Le pays est dans un état d’effondrement accéléré. Nul besoin de le rappeler. Cela ne semble toutefois pas influer sur le rythme des tractations en quête d’un gouvernement censé remettre le Liban sur les rails, les priorités des protagonistes concernés étant ailleurs. À leurs yeux, il semble qu’il s’agisse du moment propice pour se lancer dans le bazar des noms des futurs ministrables.
Les différends autour de ces noms empêcheraient toujours le Premier ministre désigné Nagib Mikati de parcourir « les quelques mètres » qui restent avant de former son équipe, comme il l’avait déclaré mardi depuis Baabda. « Il s’agit de trois mètres. Mais il se trouve que ces trois mètres sont composés de montées, de descentes, de vallées et de montagnes… » commente pour L’Orient-Le Jour un proche du dossier gouvernemental.
Ces propos en disent long sur les difficultés auxquelles fait face M. Mikati, alors qu’il s’efforce de distiller un climat d’optimisme qui semble de plus en plus artificiel. Pour le moment, les milieux proches du chef du gouvernement désigné se contentent d’assurer que les contacts se poursuivent pour aplanir tous les obstacles.
De son côté, la présidence de la République se présente comme celle qui facilite la tâche de M. Mikati. « Il ne reste plus que quelques noms sur lesquels le président et le Premier ministre désigné devraient s’entendre », déclare à L’Orient-Le Jour un proche de Baabda, qui tient à préciser que « rien ne bloque les tractations. Les discussions autour des noms prennent du temps. Et cela est normal ». Une réponse voilée aux accusations lancées contre le camp présidentiel de bloquer le processus pour avoir le dernier au mot au sujet de quelques portefeuilles jugés juteux et importants dans la prochaine phase qui sera principalement axée sur la mise sur les rails des réformes exigées par la communauté internationale et la tenue des législatives prévues en mai 2022.
Des noms et des nœuds
Quoi qu’il en soit, le gouvernement Mikati ne verra pas le jour avant que ne soit réglée la mésentente autour de plusieurs noms de ministrables, tels que celui des Finances. Pour ce portefeuille régalien, le président de la Chambre Nabih Berry tient à la nomination de Youssef Khalil, directeur du département des opérations financières au sein de la banque centrale, contre la volonté du chef de l’État. Ce dernier continue à voir dans la personne de M. Khalil une entrave à l’audit juricomptable, cheval de bataille du sexennat accusé de régler des comptes avec le gouverneur de la BDL Riad Salamé, surtout après la décision de lever les subventions sur les carburants, qui avait suscité l’ire de Michel Aoun et son camp.
Outre le ministre des Finances, le président Aoun n’a pas encore dit son dernier mot concernant les futurs ministres de l’Intérieur et de la Justice. Le proche de Baabda cité plus haut explique cela par le fait que le président « n’est pas encore parvenu à un accord sur ce point avec le Premier ministre désigné ». Mais notre correspondante Hoda Chédid rapportait mardi soir que Michel Aoun aurait formulé un veto à la nomination de Fayez Hajj Chahine, professeur de droit de grande renommée, à la Justice, lui préférant le juge Jihad Wadi, un nom qui aurait résulté d’une entente avec M. Mikati.
Toujours dans le cadre des ministères dits régaliens, on apprenait hier en soirée que Abdallah Bou Habib, ex-ambassadeur du Liban à Washington gravitant dans l’orbite aouniste, pourrait être nommé aux Affaires étrangères.
Pour ce qui est des ministères dits de services, le juteux portefeuille des Télécoms devrait être attribué à un proche du leader des Marada Sleiman Frangié. Selon une source informée des contacts en cours, il s’agirait de Maurice Doueyhi, un expert en matière de télécommunications, mais dont le nom n’aurait toujours pas reçu l’aval du locataire de Baabda. Il s’agira de la toute première fois depuis fin 2016 que les Marada ne seront pas à la tête du ministère des Travaux publics. Celui-ci devra relever de la quote-part du Hezbollah. Mais là, un problème majeur se pose : ce ministère sera naturellement appelé à jouer un rôle important dans la reconstruction du port de Beyrouth ravagé par la double explosion meurtrière du 4 août 2020. Sauf que plusieurs pays occidentaux refusent de collaborer avec des ministres affiliés au parti chiite ou même proches de lui, comme le confie une source diplomatique.
Quant à l’Énergie, aux mains de la mouvance aouniste depuis treize ans, les milieux de la présidence tiennent à assurer que Michel Aoun « n’a pas demandé » qu’elle relève de son lot. Mais il l’a obtenue « dans le cadre de la répartition des portefeuilles » établie entre MM. Aoun et Mikati. Pour le moment, les milieux de Baabda se contentent d’indiquer que les discussions autour du ministrable concerné sont toujours en cours, alors que des informations de presse évoquaient ces derniers jours une probable nomination de Carole Ayat à ce poste. Hier, l’intéressée est sortie de son silence : « J’ai vu mon nom dans la presse aujourd’hui. Je ne participerai qu’à un gouvernement indépendant, crédible et dont la mission est bien définie (…) » a-t-elle écrit sur son compte Twitter. Une source informée confie, en outre, à L’OLJ que le camp présidentiel propose le nom de Fadia Kiwan, directrice de l’Organisation de la femme arabe, pour les Affaires sociales, le ministère qui devrait superviser la distribution de la carte d’approvisionnement aux familles les plus défavorisées à quelques mois des prochaines législatives. De son côté, le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, qui devait inclure les Affaires sociales à son lot, pourrait, en contrepartie, se voir attribuer le portefeuille de l’Éducation. Le nom du juge Abbas Halabi circule déjà dans certains milieux politiques.
Le mandat « est fini »
Cette valse de noms de ministrables ne semble pas satisfaire les opposants au pouvoir en place. Ceux-ci y voient un futile partage du gâteau aux dépens d’un pays qui s’effondre. C’est le cas de Marwan Hamadé, député démissionnaire du Chouf. Farouche opposant au mandat Aoun, M. Hamadé s’est livré hier à une nouvelle – et violente – diatribe contre le sexennat. « Le cabinet qui devrait être formé dans les deux prochains jours sera un cabinet de partage de gâteau et n’aura rien à voir avec l’initiative française (qui prônait un gouvernement de mission chargé d’opérer les réformes exigées par les pays donateurs, NDLR) », a-t-il lancé dans une déclaration à la presse. « Le mandat Aoun a échoué, et il est fini. Le système (politique) libanais ne sera pas réformé durant ce sexennat », a encore affirmé le député démissionnaire, avant de conclure : « Je ne vois pas les avantages de ce mandat. »
Les tractations butent sur "quelques portefeuilles jugés juteux". Normal, il reste encore 14 milliards de dollars de réserves à la BDL. Ils ne vont pas les laisser aux comptes des déposants dans les banques. Il faut bien vider tous ces comptes.
17 h 43, le 19 août 2021