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Culture - Exposition

« Je photographie comme on dessine, avec la lumière pour seul instrument »

À la galerie Art Lab, Hagop Kanledjian tente de capturer le temps. « Time Perception » est une série de photographies réalisées pour définir la notion de l’éphémère ou celle du temps qui se retrouve condensé en une seule image.

« Je photographie comme on dessine, avec la lumière pour seul instrument »

Hagop Kanledjian, « August Angels », 2021, photogramme 40 x 30cm, épreuve unique.

La photographie est un médium qui porte en son sein la notion de temps. « Time Perception » est un projet entamé en 2016, repris et présenté en partie à la galerie Art Lab. Il atteste de la volonté de Hagop Kanledjian de questionner cette temporalité. Il peut être défini sous sa forme objective comme un mouvement continu et irréversible, ou sous sa forme subjective comme un sentiment intérieur de durée. « Mais le temps dans la photographie, confie l’artiste, témoigne toujours d’un moment, d’un instant, d’une rencontre et surtout d’un travail de mémoire. » C’est précisément cet instant de contact que l’artiste tente de figer, tout en soulignant le passage du temps. En ce sens, une photographie est d’abord une trace, une marque laissée d’une prise de contact. Tout photographe reconnaît l’impossibilité de reprendre exactement la même prise tant les coordonnées sont nombreuses, imprévisibles et non contrôlables, et le photographe reste à la merci totale des éléments.


Hagop Kanledjian, « Escape to Heaven I », 2015, épreuve gélatino-argentique, 60 x 50 cm.

La volonté de Hagop Kanledjian dans ce projet est de montrer autre chose qu’une simple photographie, mais une expérience multidimensionnelle, une fenêtre ouverte sur un monde où entre en jeu l’étendue des heures écoulées, où la lumière et la vie se déroulent sur une seule image, une vision que les yeux ne pourront jamais capturer par eux-mêmes. « Il n’y a pas de seconde chance, dit-il, le moment, ce n’est pas moi qui pars le chercher, je le laisse venir à moi. Et ce moment part de la scène comme une flèche et vient percer l’objectif, et la magie opère. »


Hagop Kanledjian, « August Angels », 2021, photogramme 40 x 30cm, épreuve unique.

Le temps en trois temps

Hagop Kanledjian fait partie de ce groupe très restreint de photographes qui ne s’est jamais tourné vers le numérique lorsqu’il s’agit de créer, mais qui a toujours abordé l’art de la photographie par l’angle de la photo argentique. C’est un maître de la chambre noire, il crée son propre matériel et prépare ses propres formules. Détrônée au début des années 2000 par la suprématie du numérique, la photographie argentique a longtemps été la norme en photo, elle représente aujourd’hui pour certains un retour aux sources. Elle ajoute une certaine magie à ce type de photo. « Elle a toujours été pour moi le seul procédé utilisé en matière de création », confie l’artiste.

Dans un premier temps, le photographe a voulu suivre la transformation et le mouvement d’un nuage. Voir les nuages de pluie se former est en soi un récit, celui de pouvoir capturer le changement du ciel sur l’évolution de la journée ; la photographie est ensuite imprimée selon le procédé le plus classique et le plus traditionnel. « Il m’arrivait d’attendre plusieurs heures pour laisser le nuage venir à moi », avoue-t-il. Perpetual Memories est un même nuage en mouvement avec très peu d’exposition de lumière que le photographe a suivi au courant d’une journée entière. « C’est lui qui m’indiquait l’instant où je devais cliquer. » Escape to Heaven est un nuage qui prend différents aspects sans perdre son essence. Et l’artiste de se poser la question : « Est-il un esprit ou une âme ? Ou encore le témoignage de l’éphémère et de l’irréversibilité ? »

Dans la deuxième expérience, c’est l’impact du temps sur les éléments de la nature qui intéresse l’artiste pour dénoncer son intervention. Le photographe tente de capter le mouvement des plantes alors qu’elles poussent, de l’instant où elles sont vivaces jusqu’au moment du dessèchement total. La faible exposition à la lumière permet de suivre cette évolution. « Je me suis concentré sur les fleurs de mon jardin qui renvoient à mon enfance. Les fleurs de lys me rappellent l’époque où, avec mon père, nous passions du temps à les planter. J’ai établi une relation avec ces plantes, elles étaient la mémoire de ces heures passées avec lui. »

Dans un troisième temps, le photographe reprend le concept de l’évolution des fleurs en ayant recours au procédé du photogramme (la création d’une image sans l’intervention d’un appareil photo). « Pour réaliser un photogramme, précise l’artiste, je ne fais pas de prise de vue, je n’utilise pas de négatif, je travaille directement avec la lumière et les ombres sur le papier sensible. L’image photographique est réalisée en plaçant des objets entre du papier photosensible et une source lumineuse. La trace est produite par la lumière. Tout est donc inversé. Ce qui est blanc, donc lumineux, produit une trace sombre, et ce qui est noir, une trace blanche. C’est une sorte de montage lumineux, une sorte de dessin avec la lumière comme seul instrument. »


Hagop Kanledjian, « Perpetual Memories I, II & III », 2014, épreuve gélatino-argentique, 80 x 300 cm, triptyque.

La livre libanaise de mon père

« Je suis à la poursuite du temps, celui passé, celui perdu ou volé, ou celui qui nous reste. Le temps ne s’arrête pas et, souvent, il vous renvoie au passé. Mon père était un grand idéaliste fort de son amour pour la patrie. Il croyait dans le pouvoir de la livre libanaise et n’a jamais cédé à la panique face à la dévaluation. Et un jour, pour s’être cramponné à ses convictions, il s’est retrouvé ruiné. C’est en fouillant dans ses affaires que je suis tombé sur son portefeuille qui contenait des billets de livres libanaises à l’époque où une livre valait de l’or. Ma mémoire m’a renvoyé à mon enfance et à ces jours heureux. » Et l’artiste se souvient, et utilise le procédé photogramme pour honorer la mémoire et y ajouter des éléments à portée symbolique. Mais il n’y a pas que les souvenirs lointains qui animent l’artiste, il y a aussi la perte récente de deux de ses amis les plus proches suite à la double explosion du 4 août 2020. Les deux œuvres à l’entrée de la galerie sont un hommage à ces deux personnes disparues et chères à son cœur. Gaia Fodoulian, directrice de la galerie Letitia, était pour lui un papillon, un condensé de joie de vivre et de légèreté, de ces personnes qui vous poussent de l’avant. Pour avoir longtemps collaboré avec Saleh Barakat, Firas Dahwich avait développé une ferveur artistique et une passion pour l’art. Le temps et les années ont fait de lui l’ami le plus proche de Hagop Kanledjian.

« Le chemin est plus important que la destination », affirme l’artiste. Le chemin que l’on refait, celui que l’on trace ou celui que l’on imagine. Voilà pourquoi Hagop Kanledjian photographie.

Art Lab

Rue Gouraud, Gemmayzé, du mardi au samedi de 11h à 18h.

Jusqu’au 27 août.

La photographie est un médium qui porte en son sein la notion de temps. « Time Perception » est un projet entamé en 2016, repris et présenté en partie à la galerie Art Lab. Il atteste de la volonté de Hagop Kanledjian de questionner cette temporalité. Il peut être défini sous sa forme objective comme un mouvement continu et irréversible, ou sous sa forme subjective comme un...

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