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Culture - Entretien

Simon Berger : Ce qui est incassable, c’est le message que les victimes portent au monde entier

Transpercer le mur du silence, recoller les morceaux cassés de milliers de personnes brisées par la tragédie du 4 août 2020 et immortaliser ce souvenir, c’est ce que tend à faire cette exposition d’une trentaine de portraits des victimes, réalisés avec du verre recyclé, dévoilée lors de la première commémoration.

Simon Berger : Ce qui est incassable, c’est le message que les victimes portent au monde entier

L’œuvre de Simon Berger a été exposée le 4 août sur le site de la double explosion au port de Beyrouth. Photo Steve Kozman


Simon Berger : « Travailler pour ce projet a été d’une grande intensité émotionnelle. » Photo DR

Un an après la double explosion du port de Beyrouth, le 4 août – l’une des plus grandes explosions non nucléaires de l’histoire – et en l’absence de responsabilité imputée à quiconque, les familles des victimes tentent de se reconstruire sans oublier la tragédie et en essayant de faire revivre le souvenir de leurs bien-aimés. Avant la commémoration de cette date horrifique, la chaîne de télévision MTV au Liban, en partenariat avec l’agence de publicité régionale TBWA/Raad, a décidé qu’il était temps de briser le silence en lançant la campagne #WeAreUnbreakable, dans laquelle les victimes ont été représentées sous forme de verre pour demander justice aux autorités.

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En collaboration avec l’historien de l’art et galeriste Laurent Marthaler, l’artiste suisse Simon Berger a donné forme artistiquement à cette initiative. Son langage plastique est singulier car il explore la profondeur de la matière, le verre, qu’il martèle ou fend avec un marteau. Il joue ainsi avec la transparence, et le marteau devient entre ses mains un outil non pas destructeur, mais constructeur et amplificateur d’émotions. L’une des œuvres les plus célèbres de Simon Berger est le portrait de la vice-présidente américaine Kamala Harris, exposé au National Mall à Washington D.C.

Les œuvres réalisées par Berger ont été exposées le 4 août devant les silos du port durant l’émission de télévision « Sar el-Wa’at », présentée par Marcel Ghanem, lors d’un épisode spécial diffusé en direct depuis le site de la double explosion à la mémoire des victimes. Contacté par L’OLJ, l’artiste Simon Berger a évoqué cette initiative chère à son cœur.


Des portraits des victimes du 4 août 2020 réalisés par Simon Berger avec du verre recyclé, dévoilés lors de la commémoration de la première année de la tragédie. Photos DR

Quand on vous a proposé de faire les portraits des victimes de Beyrouth, vous vous êtes directement envolé pour le Liban pour faire partie de cette initiative. Qu’est-ce qui vous a poussé d’abord à accepter ce travail, ensuite à l’accomplir ?

Lorsque mon galeriste Laurent Marthaler et l’agence TBWA/Raad m’ont parlé de ce projet, j’ai immédiatement accepté. Sa puissante portée symbolique et son message essentiel de justice pourront, je l’espère, interpeller ceux qui portent la responsabilité de cette tragédie. Aujourd’hui, je les remercie de m’avoir fait confiance pour reproduire ce qui a été la plus grande plaie qui saigne encore dans Beyrouth et pour convoquer la vérité, la justice.


Des portraits des victimes du 4 août 2020 réalisés par Simon Berger avec du verre recyclé, dévoilés lors de la commémoration de la première année de la tragédie. Photos DR

Vous avez déployé cette technique unique, à la force de votre marteau, sur des parois de verre recyclé de la double explosion pour ainsi créer des portraits des victimes. Avez-vous toujours aimé travailler le verre ?

Lorsque j’ai commencé à créer il y a une dizaine d’années, je travaillais avec du spray et du graffiti, en parallèle à mon activité de menuisier, que j’ai quittée, depuis, pour me consacrer pleinement à ma carrière artistique. Il y a deux ans, j’ai découvert les possibilités du verre et je me suis mis à expérimenter pour arriver à un résultat qui me donnait satisfaction. Le verre est devenu depuis mon seul medium et celui sur lequel j’aime travailler.


Des portraits des victimes du 4 août 2020 réalisés par Simon Berger avec du verre recyclé, dévoilés lors de la commémoration de la première année de la tragédie. Photos DR

Combien de temps ces œuvres ont-elles nécessité ? De simples photos des victimes vous ont-elles suffi ou avez-vous rencontré leurs parents et amis pour vous imprégner de leurs personnalités ?

Nous sommes restés au Liban dix jours. Voir les visages de ces vies brisées et rencontrer les parents et amis des victimes m’ont profondément bouleversé. Pour mon travail, je me suis isolé dans mon atelier et j’ai travaillé à l’aide des photos, comme je le fais habituellement, jusqu’à ce que le résultat soit parfait. Je me suis senti investi d’une responsabilité envers les familles et amis des victimes, ainsi qu’envers le peuple libanais.


Des portraits des victimes du 4 août 2020 réalisés par Simon Berger avec du verre recyclé, dévoilés lors de la commémoration de la première année de la tragédie. Photos DR

Vous avez dû ramasser des vitres brisées aux alentours du port. Un geste difficile. Qu’avez-vous ressenti en l’accomplissant ?

Travailler pour ce projet a été d’une grande intensité émotionnelle. Le fait d’être sur place, de voir les conséquences de l’explosion m’a profondément marqué. C’est inconcevable si on ne le voit pas en personne. Cela a eu une influence certaine sur mon travail.


Des portraits des victimes du 4 août 2020 réalisés par Simon Berger avec du verre recyclé, dévoilés lors de la commémoration de la première année de la tragédie. Photos DR

Vous a-t-on imposé un choix dans les portraits ou les avez-vous choisis vous-même ? Au total, combien en avez-vous réalisé ?

Rien ne m’a été imposé. J’ai reçu les portraits de toutes les victimes et j’ai dû faire un choix. J’ai longuement observé les portraits, et le choix a été difficile. Le temps dont je disposais ainsi que les critères que j’utilise habituellement dans mon travail ont été primordiaux dans mes décisions. J’ai donc réalisé plus d’une trentaine de portraits.


Des portraits des victimes du 4 août 2020 réalisés par Simon Berger avec du verre recyclé, dévoilés lors de la commémoration de la première année de la tragédie. Photos DR

Les portraits seront ensuite exposés à Beit Beirut, également connue sous le nom de « Maison jaune » – un monument historique qui célèbre l’histoire de Beyrouth, pour faire partie de la collection permanente du musée, comme un rappel constant de la demande de justice. Comptez-vous en refaire d’autres ?

C’est un grand honneur pour moi d’être exposé dans la collection de la Maison Jaune, mais il n’est pas prévu que je fasse d’autres portraits pour le moment.

Sont-ils vraiment incassables à présent ?

Ce qui est incassable, c’est le message qu’ils portent, la force et la signification du triste sacrifice de ces victimes innocentes dans le cœur des Libanais et du reste du monde.

Simon Berger : « Travailler pour ce projet a été d’une grande intensité émotionnelle. » Photo DR Un an après la double explosion du port de Beyrouth, le 4 août – l’une des plus grandes explosions non nucléaires de l’histoire – et en l’absence de responsabilité imputée à quiconque, les familles des victimes tentent de se reconstruire sans oublier la tragédie et en...
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Extraordinaire. Bravo !

Emmanuel Durand

21 h 54, le 13 août 2021

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  • Extraordinaire. Bravo !

    Emmanuel Durand

    21 h 54, le 13 août 2021

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