Le juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, a reporté au 4 octobre l’audience qui était prévue hier en vertu d’un mandat d’amener à l’encontre de l’ancien chef de gouvernement Hassane Diab, qu’il voulait interroger dans l’affaire de la double explosion au port de Beyrouth survenue le 4 août 2020. La non-comparution de M. Diab était prévisible, sachant que mardi dernier, jour de l’émission du mandat, ce dernier a quitté le territoire pour un séjour familial aux États-Unis. Un voyage perçu par de nombreux observateurs comme un prétexte pour ne pas se plier à la décision du juge d’instruction dont l’ex-Premier ministre conteste fermement la compétence, appuyé en cela par les responsables politiques et religieux, notamment dans les milieux sunnites.
Déjà absent lors d’une première audience fixée au 26 août, Hassane Diab avait alors fait l’objet d’un premier mandat d’amener, d’abord adressé au Grand Sérail où il résidait en tant que président du Conseil sortant. Après la formation du gouvernement de Nagib Mikati, le parquet de cassation a donc retourné le mandat pour motif de changement d’adresse. Le juge Bitar a aussitôt émis un nouveau mandat envoyé cette fois au domicile de M. Diab, à Tallet el-Khayat (Beyrouth). Mais la direction de la Sûreté de l’État, chargée par le procureur près la Cour de cassation, Ghassan Khoury, d’exécuter l’ordre, a informé hier le magistrat qu’il n’a pas été possible de le faire en raison de l’absence de l’ancien Premier ministre. Des agents de la Sûreté de l’État s’étaient en effet rendus en vain à la résidence de M. Diab pour le notifier du mandat d’amener.
Pas de procuration connue
Tarek Bitar a donc décidé hier de procéder à la notification de M. Diab par voie d’affichage. Des affiches seront collées notamment devant le domicile du prévenu et devant la salle du tribunal, en l’espèce devant le bureau du juge d’instruction, au Palais de justice, indique un avocat interrogé par L’Orient-Le Jour. Si Hassane Diab ne comparaît pas le 4 octobre ou ne délègue pas un avocat pour le représenter, le juge d’instruction pourrait alors lancer un mandat d’arrêt par contumace contre lui. Mais dans le cas où il recourrait à la présentation d’exceptions de procédure ou solliciterait un délai en vue de les soumettre, le mandat d’arrêt ne serait envisagé que si ces exceptions sont rejetées lors d’une séance ultérieure au 4 octobre.
Des informations médiatiques avaient fait état dimanche d’une procuration qu’aurait donnée M. Diab à un ancien bâtonnier, probablement avant son départ pour les États-Unis, ou encore à travers l’ambassade du Liban à Washington. Certaines rumeurs avaient cité dans ce cadre le nom de l’ancienne bâtonnière de Beyrouth, Amale Haddad. Une source sûre affirme cependant à L’OLJ que ni Mme Haddad ni aucun autre bâtonnier n’ont été chargés de représenter l’ancien Premier ministre devant la justice dans cette affaire.
Libération de deux prévenus
Force est de constater que la tâche du juge Bitar est de plus en plus ardue. Un observateur proche du dossier relève à cet égard qu’il est difficile de mener une enquête lorsque des responsables politiques, sécuritaires et même judiciaires se liguent contre l’enquêteur. Il indique toutefois que le magistrat est déterminé à rendre son acte d’accusation contre vents et marées. « Tarek Bitar veut ignorer toutes les accusations de non-respect de la loi lancées contre lui, d’autant qu’il n’a rien à se reprocher, ayant à son actif une carrière de 22 ans menée avec professionnalisme et transparence », affirme cet observateur. À l’opposé, on parle de recours que chercheraient à présenter les hommes politiques impliqués, pour le dessaisir sous prétexte de partialité.
Le temps de poursuivre son enquête, Tarek Bitar a décidé hier de remettre en liberté un employé du port, Wajdi Karkafi, et Raëd el-Ahmad, un ouvrier de la compagnie Chebli qui intervenait sur le hangar n° 12, où était stocké le nitrate d’ammonium à l’origine de la catastrophe. Les deux hommes avaient été arrêtés il y plusieurs mois par Fadi Sawan, prédécesseur de Tarek Bitar à la direction de l’enquête.