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Moyen-Orient - Éclairage

Téhéran veut s’en prendre aux derniers espaces de liberté sur internet

Un projet de loi prévoit la criminalisation de l’utilisation de VPN et le remplacement d’Instagram.

Téhéran veut s’en prendre aux derniers espaces de liberté sur internet

Une femme tente d’avoir accès à son téléphone, à Téhéran, le 23 novembre 2019, alors que le régime avait mis en pratique une coupure quasi totale de l’internet en réponse à la mobilisation populaire. Atta Kenare/AFP

« Ils craignent l’internet puisqu’ils soutiennent les corrompus. » Depuis la mi-juillet, les ouvriers de l’usine de transformation de canne à sucre Haft Tappeh – le plus gros complexe agroalimentaire d’Iran situé dans la région du Khouzistan, dans le sud-ouest du pays – sont en grève. Le 31 juillet, ils décident, comme nombre de leurs concitoyens à l’échelle de la province, de prendre d’assaut les rues de la ville de Shush pour protester contre des conditions de travail déplorables, les pénuries d’eau et les coupures d’électricité. Mais leurs slogans prennent aussi pour cible les toutes dernières manœuvres du régime iranien visant à restreindre la parole en ligne, dans un contexte de répression du Net déjà très avancée.

Dans le collimateur des grévistes et des manifestants, la double crise environnementale et socioéconomique et l’incapacité des autorités à répondre à leurs revendications autrement que par la violence. Défié dans les urnes – en témoignent les taux d’abstention historiques au cours des précédents scrutins législatifs et présidentiel –, le pouvoir l’est aussi dans les rues et sur les réseaux sociaux. C’est dans ce cadre particulièrement agité qu’est discutée en Iran le projet de loi intitulé « Législation pour protéger les utilisateurs du cyberespace » et qui pourrait conduire à étouffer davantage l’accès à internet dans le pays. Présenté il y a déjà trois ans au Parlement, il vient d’être remis sur la table par l’Assemblée où, depuis février 2020, les durs dominent.

VPN et Instagram

Si durant la dernière décennie le régime a censuré Twitter et Facebook, banni YouTube, bloqué Telegram et n’a pas hésité à restreindre sévèrement l’accès de la population à l’internet global lors du soulèvement de novembre 2019 pour l’empêcher de communiquer sur la répression, reste qu’il a laissé quelques échappatoires, au premier rang desquelles la plateforme Instagram, utilisée, selon l’institut de sondage ISPA, par plus de 50 % des Iraniens. En outre, nombre d’Iraniens ont pu contourner les interdictions grâce à l’obtention d’un VPN (réseau privé virtuel) leur permettant l’accès à l’internet global. Or c’est justement à ces derniers espaces de liberté que le régime veut à présent s’attaquer. Le projet de loi soumis au Parlement iranien le mercredi 28 juillet menace le peu d’accès relativement libre et gratuit dont disposent les usagers. D’après ses dispositions, toutes les compagnies de réseau social et de messagerie seront tenues de nommer un représentant iranien et d’accepter de se conformer aux règles de vérification, faute de quoi elles pourront être bloquées dans les quatre mois suivant l’entrée en vigueur de la loi. Il est cependant peu probable que les géants des médias s’astreignent à cette directive, car cela pourrait leur valoir des sanctions de Washington ou encore leur inscription sur la liste noire du Groupe d’action financière (organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment des capitaux).

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La nouvelle législation prévoit de surcroît une surveillance fortement accrue des utilisateurs. Pour obtenir une licence, les sociétés concernées devront enregistrer leurs abonnés et fournir à la demande des autorités les informations relatives à leur sujet. La loi planifie de plus le remplacement d’Instagram par des applications locales telles que Rubica. « Avant sa censure en avril 2018, Telegram était très centrale pour toutes sortes d’affaires administratives, pour l’e-commerce, etc. », note Mahsa Alimardani. « Une fois l’application bloquée, ces activités se sont déplacées sur Instagram. Ce projet de loi essaie de rendre impossible la connexion à l’internet international et de rendre les gens dépendants du web national. Si vous êtes une entreprise ou un institut de recherche qui dépend d’une collaboration à l’étranger, cela entravera sérieusement votre travail. » Un article du Washington Post datant du 7 août rapporte que d’après diverses estimations, environ 28 % des pages Instagram iraniennes sont liées aux affaires commerciales, « deuxième groupe derrière le divertissement ». D’après le quotidien, d’autres chiffres indiquent que « 58 % des entreprises en ligne en Iran sont sur Instagram, contre 11 % sur Telegram et 9 % sur Facebook ». Enfin et surtout, le projet de loi vise à criminaliser l’utilisation des services VPN, bien que pour l’heure les contours techniques de cette mise en œuvre demeurent flous.

Nationalisation

À partir des années 2000, la République islamique a bloqué des milliers de sites web et de services internationaux fournisseurs de réseaux sociaux. Un processus qui s’est accéléré après la victoire hautement controversée de Mahmoud Ahmadinejad lors du scrutin présidentiel de 2009 ayant donné lieu à une contestation massive sans précédent depuis la révolution de 1979. De quoi convaincre le régime de la nécessité d’accroître le contrôle de la population sur internet s’il veut tenir dans la durée. Un enjeu devenu de plus en plus crucial du fait de l’émergence à intervalles réguliers de mouvements populaires massifs à travers le pays, prenant pour cible le gouvernement mais aussi les figures les plus sacrées de la République islamique, à commencer par celle du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei.

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« L’aspect central de la politique de l’internet a été sa nationalisation depuis 2009/2010. C’est le projet d’une décennie dont la réalisation la plus visible a été la mise en œuvre d’un “Réseau national d’information (RNI)” », explique Mahsa Alimardani, doctorante à l’Oxford Internet Institute. Véritablement lancé en 2012, le développement du RNI a cependant été galvanisé ces dernières années à travers la multiplication de sites et d’applications locaux bâtis sur les modèles étrangers existants. Les mesures punitives renforcées imposées par Washington depuis 2018 ont par ailleurs donné du grain à moudre aux autorités pour appuyer leur projet, puisque les Iraniens ne peuvent plus avoir accès aux services proposés par des sociétés américaines telles que Google ou Microsoft.

Le durcissement législatif prévu ne peut être appliqué que s’il est approuvé par le Conseil des gardiens de la Constitution. Conformément à la loi fondamentale, il devra ensuite être mis à l’essai avant l’approbation finale du Parlement. Ebrahim Raïssi, le nouveau président iranien, est un ultraconservateur qui avait défendu par le passé l’idée d’un système d’ouverture à l’internet reposant sur des critères spécifiques tels que la profession pour déterminer le niveau d’accès d’un usager.

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Pour l’heure, le projet ne manque pas d’opposants et plus de 930 000 personnes ont signé une pétition pour empêcher son adoption, quand dans le même temps les réseaux sociaux iraniens sont en ébullition et des hashtags en persan tels que #Non_Au_Projet_De_Loi_Sur_La_Protection ont le vent en poupe depuis la fin du mois dernier. « Selon ce projet de loi, la gestion d’internet est confiée aux militaires, qui ne rendent de comptes qu’au chef suprême. Au fond, personne ne pourrait le remettre en question, il fournit la base légale pour la surveillance de masse », résume Amir Rashidi, chercheur sur la sécurité internet et en droit numérique au Centre pour les droits de l’homme en Iran. De larges pans de l’establishment politique sont également très critiques de la législation, en raison des conséquences économiques qu’elle pourrait entraîner. « En dehors des factions très dures, la plupart sont opposés au projet. Mais ce sont ces factions majoritaires au Parlement qui sont en train de pousser en ce sens », fait remarquer Mahsa Alimardani.

« Ils craignent l’internet puisqu’ils soutiennent les corrompus. » Depuis la mi-juillet, les ouvriers de l’usine de transformation de canne à sucre Haft Tappeh – le plus gros complexe agroalimentaire d’Iran situé dans la région du Khouzistan, dans le sud-ouest du pays – sont en grève. Le 31 juillet, ils décident, comme nombre de leurs concitoyens à l’échelle de la...

commentaires (3)

Et dire que certains veulent nous aligner à cette république Islamique. Faut remarquer qu’on y est presque. Une personne en désaccord avec le Hezbollah et la voilà critiquée, injuriée sur les réseaux sociaux…c’est cela leur démocratie.

mokpo

12 h 27, le 11 août 2021

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Commentaires (3)

  • Et dire que certains veulent nous aligner à cette république Islamique. Faut remarquer qu’on y est presque. Une personne en désaccord avec le Hezbollah et la voilà critiquée, injuriée sur les réseaux sociaux…c’est cela leur démocratie.

    mokpo

    12 h 27, le 11 août 2021

  • Est ce ce modèle que Hassan Nasrallah entend instaurer au Liban? Et Aoun et son CPL ou se positionne-t-il par rapport a ce que nous promet le Hezbollah? Le CPL et Aoun n’arrêtent pas de nous rabâcher les oreilles sur l’entente "stratégique" entre les deux formations. Si le but "stratégique" du Hezbollah est d'instaurer la république islamique et nous mettre sous la tutelle du Wali el Fakih, je me demande si la strategie de Aoun est aussi la wilayet el Fakih! Ils sont littéralement atteint du Syndrome de Stockholm ces gens la!

    Pierre Hadjigeorgiou

    10 h 01, le 11 août 2021

  • Notre thaoura a commence avec la taxe sur WhatsApp. Esperons que ceci se replete en Iran

    Zampano

    08 h 47, le 11 août 2021

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