
L’ex-Premier ministre Hassane Diab. Photo d’archives AFP
L’ex-Premier ministre Hassane Diab s’est envolé pour les États-Unis mardi 14 septembre, le jour où le juge d’instruction Tarek Bitar a émis un nouveau mandat d’amener à son encontre. S’il ne fait pas l’objet d’un mandat d’arrêt et n’est donc soumis à aucune restriction de voyager, son départ génère une vague d’indignation dans un climat général où l’enquête concernant la double explosion au port de Beyrouth est menacée par des pressions et des interférences politiques.
Le 26 août dernier, un premier ordre d’amener avait été émis à l’encontre de Hassane Diab poursuivi pour des soupçons de « potentielle intention d’homicide » et de « négligence et manquements », après son refus de se présenter à l’interrogatoire. Le juge avait fixé la date d’une nouvelle audience au 20 septembre. Mais selon des informations obtenues par L’OLJ, le ministère public a retourné le mandat au magistrat sous prétexte que Hassane Diab ne loge plus au Grand Sérail et a changé d’adresse depuis la formation du nouveau gouvernement. Le juge Bitar a donc émis un nouvel ordre qui a, depuis, été transmis à la direction générale des Forces de sécurité intérieure pour qu’elles le mettent en application. Hassane Diab a-t-il été notifié de cette nouvelle assignation? La question reste sans réponse à ce stade et c’est peut-être cette brèche qui lui a permis de quitter le territoire sans se sentir inquiété. Le principal concerné n’a en effet pas jugé nécessaire de revoir ses plans de voyage. « Hassane Diab est allé rendre visite à ses fils qu’il n’a pas vus depuis qu’il a été nommé à la tête du gouvernement libanais en janvier 2020 », affirme à L’OLJ Leila Hatoum, une de ses conseillères. « Il s’agit d’un voyage personnel prévu de longue date. Ça n’a rien d’une surprise, il a toujours dit à la presse que la première chose qu’il ferait à la fin de son mandat était de revoir ses enfants », poursuit-elle. L’ex-Premier ministre sera-t-il de retour avant le 20 septembre pour son interrogatoire ? Son entourage refuse de s’exprimer là-dessus. Toutefois, selon un article du média en ligne al-Saham, Hassane Diab serait parti pour un séjour de quatre semaines, ses fils se trouvant dans deux États américains distincts. La conseillère de M. Diab a pour sa part démenti ces informations, qualifiant l’article de « fake news ».
« C’est inacceptable »
« On ne pouvait rien faire à l’aéroport de Beyrouth pour l’empêcher de quitter le territoire », précise à L’OLJ Nizar Saghieh, le fondateur de l’ONG Legal Agenda. Le juriste critique toutefois la légèreté de la démarche de l’ex-Premier ministre. « C’est inacceptable de dire “je dois aller voir mes enfants” dans une affaire d’une telle ampleur ! Ça n’est pas recevable, peu importe s’il l’avait déjà mentionné par le passé », s’offusque M. Saghieh.
Hassane Diab a-t-il obtenu des certitudes de ne pas être inquiété en prenant l’avion cinq jours avant sa convocation ? Sa conseillère, elle, répète en boucle que le Parlement a estimé « illégale » la décision du juge de poursuivre une personnalité politique de son calibre, les ministres et les députés devant être jugés devant une Cour spéciale créée par le Parlement. « Dès lors, tout ce que notifie le juge à l’encontre de Dr Diab est illégal selon la Constitution et d’après l’Assemblée nationale », affirme à L’OLJ Leila Hatoum. L’ancien Premier ministre s’est toujours défendu en estimant qu’il a transmis en août 2020 au magistrat précédent, Fadi Sawan, toutes les informations dont il dispose sur le sujet. Hassane Diab a pourtant refusé de comparaître en décembre 2020 devant le juge Sawan, prédécesseur de Tarek Bitar, qui l’avait inculpé. Le magistrat avait par la suite été démis de ses fonctions après une décision de la Cour d’appel saisie à la demande des anciens ministres des Finances Ali Hassan Khalil et des Travaux publics Youssef Fenianos et Ghazi Zeaïter, également inculpés par le juge Sawan.
« Hassane Diab n’aurait jamais pu partir si facilement s’il n’y avait pas un climat de dénigrement de la justice et une culture de l’impunité ainsi que tous ces discours politiques qui visent à obstruer l’enquête », estime Nizar Saghieh. Reste à savoir quelle décision le juge Bitar va prendre dans le cas où l’ex-PM ne se présente pas à l’interrogatoire le 20 septembre. « Il y a deux cas de figure. Soit le magistrat accepte l’excuse de Diab et lui renvoie une nouvelle convocation, soit il émet un mandat d’arrêt à son encontre. Dès lors, il pourra être directement arrêté à l’aéroport à son retour au Liban. Il faut que le juge envoie un message clair qu’on ne joue pas avec la justice, sinon c’est une atteinte à l’intérêt général et à toute la société », affirme le directeur de Legal Agenda.
Insulte à l’égard des victimes
Les familles des victimes du 4 août, dont le bilan s’élève à 218 morts, ont également exprimé leur indignation à la suite de l’annonce du voyage de M. Diab. Joint par L’OLJ, Ibrahim Hoteit, leur porte-parole, estime qu’il s’agit d’une insulte à l’égard de la justice et à l’égard des victimes et de leurs proches. « Si Hassane Diab ne se présente pas devant le juge le 20 septembre, on aura recours à Interpol pour qu’il soit extradé. Nous trouverons des solutions juridiques, c’est de notre droit », indique M. Hoteit dont le frère a péri lors de la double explosion. « Nous faisons porter la responsabilité de toutes ces magouilles à la classe politique qui protège et défend Hassane Diab. Nous ne sommes pas dirigés par un État mais par des bandes de mafieux qui s’emploient à se couvrir les uns les autres. »
L’organisation Human Rights Watch (HRW) a de son côté exprimé son inquiétude concernant le départ de Hassane Diab. « Ce n’est pas bon signe même si nous devons attendre de voir s’il va se présenter ou non le 20 septembre », affirme la représentante de l’ONG Aya Majzoub à L’OLJ et qui rappelle que l’ex-chef de gouvernement avait eu connaissance à deux reprises lors de son mandat de la présence du nitrate d’ammonium au port de Beyrouth tout en ayant échoué à protéger les citoyens de son danger.
Dans ce climat marqué par les ingérences politiques et face à la paralysie de l’instruction, cent-quarante-cinq organisations de défense des droits humains, survivants et proches de victimes de l’explosion ont à nouveau appelé le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à une enquête internationale indépendante sur le drame. Dans une lettre conjointe, la deuxième de ce genre depuis juin, ces 145 signataires demandent aux États membres de ce Conseil d’établir une mission indépendante et impartiale à l’instar des missions d’enquête d’un an mises en place par les Nations unies. « Nous sommes en train de montrer qu’il y a un soutien majeur et croissant pour une enquête internationale sur cette affaire puisque nous avons toutes les preuves aujourd’hui que la classe politique libanaise n’a aucun intérêt pour la justice ni pour rendre des comptes », affirme à L’OLJ Aya Majzoub.
Le nitrate d’ammonium appartiendrait à un homme d’affaires ukrainien
Le nitrate d’ammonium entreposé pendant des années dans le port de Beyrouth et dont l’explosion a détruit une grande partie de la capitale le 4 août 2020 appartiendrait à l’homme d’affaires ukrainien Volodymyr Verbonol. Ce dernier a été identifié comme étant le propriétaire de la compagnie Savaro, à qui la cargaison de nitrate d’ammonium appartenait, selon les données d’une vaste enquête journalistique publiée lundi sur le site de la plateforme internationale pour le journalisme d’investigation OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project). Ce travail de recherche inédit a été mené par un groupe de journalistes d’investigation, dont le Libanais Firas Hatoum, employé de la chaîne télévisée al-Jadeed. Il a permis d’identifier le propriétaire de la compagnie Savaro Ltd, à travers une série de documents démontrant que l’entreprise faisait partie d’un réseau plus vaste qui commercialisait du nitrate d’ammonium. Ce réseau serait géré par des Ukrainiens, sous le couvert d’agents et de sociétés écrans.Enregistrée à Londres, Savaro Ltd a été désignée dès le départ comme étant la propriétaire de la cargaison de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium entreposées dans le hangar numéro 12 (dont 500 tonnes au moins ont explosé il y a un an). La compagnie faisait acheminer la cargaison depuis la Géorgie vers une usine d’explosifs au Mozambique avant que le nitrate n’échoue à Beyrouth. En janvier 2021, une enquête du journaliste Firas Hatoum affirmait que Savaro est en réalité une société écran partageant une adresse à Londres avec d’autres compagnies liées à trois hommes d’affaires syro-russes, tous dans le collimateur du gouvernement américain pour avoir agi au nom du régime de Bachar el-Assad. L’un d’entre eux est sanctionné par Washington pour avoir servi d’intermédiaire dans le cadre d’une tentative d’achat de nitrate d’ammonium à destination de la Syrie en 2013, l’année où la cargaison est arrivée à Beyrouth. Ces soupçons ne sont toujours pas confirmés par l’enquête en cours au Liban.
A son arrivée on fredonnait: Les loups ont envahi Paris... Et voilà que maintenant on chante ...Les loups ont déguerpit Paris... Quand même et malheureusement ils ont pris leurs temps...
21 h 48, le 16 septembre 2021