Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Mon happy place : y retournerais-je un jour ?

Parce qu’il y a plus beau que le Liban ?

J’ignore combien de fois j’ai entendu cette phrase. Cette question à laquelle chaque génération accorde une interprétation particulière. Pour certains, il s’agit d’une clé donnant accès au passé, quand ils prenaient du plaisir et du vrai bonheur à se lever tôt le matin. Pour d’autres, cette question est connectée à l’espoir que ces beaux jours reviendront afin que l’on puisse enfin en faire l’expérience. Pour les jeunes de ma génération, l’interprétation se voit comme un voile de sarcasme pour donner suite au fait que malgré tout ce qui se passe dans ce pays, on peut toujours y trouver de la beauté comme nulle part ailleurs.

Il y a bientôt quatre ans, je montais dans l’avion avec deux grosses valises et un sac à dos pleins à craquer. La musique est mise à fond sur une chanson de American Authors qui s’appelle Neighborhood. Je me disais que je prenais la bonne décision et que l’aventure en vaudra le coup. Je m’imaginais au pied d’une haute montagne que je m’apprêtais à gravir. Mais une fois arrivé à l’aéroport, l’idée de gravir mon Everest laissa place au quartier, à mon neighborhood.

Ce quartier où j’ai passé les vingt premières années de ma vie, où je laisse tant de souvenirs, tant de famille, d’amis, de support, d’espérance. J’y avais consacré ma semaine avant ce départ. J’ai essayé de créer de nouveaux souvenirs qui pourront être enregistrés et transportés au-delà des frontières. J’avais passé du temps avec toutes les personnes que je voulais voir. Mes valises étaient remplies, mais je me sentais quand même vide ; il manquait quelque chose. Je laissais quelque chose d’important derrière moi : il s’agissait de tout un bagage qu’aucune valise ne pourrait jamais contenir. Ce bagage constituait ma vraie identité, pas le passeport que je tiens dans ma main droite en ce moment. C’est à cet instant que je compris que je ne disais pas « au revoir », mais « adieu ».

En parlant, il est l’heure. J’embrasse mes parents une dernière fois. Je me sens tout drôle. Mes jambes étaient molles, ma gorge se gonflait au point d’exploser et mon cœur se brisait en mille morceaux. Un sentiment de culpabilité m’envahit. Une envie de fondre, de cacher mon visage honteux. Cette voix au fond de moi disait : « Mes parents ont vécu des événements atroces au cours de ces dernières décennies. Ils méritent tout le bonheur du monde. Ils méritent d’être à l’aise, de ne pas avoir à se soucier de ce qui se passe autour d’eux, de profiter de la vie. Pourtant, je suis celui qui part. »

À ce moment, ma mère me chuchota à l’oreille : « Reviens vite. Tu vas me manquer. » Ma réponse fut : « C’est promis. Après tout, y a-t-il plus beau que le Liban ? » Sur le coup, j’avais employé cette fameuse phrase comme une blague afin de nous changer les idées. Quand j’y repense aujourd’hui, je ressens une certaine vanité dans ces mots. Si c’était vraiment le cas, alors pourquoi ai-je pris l’avion ? Pourquoi ai-je décidé d’écouter les gens me disant que je quittais « au bon moment » ? Existe-t-il une période pour laisser toute une vie derrière soi et recommencer à zéro ?

J’étais prêt à partir, à commencer une nouvelle vie dans un pays qui n’était pas le mien. Je voulais que mes parents soient fiers de moi. Je voulais leur dire que leurs sacrifices n’étaient pas vains. Cependant, mon cœur se serre chaque fois que je pense à eux. Une fissure qui s’approfondit et s’élargit quand j’entends leurs voix au téléphone. Tant de moments que j’aimerais partager avec eux au cours de ces dernières années, réduits à de simples photos ou messages sur le groupe familial WhatsApp. Cette famille qui est la raison principale de mes vacances au Liban au moins une fois par an. Il est quand même bizarre, ce pays.

On ne retourne pas au Liban car le pays nous manque. On y retourne car notre famille nous manque. On veut juste retrouver notre neighborhood. Voilà ce qu’on appelle en anglais notre happy place (notre chez-soi) comme dans la chanson de Saint PHNX. La définition d’un chez-soi ne se limite pas à un lieu ou à une personne, mais à ce qui nous permet de trouver une paix spirituelle que nous ne trouverons pas aiileurs. Il s’avère que ce happy place se trouve au Liban.

Ce pays que l’on essaie tant de refouler au fond de notre mémoire car le simple fait d’y penser nous stresse et nous rend anxieux. Ce pays qui nourrit un sentiment de culpabilité au fond de nous car nous sommes partis. Comme si on l’abandonnait pour de bon car on pensait qu’on valait mieux.

Parce qu’il y a plus beau que le Liban ?

Aujourd’hui, il s’avère que mon neighborhood se trouve encore au Liban.

Aujourd’hui, cette image me peine tant que je ne me comprends plus vis-à-vis de ce pays.

Aujourd’hui, en voyant ce qu’endure mon neighborhood, je me sens dépourvu de mon happy place.

Le retrouverais-je un jour ? Sentirais-je à nouveau la grande joie de revenir au Liban ?


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Parce qu’il y a plus beau que le Liban ? J’ignore combien de fois j’ai entendu cette phrase. Cette question à laquelle chaque génération accorde une interprétation particulière. Pour certains, il s’agit d’une clé donnant accès au passé, quand ils prenaient du plaisir et du vrai bonheur à se lever tôt le matin. Pour d’autres, cette question est connectée à...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut