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Moyen-Orient - Éclairage

La politique de Merkel au Moyen-Orient : entre pragmatisme et prudence

Ayant refusé de jouer un rôle majeur dans la région, l’Allemagne de ces seize dernières années a privilégié la médiation à l’affrontement.

La politique de Merkel au Moyen-Orient : entre pragmatisme et prudence

La chancelière allemande Angela Merkel. Photo d’archives AFP

C’était il y a six ans. La crise des migrants dominait l’actualité et la photo, publiée le 3 septembre, du corps d’un petit Syrien de 3 ans, Aylan Kurdi, retrouvé mort sur une plage turque, choquait l’opinion publique mondiale. Le lendemain, la chancelière allemande, Angela Merkel, apprenait par Vienne que des dizaines de milliers de demandeurs d’asile arrivés par la route des Balkans marchaient vers l’Autriche depuis la Hongrie. Cette nuit-là, la dirigeante est confrontée à un choix décisif. Elle décide alors de s’engager à accueillir ces migrants à l’heure où de nombreux pays européens se barricadent. « Wir schaffen das ! » ( « Nous y arriverons » ), dira-t-elle à de nombreuses reprises ; une formule qui reste à ce jour l’une des plus marquantes prononcées par la chancelière mais qui fait également écho à la part d’ombre de sa politique au Moyen-Orient. « Le fait qu’elle n’ait pas combattu efficacement les causes (poussant les migrants au départ) fait certainement partie du drame de son mandat », estime Johannes Varwick, enseignant à l’Université Martin-Luther de Halle-Wittenberg, en référence au manque d’engagement de la chancelière en Syrie, où les déclarations appelant au départ de Bachar el-Assad n’ont été suivies d’aucune action concrète.

Après avoir été chancelière fédérale pendant près de seize ans, Angela Merkel – qui s’apprête à quitter le pouvoir à l’issue des négociations qui débuteront une fois l’issue des élections législatives d’hier connue – doit faire face à un bilan en demi-teinte dans la région. Si elle a œuvré en faveur de la paix en endossant un rôle de médiateur sur plusieurs dossiers afin d’obtenir des compromis, son refus de positionner l’Allemagne comme un acteur fort au Moyen-Orient lui a valu de nombreuses critiques.

Prudence

« Dans l’ensemble, l’approche de Mme Merkel a été trop passive et pas assez risquée, poursuit Johannes Varwick. Cependant, elle-même considère probablement cette ligne comme justifiée. Par exemple, l’abstention de la chancellerie concernant l’intervention en Libye en tant que membre du Conseil de sécurité de l’ONU en 2011 est considérée, même rétrospectivement, comme clairvoyante – car cette intervention a aggravé la situation. » Craignant un scénario similaire à celui de l’intervention américaine en Irak, le gouvernement allemand fait à l’époque les titres de la presse nationale et internationale qui évoque l’isolement du pays et le manque de solidarité entre alliés. À cet égard, la volonté de Berlin, près de dix ans plus tard, d’accueillir le 19 janvier 2020 une conférence sur la paix en Libye sous l’égide de l’ONU, n’est pas anodine. Une deuxième conférence s’est tenue le 23 juin dernier, avec la participation du gouvernement de transition libyen, qui a toutefois donné des résultats mitigés alors que les participants au Forum du dialogue politique libyen (FDPL) peinent toujours à se mettre d’accord.

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À l’échelle domestique, Angela Merkel n’a pas non plus intérêt à poursuivre une approche trop risquée à l’étranger. « D’une part, la politique étrangère allemande était axée sur la poursuite d’intérêts économiques, pour lesquels la région était particulièrement intéressante en termes de contrats d’armement. Et d’un autre côté, elle visait à ne pas causer de problèmes au niveau national, explique Thomas Jaeger, professeur de politique internationale et de politique étrangère à l’Université de Cologne. Alors que Merkel, en tant que politicienne de l’opposition, était en faveur de la participation à la guerre en Irak, elle est par exemple restée réticente sur la mission en Libye et encore plus lorsque la guerre civile a éclaté en Syrie. »

Malgré le rappel à l’ordre à plusieurs régimes autoritaires de la région à l’instar de la Turquie, de l’Égypte et des pays du Golfe en matière du respect des droits de l’homme, la chancelière mène un exercice d’équilibriste alors que l’Allemagne est l’un des cinq premiers exportateurs d’armes au monde, avec les États-Unis, la Russie, la France et la Chine, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). Des rapports récents citant le ministère allemand de l’Économie ont également révélé qu’en 2020 uniquement, le gouvernement allemand avait approuvé l’exportation d’armes pour une valeur de 1,16 milliard d’euros vers les pays impliqués dans les conflits au Yémen et/ou en Libye – soit l’Égypte, le Qatar, les Émirats arabes unis, le Koweït, la Turquie, la Jordanie et le Bahreïn.

Des liens économiques qui perdurent en dépit des sujets de discorde qui refroidissent de temps à autre les liens entre l’Allemagne et les pays de la région, comme la Turquie. Si les deux pays, liés par la forte présence de la diaspora turque en Allemagne ou encore par le nombre important d’entreprises nationales implantées sur le sol turc, ont pour intérêt de maintenir de bons rapports, la relation personnelle entre Angela Merkel et Recep Tayyip Erdogan a été marquée par de nombreuses crises. En mars 2017, l’annulation de meetings que devaient tenir en Allemagne plusieurs ministres du président turc afin de défendre les réformes constitutionnelles du raïs pour étendre ses pouvoirs, fait monter d’un cran la tension. Le 19 mars, lors d’un discours à la télévision, Recep Tayyip Erdogan prononce les mots de trop : « Tu as recours en ce moment précis à des pratiques nazies ! », déclare-t-il en interpellant directement la chancelière.

Puissance médiatrice

Quelques mois plus tôt, la chancelière avait négocié l’accord signé le 18 mars 2016 entre Bruxelles et Ankara en vertu duquel la Turquie devait accueillir sur son sol les migrants en situation irrégulière présents sur les îles grecques en échange du versement de six milliards d’euros et de l’accueil de Syriens en Europe. Un accord cependant utilisé par Recep Tayyip Erdogan pour faire pression sur ses partenaires européens en agitant la menace d’un relâchement de ses efforts. Malgré ces multiples tensions, Angela Merkel a œuvré pour ramener Ankara et Athènes à la table des négociations dans le sillage de leur dispute au sujet des gisements de gaz naturel en Méditerranée orientale. Un rôle de médiateur qu’elle a notamment endossé à l’automne dernier afin de pousser vers la reprise de « pourparlers exploratoires » entre les deux pays. Ou encore en 2015, lorsque l’Allemagne fait office de puissance intermédiaire pour résoudre les différends au sujet de l’accord sur le nucléaire iranien en 2015. Angela Merkel critiquera d’ailleurs la décision du président américain Donald Trump de se retirer unilatéralement du traité.

Cette stratégie de médiation dans la région a été observée pour la première fois en 2006, au plus fort du conflit armé qui opposait Israël au Hezbollah – et dans une moindre mesure à l’armée libanaise. Moins d’un an après l’arrivée d’Angela Merkel à la tête du pays, la diplomatie allemande multiplie les efforts pour mettre fin à cette guerre. Deux ans plus tard, Berlin parvient à obtenir le retour du corps d’un soldat israélien capturé à la frontière israélo-libanaise par le Hezbollah, en échange de prisonniers. Et en 2011, Gilad Shalit, un autre soldat capturé cinq ans plus tôt par le Hamas palestinien, est libéré grâce aux négociations menées par l’Allemagne. Des efforts salués à l’époque par l’administration israélienne et qui illustrent la bonne coopération entre les deux puissances sous Angela Merkel. La chancelière a souligné à de nombreuses reprises la relation particulière entre Israël et l’Allemagne et l’importance de la gestion de la mémoire de la Shoah. « Dans un discours important, la chancelière Merkel a surtout décrit la sécurité d’Israël comme faisant partie de la raison d’État de l’Allemagne. Ce que cela signifie n’a pas été rendu public ; si cela a été fait en secret reste inconnu », observe Thomas Jaeger. Angela Merkel a cependant critiqué par la suite la politique de colonisation de territoires sous l’administration Netanyahu et a continué à appeler à une solution à deux États au conflit israélo-palestinien. Entre prudence et pragmatisme, l’Allemagne d’Angela Merkel a ainsi souhaité préserver ses intérêts dans la région tout en évitant l’escalade et en appelant au compromis. « Au-delà des déclarations générales sur la promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance, de l’Égypte au Liban en passant par la Tunisie, il n’y avait guère d’initiatives politiques proposées. S’il y avait une approche spécifiquement allemande, c’était ce qu’on appelait « l’empowerment » ( « Ertüchtigung » ) comme en Irak – c’est-à-dire éviter l’intervention militaire en responsabilisant les partenaires par le biais de livraisons d’armes et d’entraînements », résume Johannes Varwick.

C’était il y a six ans. La crise des migrants dominait l’actualité et la photo, publiée le 3 septembre, du corps d’un petit Syrien de 3 ans, Aylan Kurdi, retrouvé mort sur une plage turque, choquait l’opinion publique mondiale. Le lendemain, la chancelière allemande, Angela Merkel, apprenait par Vienne que des dizaines de milliers de demandeurs d’asile arrivés par la route des...

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Aaaahhh... On rêve d'une Merkel libanaise....

Wlek Sanferlou

16 h 36, le 27 septembre 2021

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Commentaires (1)

  • Aaaahhh... On rêve d'une Merkel libanaise....

    Wlek Sanferlou

    16 h 36, le 27 septembre 2021

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