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Lifestyle - Rescapés du 4 août

« Et s’ils arrêtaient les travaux de restauration avant d’arriver chez nous ? »

C’est l’histoire d’une maison, de familles et de personnes qui s’agrippent à leur passé. Plus de 10 mois après l’apocalypse du 4 août, ces habitants des quartiers les plus touchés de la capitale sont rentrés chez eux en tentant de (sur)vivre et parfois même de sourire. Après Michel Assaad, dernière rencontre de la série avec Charbel et Amira Abi Zeid.

« Et s’ils arrêtaient les travaux de restauration avant d’arriver chez nous ? »

Le couple Abi Zeid avec deux de leurs fils au balcon de l’immeuble donnant sur la rue d’Arménie. Photo João Sousa

C’est un vrai miracle si Charbel Abi Zeid, qui travaille sur une remorqueuse au port de Beyrouth, a échappé à la mort. Ce soir du 4 août 2020, l’homme de 59 ans était rentré plus tôt pour passer du temps avec sa famille dans le Kesrouan. Son épouse Amira, 49 ans, et ses trois fils passaient la journée à Mayrouba, chez leur oncle.


La façade de l’immeuble traditionnel rafraîchi par les travaux de restauration.Photo João Sousa

Un vrai miracle, car Charbel Abi Zeid et sa famille vivent à la rue d’Arménie, dans un bâtiment historique classé par la Direction générale des antiquités. L’immeuble, jaune et blanc flambant neuf, récemment rafraîchi avec d’immenses baies vitrées et des tuiles rouges, abrite sur ses trois étages dix appartements. Construit il y a plus de 80 ans, il appartient au monastère Notre-Dame de Tamiche relevant de l’ordre des moines maronites qui ont encouragé une restauration rapide des lieux, contrairement à d’autres propriétaires tentés par la revente. « Nous sommes arrivés en catastrophe à la maison le soir même de l’explosion. Je ne m’attendais pas à voir l’immeuble debout », avoue Charbel dont l’appartement situé au troisième étage est à cent mètres à vol d’oiseau du port de Beyrouth. « Il ne restait plus rien. La toiture et les poutres avaient volé en éclats. Il n’y avait plus de vitres, plus de portes ni de fenêtres. Nos affaires, nos meubles et nos vêtements étaient sous les décombres. Quand j’ai vu ce spectacle de fin de monde, mon cœur est devenu noir. J’étais profondément désespérée », renchérit Amira. Cette peine ne l’empêchera pas de commencer à balayer, nettoyer sa maison, déblayer les gravats, comme toutes les personnes sinistrées à Beyrouth, dès le premier jour suivant la double explosion, animés, tous, par une force « céleste ». « Nous avons eu la chance d’avoir été assistés par des volontaires et certaines ONG. Tout le monde était là pour donner un coup de main. On trouvait tout ce qu’il nous fallait, gratuitement, dans la rue. Des bâches en nylon, des sacs en jute pour jeter les débris et même des repas chauds. Nous étions là toute la journée, nous n’avions plus rien, et de nombreuses personnes, des inconnus pour la plupart, ont accouru spontanément pour nous prêter main-forte. Nous avons vécu un immense mouvement de solidarité », dit-elle. Durant cette période de réparations qui aura duré sept mois, la famille s’est installée dans un appartement à Jal-el-Dib, avant de pouvoir réintégrer la rue d’Arménie.

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« Le soir du 9 août, il a plu des cordes à Beyrouth. Nous sommes rentrés précipitamment pour protéger nos meubles de la pluie. J’avais le sentiment que le cauchemar se poursuivait. » « Les premières semaines, j’ai vécu dans l’insécurité la plus totale. Je n’avais plus de maison et je ne savais pas si j’allais pouvoir un jour réintégrer mon domicile. Même quand j’ai su que l’immeuble allait être pris en charge, j’ai vécu de longs mois dans l’inquiétude. Mon angoisse n’a cessé qu’à la fin des travaux. Une seule question me hantait tous les jours : et s’ils arrêtaient les travaux de restauration avant d’arriver chez nous ? » confie encore la femme chez qui l’on devine encore le souvenir de ses inquiétudes.


L’image de l’immeuble avant et après le 4 août. Photo João Sousa

La grand-mère, le sapin et la pâtisserie

Amira vit dans cette grande maison de la rue d’Arménie depuis son mariage avec Charbel il y a 20 ans. Les grands-parents de son époux font partie des anciens locataires, et comme tant d’autres dans ces vieux quartiers de Beyrouth, elle les avait abrités jusqu’à leur disparition. Charbel est né à Dbayé, dans la maison de ses parents. « Je me souviens de ma grand-mère… Elle s’installait toujours sur ce canapé, face à la porte d’entrée », dit-il en indiquant le meuble. « Elle gardait la porte ouverte. À l’occasion des fêtes, nous venions partager le repas avec ma grand-mère, ma tante et mon oncle. Pour Noël, ils installaient le sapin au milieu du salon. J’aimais beaucoup leur rendre visite quand j’étais enfant. J’aimais voir ma grand-mère, bien sûr, mais il y avait aussi une pâtisserie non loin de là qui faisait de très bons gâteaux ! Elle nous en rapportait souvent quand elle venait nous rendre visite à Dbayé. Cette maison est très importante pour moi, si elle n’existait pas, je n’aurais jamais pu fonder une famille », poursuit-il, précisant qu’il a pu à son tour habiter la maison au décès de ses grands-parents. Dans l’un des greniers de cette ancienne maison à l’architecture traditionnelle, Charbel a conservé de nombreux objets anciens en bois et en cuivre appartenant à sa grand-mère. Certains ont heureusement été épargnés. Mais le couple a perdu plusieurs vieux meubles à la suite des souffles de la double explosion du 4 août, notamment le grand lustre du salon qui avait plus de 70 ans ainsi que des appareils électroménagers, comme le réfrigérateur. Ces objets n’ont pas pu être remplacés faute de moyens.

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« Dans chaque coin de ces lieux, nous avons des souvenirs », souligne Amira qui a eu du mal à vivre, même provisoirement, dans l’appartement moderne de Jal el-Dib. Avec ses 4,5 mètres sous plafond, ses larges baies vitrées, son balcon donnant sur la rue principale et sa grande terrasse face au port, la maison des Abi Zeid est spacieuse et lumineuse. « Avec la crise, nous n’avons plus les moyens de remplacer certaines choses usuelles et utiles, comme une ampoule, par exemple, qu’on branchait normalement à la ligne du générateur pour savoir si «c’est l’électricité ou le moteur» et éviter de descendre trois étages à pied quand le disjoncteur saute », soupire Charbel qui a repris son travail de dépanneur au port de Beyrouth. Amira, elle, tient à remercier toutes les personnes et les ONG qui l’ont soutenue. Avec un grand sourire, elle déclare : « C’est grâce à cette solidarité que j’ai pu rentrer chez moi. Ma maison était vieille et avait déjà besoin de travaux avant l’explosion. Aujourd’hui, malgré les quelques détails qui manquent, non seulement j’ai pu rentrer chez moi, mais elle est toute neuve. Non seulement elle a été retapée, mais elle a aussi préservé son caractère ancien. Dans notre malheur, nous avons eu de la chance… »

C’est un vrai miracle si Charbel Abi Zeid, qui travaille sur une remorqueuse au port de Beyrouth, a échappé à la mort. Ce soir du 4 août 2020, l’homme de 59 ans était rentré plus tôt pour passer du temps avec sa famille dans le Kesrouan. Son épouse Amira, 49 ans, et ses trois fils passaient la journée à Mayrouba, chez leur oncle.La façade de l’immeuble traditionnel rafraîchi par...

commentaires (2)

Un pied de nez à ceux qui voulaient défigurer nos quartiers. Ils ne sont que plus beaux et plus lumineux. Merci à tous les ONG qui n’ont pas lésiner sur les moyens et qui se sont avérés plus concernés que certains compatriotes par la reconstruction de ce pays. Notre est invincible et il le prouve tous les jours et depuis des décennies avec l’aide des pays amis qui sont heureusement plus nombreux que ses ennemis. Plus il le maltraite, plus ses citoyens deviennent récalcitrants et battants.

Sissi zayyat

11 h 47, le 28 juin 2021

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Commentaires (2)

  • Un pied de nez à ceux qui voulaient défigurer nos quartiers. Ils ne sont que plus beaux et plus lumineux. Merci à tous les ONG qui n’ont pas lésiner sur les moyens et qui se sont avérés plus concernés que certains compatriotes par la reconstruction de ce pays. Notre est invincible et il le prouve tous les jours et depuis des décennies avec l’aide des pays amis qui sont heureusement plus nombreux que ses ennemis. Plus il le maltraite, plus ses citoyens deviennent récalcitrants et battants.

    Sissi zayyat

    11 h 47, le 28 juin 2021

  • Les ONG font du travail et aident dans les réparations. Mais, d'un autre côté, on trouve qu'il y a des travaux qui s'éternisent, dans un même quartier, et, des choses inutiles sont faites aux frais des donneurs de fond. Il faudrait un contrôle évident, pour ne faire que le nécessaire de la part de ceux qui dépensent les fonds. Car, il y a certainement des maisons qui n'ont pas encore été prises en charge, et qui méritent plus que d'autres.

    Esber

    08 h 51, le 24 juin 2021

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