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Culture - Théâtre

« Love Letters », à l’encre de toute une vie

Sur les planches du théâtre Monnot, et jusqu’au 3 octobre, Lina Abiad met en scène et dirige Josyane Boulos et Nadim Chammas dans une adaptation de la fameuse pièce de A. R. Gurney, une étude tendre et tumultueuse sur l’amour contrarié.

« Love Letters », à l’encre de toute une vie

Les deux acteurs (Josyane Boulos et Nadim Chammas) se déplacent sur scène et dans la vie, se regardent, se cherchent, se perdent, se retrouvent et se perdent à nouveau. Photo DR

Love Letters de A. R. Gurney, pièce nominée au prix Pulitzer du théâtre, était écrite pour être présentée sous forme de lecture et interprétée par un duo assis autour d’une table, qui ne se regarde jamais, de manière à faciliter à la fois le casting et la mise en scène. Elle dévoile chronologiquement une correspondance de plus de 50 ans entre Andy et Mélissa. Dans son adaptation de cette pièce, Lina Abiad – metteure en scène, titulaire d’un doctorat de la Sorbonne (Paris) en études théâtrales (à son actif plus de 40 pièces) – fait une fois de plus le pari de l’innovation. À la force des mots et du sous-texte, vient s’ajouter une mise en scène qui insuffle à la pièce une dynamique qui sert l’émotion et met en exergue la tension de l’histoire, ponctuée par la musique du saxophone du jeune et talentueux Nareg Karapetyan âgé de juste 17 ans. Les deux acteurs (Josyane Boulos et Nadim Chammas) se déplacent sur scène et dans la vie, se regardent, se cherchent, se perdent, se retrouvent et se perdent à nouveau. Ce mélange de longs échanges passionnés, de courtes réponses tranchantes et de silences éloquents, apporte aux répliques, d’abord d’apparence banale, une vérité frappante servie par l’énergie débordante de Mélissa et la retenue troublante de Andrew. Produit par 62 Events, la pièce est présentée au théâtre Monnot jusqu’au 3 octobre.

50 ans de lettres

Mélissa et Andy commencent à s’écrire en 1937, partagent des fêtes d’anniversaires, des soirées de Saint-Valentin, des goûters et des « surprise parties ». Elle méprise son obéissance à ses parents et ses autres tendances scouts, il la réprimande pour s’être acharnée au vestiaire avec un « crétin » qui s’en vante. « Ma mère dit que je serai préparé à vie, si je t’épouse », écrit-il. Elle suggère qu’il est impressionné par le soda au gingembre et les biscuits sur un plateau en argent. De la première carte d’enfance griffonnée au dernier adieu, de l’école primaire à l’âge de la raison, les échanges épistolaires de Mélissa et d’Andrew nous ramènent vers l’innocence de l’enfance, les peurs de l’adolescence, les angoisses de la jeunesse, les fantaisies de l’âge adulte et ses déceptions. À travers une correspondance ininterrompue de plus de cinquante années, c’est la vie de Mélissa Gardner et d’Andrew Ladd Makepeace qui se déroule sous nos yeux, avec ses heurs et ses malheurs. Leurs choix de vie vont en effet les éloigner l’un de l’autre, mais jamais le fil de la correspondance ne se brisera. Ils resteront toujours en contact par le biais des mots, fidèles à cette relation épistolaire entamée alors qu’ils n’avaient que huit ans.

Josyane Boulos et Nadim Chammas sont les deux protagonistes de « Love Letters » dans une mise en scène de Lina Abiad au théâtre Monnot. Photo Dr

Ni avec toi ni sans toi

Issue d’une famille très aisée, Mélissa manque de tout sauf d’argent. Réfractaire à l’écriture, elle est dans l’action, le mouvement, dans le présent, dans le « vivre maintenant ». Elle dévale la vie en slalom et se prend toutes les portes en pleine figure.

Josyane Boulos (Mélissa) après avoir été pendant plusieurs années présentatrice, productrice de télévision, puis spécialiste dans l’événementiel, se consacre exclusivement au théâtre depuis 2017. Elle n’est pas à sa première expérience en fortes émotions partagées avec le public et réussit à faire rire et pleurer avec crédibilité. Elle campe la naïveté de l’enfance, la frivolité de l’adolescence, la fougue de la jeunesse et l’insécurité des adultes. Elle est tour à tour puérile, drôle, coquette et pétulante, et glissera lentement dans le rôle de l’alcoolique dépressive, seule et agitée. Ses expressions faciales et ses inflexions vocales, l’intonation sur une syllabe, un souffle, un éclat de rire perçant, un sanglot retenu servent parfaitement l’émotion et l’intelligence du texte. Elle est simplement solaire. Andy, vêtu d’un strict costume sur une chemise blanche cravatée de noir est étouffant de rigueur. Il appartient à la classe moyenne supérieure, vient d’une famille modeste, mais équilibrée, il est pondéré et sage, robuste et déterminé. Attaché aux règles, il maintient un sens aigu de la bienséance, épris d’écriture et des mots, ses émotions ont besoin d’un médiateur : « Quand je t’écris, je suis l’amoureux parfait. » Il est dans le maintien et la retenue, et gravit les échelons de la vie en ligne droite. L’ascension sociale est son moteur, un avocat à succès que la vie politique va dévorer. Sa vie sera un long fleuve tranquille : une femme, des enfants, une position de sénateur, et pourtant… Il ne réalisera à quel point elle comptait qu’à l’instant de sa mort. « J’avais tout pour être heureux, mais elle était au cœur de ma vie », se lamente-t-il auprès de sa mère. Pourtant, issus du même milieu huppé des WASP (White-Anglo-Saxon-Protestant), tout sépare ces deux êtres si différents, mais unis par un lien profond.

Passionné de théâtre et de cinéma, Nadim Chammas a déjà joué dans TocToc de Laurent Baffie, dans une mise en scène de Nadine Mokdessi, dans M. Béchara d’Alexandre Najjar mis en scène par Lina Abiad et dans le court-métrage Corona Days de Farah Chayya. Il joue avec sensibilité et subtilité les pauses et les accélérations d’un texte dicté par les intermittences du cœur, et réussit, au fil de la pièce, à ménager avec art la progression tout à la fois sensuelle et dramatique de l’histoire.

Deux êtres différents qui auraient pu se compléter harmonieusement s’ils n’avaient pas été chercher ailleurs, laissant passer le moment qui aurait pu changer le courant de leur vie. Une histoire ironique et poignante à travers un demi-siècle de lettres où les douleurs parallèles de Mélissa et d’Andrew semblent, à la tombée du rideau, aussi familières que les nôtres.

La pièce a en effet ce quelque chose de particulier qui résonne dans le monde du XXIe siècle. À l’heure où nous avons tendance à oublier la magie des lettres échangées et à nous réfugier dans les textos et les messages stériles et aseptisés, Love Letters vient nous rappeler que rien ne vaut les mots écrits à la main et le senti qui passe par le corps. Les textos et les messages s’effacent, mais les lettres demeurent, pour sans cesse nous rappeler que nous avons souffert ou aimé, mais nous avons vécu.

« Love Letters » de A. R. Gurney

Mise en scène : Lina Abiad

Avec Josyane Boulos et Nadim Chammas

Production 62 Events

Au théâtre Monnot, du 9 septembre au 3 octobre

Billets en vente à la Librairie Antoine.

Love Letters de A. R. Gurney, pièce nominée au prix Pulitzer du théâtre, était écrite pour être présentée sous forme de lecture et interprétée par un duo assis autour d’une table, qui ne se regarde jamais, de manière à faciliter à la fois le casting et la mise en scène. Elle dévoile chronologiquement une correspondance de plus de 50 ans entre Andy et Mélissa. Dans son...

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