Des proches des victimes des explosions meurtrières au port de Beyrouth ont organisé vendredi un sit-in devant le palais de Justice à Beyrouth pour dénoncer des menaces du Hezbollah et les manœuvres de la classe politique à l'égard du juge Tarek Bitar, en charge de l'enquête sur ces explosions, alors que l'avocat du député Nouhad Machnouk, a déposé une plainte devant la Cour d'appel de Beyrouth pour réclamer que l'instruction soit confiée à un autre juge que M. Bitar.
Dans un communiqué publié par son bureau de presse, M. Machnouk explique que cette plainte découle de "l'insistance du juge Bitar à conserver ses prérogatives concernant la poursuite de ministres alors que l'article 70 de la Constitution stipule clairement que cette prérogative est limitée au Parlement, tandis que l'article 71 prévoit que le procès soit mené devant la Haute cour de justice pour les présidents et ministres". Les procédures engagées par le juge Bitar violent donc, selon Nouhad Machnouk, la Constitution. L'ancien ministre reproche aussi au juge d'instruction d'avoir lancé des poursuites à son encontre "sans l'avoir préalablement entendu", mettant dès lors en doute son objectivité et y voyant de "mauvaises intentions".
La plainte, déposée par l'avocat Naoum Farah intervient après que le juge, récemment menacé par le Hezbollah, a fixé la date d'une nouvelle audience pour l'ancien ministre de l'Intérieur, poursuivi pour "intention présumée d'homicide, négligence et manquements" dans l'enquête, au 1er octobre.
Mercredi déjà, les avocats de l'ancien ministre des Travaux publics et des Transports, Youssef Fenianos, avaient présenté une plainte devant la Cour pénale de cassation, afin de réclamer que l'instruction sur la double explosion du 4 août 2020 au port soit confiée à un autre juge que Tarek Bitar, accusé de "suspicion légitime". Cette plainte a été déposée alors qu'un mandat d'arrêt a été lancé jeudi dernier par le juge contre M. Fenianos (proche du mouvement des Marada), qui est poursuivi, lui aussi, pour "intention présumée d'homicide, négligence et manquements" et a refusé à plusieurs reprises de se présenter devant la justice.
M. Machnouk était un des faucons du Courant du Futur avant que ses relations se dégradent avec son chef, l'ancien Premier ministre Saad Hariri. Depuis Dar el-Fatwa, où il a été reçu par le mufti de la République, le cheikh Abdel Latif Deriane, Nouhad Machnouk avait donné à l'affaire une tournure confessionnelle, accusant le juge Bitar de "prendre ses ordres du conseiller (du président de la République Michel Aoun) Salim Jreissati". Il a affirmé que M. Jreissati voulait lui "faire payer le prix d'avoir critiqué il y a deux ans (le chef du Courant patriotique libre) Gebran Bassil pour s'en être pris au sunnisme politique". "Au juge Bitar nous disons : trop c'est trop. Et que personne ne fasse de surenchère avec nous", a prévenu le député et ex-ministre.
En juillet dernier, M. Machnouk s'était dédouané de toute responsabilité concernant la gestion du chargement de nitrate d'ammonium qui est à l'origine de la déflagration, et avait affirmé être prêt à témoigner devant M. Bitar, regrettant que cet interrogatoire n'ait pas eu lieu avant sa mise en accusation. "Le seul document que j'ai reçu au sujet du chargement de nitrate d'ammonium mentionne un navire en transit qui transportait plusieurs tonnes de ce produit et se dirigeait de la Géorgie vers le Mozambique", avait-il affirmé.
Le juge Bitar avait également fixé, mardi, de nouvelles dates d'audience pour deux autres députés proches du Hezbollah, qui avait lancé des menaces à son encontre. Le député Ali Hassan Khalil devrait donc comparaître devant le juge le 30 septembre et Ghazi Zeaïter le 1er octobre. Les dates choisies tombent en une période au cours de laquelle le juge d'instruction pourrait prendre des mesures pénales à l'encontre des députés, sans avoir besoin de l’accord de la Chambre. En effet, conformément à la Constitution, entre le vote de confiance au gouvernement et l’ouverture de la session ordinaire du Parlement, prévue le 19 octobre, les députés impliqués ne pourront plus bénéficier de leurs immunités parlementaires, puisque la session extraordinaire du Parlement, qui dure depuis la démission du précédent gouvernement, sera achevée.
"Complot" de la classe politique
Pour dénoncer les ingérences de la classe politique dans l'enquête et les menaces lancées à l'égard du juge, des proches des victimes rassemblés à Beyrouth ont crié leur colère vendredi. "Les menaces de Wafic Safa (chef de la sécurité du Hezbollah) contre le juge Bitar constituent une attaque contre le pouvoir judiciaire et une ingérence dans son travail", a affirmé William Noun, frère de l'une des victimes. Les proches ont ainsi proclamé leur soutien au magistrat et déploré que "la classe politique complote contre lui depuis qu'il s'est rapproché de la vérité". Wafic Safa avait menacé de "déboulonner" M. Bitar, qu'il accuse de politiser l’enquête.
Avant M. Bitar, un autre juge, Fadi Sawan, avait été démis de l'enquête après un recours pour suspicion légitime présenté par les deux députés Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter.
Dans ce contexte, M. Noun s'est indigné du fait qu'"aucune position n'ait été prise par l'Etat libanais suite à cette attaque contre le pouvoir judiciaire". De son côté, le porte-parole des proches des victimes, Ibrahim Hoteit, a appelé la présidente de la sixième chambre de la Cour de cassation, la juge Randa Kfoury, qui doit trancher sur la plainte de M. Fenianos, à prendre une position juste dans cette affaire.
La double explosion au port de Beyrouth a tué au moins 214 personnes, fait plus de 6.500 blessés et détruit de nombreux quartiers de la capitale. Plus d'un an après le drame, l'enquête locale n'a pas donné de résultats, de nombreux responsables refusant de comparaître, alors que des composantes de la classe dirigeante, qui avaient rejeté une enquête internationale, sont accusées de tout faire pour torpiller l'investigation.
commentaires (7)
Un pays où la justice est bafouée ne pourra jamais émerger de sa décrépitude .Les gros bonnets,,(de nuit sombre ) qui refusent de comparaître devant un juge sont de facto coupables jusqu'à preuve du contraire .Dans ces cas de non respect de la justice il faudra attraper ces hors-la-loi par la peau du cou et les sommer à comparaître et être questionnés pour faire avancer l'enquête sur l'affaire de l'explosion d'être port .
Hitti arlette
11 h 02, le 25 septembre 2021