Olivier Gredzinski est un amoureux du Liban, de ses montagnes, sa nature, son bois de cèdre et sa population. Avec un prénom pareil, ce n’est presque pas étonnant ! Français d’origine polonaise, du côté de son grand-père paternel, il l’a découvert en 1995, en rendant une première visite au pays natal de son épouse qu’il avait rencontrée dans une école d’arts plastiques en France. Depuis, il a vécu par intermittence entre ses deux amours, la France et le Liban. Au pays du Cèdre, il a participé à des expositions de peinture et enseigné dans plusieurs universités, restant proche des jeunes et croyant, étonnamment, dur et fort en un avenir meilleur pour ce pays d’accueil. Après une absence de plusieurs années, et en dépit d’un ciel qui s’assombrissait déjà, Olivier Gredzinski est rentré avec sa famille en février 2020. « Je réalise qu’il n’est pas facile de vivre ici, mais je pense qu’il est aussi difficile de vivre ailleurs, en France ou dans d’autres pays d’Europe. Pour moi, le Liban reste différent », ajoute-t-il, évoquant ce lieu qu’il a découvert il y a un peu moins de trente ans et dont il a passionnément aimé les montagnes, les forêts, les sites touristiques et religieux et le peuple.
Dialogue avec le bois
Olivier Gredzinski est peintre, mais depuis sa tendre jeunesse, fan de jazz, de blues et de rock, il aime fabriquer des instruments de musique, des guitares en l’occurrence. « Je tiens cela de mon grand-père, qui était ébéniste et qui m’accueillait quand j’étais petit dans son atelier », confie celui qui a ouvert il y a quelques mois un atelier discret à Achrafiyé, non loin de la rue Abdel Wahab. « Le premier modèle que j’ai confectionné était une copie de la guitare Gibson du musicien de jazz Robert Johnson. » Et de préciser : « J’étais à Mkallès avant la double explosion du port de Beyrouth, puis j’ai préféré être plus proche de la maison. J’ai donc trouvé ce local où j’ai posé mes affaires. »
Dans son atelier qui sent le bois, où il a également déposé cette activité tout en sérénité et qui exige un travail lent et précis, des toiles de son cru ainsi que de nombreuses pièces qu’il a fabriquées sont suspendues au mur, posées au sol ou sur la table, en attente de son intervention. Leur couleur, leur forme et même parfois les matériaux utilisés surprennent, mais pour lui, tout est matière à création. Une vieille boîte de galettes coupée en deux ou une caisse de Johnny Walker datant des années soixante peuvent servir à concevoir le caisson d’une miniguitare.
Dans un coin, Olivier a également rangé sa collection de disques en vinyle, une autre de ses passions de nostalgique, de même que quelques poutres récupérées dans des maisons détruites de Beyrouth. L’endroit est noyé dans un silence et un parfum rassurants et donne envie d’y rester.
Une palette de possibilités
Olivier Gredzinski expose aussi de nombreuses pièces qu’il a travaillées, des guitares classiques, des guitares électriques, des cithares et d’autres instruments à cordes de la même famille.
Il utilise surtout des objets récupérés et détournés de leur fonction initiale pour ses productions uniques : des boîtes à cigares ou de biscuits, des caisses de whisky, et des plaques d’immatriculation de voitures américaines pour ses guitares électriques. Ce dernier modèle, qui avait d’ailleurs fait un tabac, a été acheté par Simon
Climie, auteur-compositeur de nombreuses chansons et surtout producteur d’Eric Clapton. « Les guitares ont besoin de bois nobles pour leur caisson, comme le bois d’érable ou le bois de sapin. Ce dernier, importé au Liban, est devenu hors de prix. Actuellement, je suis en train de fabriquer des guitares en bois de cèdre, récupéré des poutres des maisons détruites de Beyrouth. J’aimerais bien pouvoir donner une autre vie aux bois des vieilles maisons soufflées », confie-t-il.
Et tout en partageant son savoir-faire, il s’empare d’une de ces poutres de vieille maison posée dans un coin de l’atelier, nous montre le travail qu’il a déjà effectué en coupant la poutre en plusieurs planches minces qui serviront à la confection de nouveaux instruments de musique. Le bois est clair et son odeur est capiteuse. Ces pièces sont recherchées par les collectionneurs. Olivier Gredzinski, qui a déjà quelques commandes, n’en vendra pas beaucoup. Mais son atelier d’Achrafiyé se charge aussi de toute réparation d’instrument à cordes. « Ma porte est ouverte à tous et à tout. Aux clients, aux rencontres et aux échanges. Depuis le confinement, les gens marchent beaucoup plus. Ils s’arrêtent, entrent chez moi, discutent. Parfois, ce sont des jeunes qui sont fans de rock, d’autres fois des personnes qui s’intéressent à ma collection de disques en vinyle. Ou encore des amateurs de jazz et de blues qui prennent plaisir à parler de guitaristes et de chanteurs ou encore de la fabrication des instruments. L’explosion de Beyrouth a également rendu les gens plus vulnérables. Chez moi, tout le monde est le bienvenu », dit-il. Et ça fait du bien à tout le monde.
En refermant la porte de ce lieu insolite et dépaysant, le visiteur reprend avec lui un peu de douceur, celle d’un bois qui continue de raconter ses histoires et celle d’un Liban blessé où chacun, à sa façon, essaie de recoller les pièces.