensé donner le bon exemple en tant que responsables politiques. Le pire c’est que lorsqu’il s’agit d’un citoyen innocent accusé à tort par l’un d’eux, là ils mettent tout leur poids pour l’accabler et le condamner avant même qu’il ne soit jugé ces moins que rien.
14 h 41, le 12 octobre 2021