À quoi joue cette fois-ci le Courant patriotique libre (CPL) ? À chaque circonstance, ses stratagèmes, serions-nous tentés de dire. Le courant aouniste n’a pas désigné lundi dernier le nouveau Premier ministre, Nagib Mikati. Mais il n’a pas non plus soutenu un candidat concurrent comme il l’avait laissé entendre, ce qui est apparu comme une main tendue… sous la table au nouveau président du Conseil. Alors qu’il était soi-disant leur favori, le juriste international Nawaf Salam soutenu par la société civile et qui ne s’est d’ailleurs jamais porté candidat a été lâché à la dernière minute par le CPL. Un geste de bonne volonté à l’attention du Premier ministre désigné, dans l’espoir d’en encaisser ailleurs les dividendes. Dès hier, le bloc aouniste a défini la feuille de route qu’il souhaite suivre : il a affirmé haut et fort qu’il ne veut pas faire partie du gouvernement et qu’il ne se mêlera pas du processus ni de près ni de loin. Selon lui, le cabinet doit être formé de technocrates, ce qui signifie, très théoriquement, qu’il n’y aura pas de partisans au sein du futur cabinet, ni de quotes-parts à répartir.
« Nous avons tenu le Premier ministre désigné au courant de notre volonté de ne pas participer au futur gouvernement et de ne pas nous impliquer dans sa formation », a déclaré le chef du CPL Gebran Bassil, à l’issue des concertations parlementaires. Avant de souligner que son parti est toutefois prêt à « faciliter » cette procédure et « attend de voir la composition du cabinet et son programme pour décider de lui accorder ou non sa confiance ». C’est une sorte d’épée de Damoclès que brandit donc sa formation qui lie l’octroi du vote de confiance à la mouture que M. Mikati présentera et à la composition de ce gouvernement, ce qui revient à dire que le bloc aouniste aura, indirectement, son mot à dire. Le chantage autour de la confiance avait déjà été utilisé avec Saad Hariri qui a tenté, neuf mois durant, de mettre sur pied un cabinet, en vain. M. Bassil, qui menait un bras de fer avec le Premier ministre désigné dans l’ombre du président, a fini par lui signifier qu’il ne pouvait espérer un vote de confiance de la part de son bloc. C’était une manière de lui indiquer la porte de sortie. Le chef du CPL va-t-il renouer avec cette pratique en se plaçant en marge du processus ?
« C’est ce que nous souhaitions »
Membre du « Liban fort », Ibrahim Kanaan a assuré hier que les aounistes « ne convoitent aucun portefeuille, même indirectement ». « Un gouvernement de technocrates ne suppose pas une répartition de quotes-parts », a-t-il dit. Un engagement aussitôt relayé par Eddy Maalouf, issu de la même formation, qui affirme qu’il n’y aura donc pas de partisans puisqu’il s’agit d’un gouvernement de spécialistes ou de technocrates, comme l’a précisé la veille M. Mikati.
Autant d’assurances qui n’ont, pour l’instant, pas convaincu les autres acteurs, comme le vice-président de la Chambre, Élie Ferzli, qui reste sur ses gardes : « Gebran Bassil a le droit de faire ce qu’il veut mais l’important est que le contreseing (du président, nécessaire pour entériner la mouture gouvernementale) ne soit pas lié à ses propos. » Durant neuf mois d’affilée, le gendre du président avait été accusé de tirer les ficelles dans les coulisses, de jouer au président de l’ombre, voire même de vouloir quasiment se substituer à Saad Hariri dans le processus de formation du cabinet. M. Ferzli, qui a fini par claquer la porte du bloc du Liban fort dont il était membre, rappelle à qui veut l’entendre que conformément à la Constitution, c’est le Premier ministre qui est responsable de la formation du gouvernement et tient compte des concertations parlementaires qu’il mène. « Toutefois, les noms des ministrables sont de la prérogative du Premier ministre qui les formule en concertation avec le chef de l’État. »
Une manière de rappeler à l’ordre le camp aouniste qui s’enthousiasmait d’ores et déjà des propos de M. Mikati sur le rôle du président. Le Premier ministre désigné avait évoqué la veille une « étroite coopération » avec le chef de l’État, qu’Eddy Maalouf a qualifiée de « partenariat constitutionnel. C’est exactement ce que nous souhaitions », a dit le parlementaire. La guerre des prérogatives et la bataille autour de la répartition des équilibres au sein de l’exécutif sont autant de points d’achoppement qui avaient torpillé les efforts de l’ancien Premier ministre désigné, Saad Hariri, notamment du fait de la volonté du président et de son gendre de négocier la part du lion et de nommer les ministres chrétiens.
« Trois ministres et pas huit »
En se retirant du jeu, le CPL faciliterait-il véritablement la formation du gouvernement comme il le répète à tue-tête depuis deux jours ? M. Bassil, qui avait posé l’équation Hariri et lui ou aucun des deux, semble considérer qu’il a gagné son bras de fer contre son ancien partenaire après la récusation de celui-ci. Faciliter la formation du gouvernement aujourd’hui lui permettrait ainsi d’imputer la responsabilité du blocage à Saad Hariri.
Par ailleurs, le parti du président, qui lorgne déjà du côté des prochaines législatives prévues en mai 2022, envisagerait de passer lentement et sûrement dans le camp de l’opposition... Tout en gardant un pied dans le pouvoir. En coulisses, il revendique dans le même temps une part, qu’il estime revenir de droit au président, d’au moins huit ministres... Soit un tiers, au moins, du cabinet. Ce qui en dit long sur la pseudo-opposition à laquelle il aspirerait.
Pour les FL, le courant aouniste fait un pas en arrière pour mieux négocier par la suite. Son refus de désigner M. Mikati ou de s’immiscer dans le processus ne serait, dit un cadre du parti chrétien, qu’une manœuvre. « Il faut cesser de confondre la présidence avec le CPL. Le chef de l’État n’est pas inclus dans la part du courant patriotique libre », s’offusque pourtant Mario Aoun, député aouniste du Chouf. Ce dernier considère que Michel Aoun, en tant que chef de l’État, reste au-dessus de la mêlée et a par conséquent un droit de regard sur toute la mouture et sur l’ensemble des ministères. Une prise de position avec laquelle le vice-président de la Chambre se dit tout à fait d’accord tout en l’interprétant dans un sens contraire. « Effectivement, les deux parties sont à distinguer. Sauf que, pour ce qui est de la part du président, elle se résume à trois ministres uniquement, comme c’était le cas pour l’ex-président Michel Sleiman, et non pas à huit. » Le vice-président du courant du Futur, Moustapha Allouche, est encore plus catégorique et rappelle que conformément à la Constitution, le président n’a le droit de prétendre à aucun ministère.
« Toutefois, il pourrait y avoir des négociations à ce sujet afin d’inciter le chef de l’État à contresigner. Cela revient donc au Premier ministre désigné que nous avons nommé et qui a toute la latitude de décider comme il l’entend », dit-il.
commentaires (10)
Une nouvelle qui n’a rien à voir : J’ai lu il y a quelques jours, dans l’OLJ, que, pour mieux tomber dans les bras de Morphée, un ancien ministre de l’Energie vient d’interdire l’usage des moteurs fournisseurs d’électricité domestique dans son voisinage en raison de leur nuisance sonore. Le comble est qu’il avait promis, du temps de son mandat, à tous les Libanais, le courant électrique de l’Etat 24/24 h et 7/7 jours. Il y en a qui ne doutent de rien !
Un Libanais
21 h 00, le 28 juillet 2021