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République offshore

Il y a longtemps déjà que l’on s’y était fait, au point que le phénomène a fini par intégrer le folklore national, au même titre que la dabké et le tabboulé : le Liban attire comme un aimant les influences et ingérences étrangères. Sans même évoquer les nombreuses armadas qu’il a vu défiler durant les siècles derniers, notre pays reste sans doute le seul au monde où, à chaque élection présidentielle, on se perd en spéculations, dans les salons comme dans les cercles politiques et les médias, sur les préférences plus ou moins apparentes de ces grands électeurs que sont les puissances, voisines ou lointaines. Une fois le mot d’ordre lancé, le reste n’est plus alors que pure formalité.


Bien entendu, le choix d’un chef de gouvernement n’échappe pas aux fluctuations de cette singulière Bourse des valeurs. Et pourtant, le Premier ministre désigné Nagib Mikati a fait sensation, lundi, quand, à peine adoubé par le Parlement, il a étalé devant les journalistes ses atouts maîtres : l’adhésion qu’il escompte des citoyens, mais surtout ces garanties extérieures requises sans lesquelles, a-t-il assuré, il n’aurait jamais accepté de reprendre le collier. On a bien entendu garanties, et non banals vœux ou encouragements. Mais l’évènement ne réside pas tant dans le franc-parler de Mikati que dans les espérances qu’ont suscitées ses propos au sein de l’opinion.


On peut, bien sûr, regretter que la population, plongée dans une détresse sans nom, en vienne à accueillir avec soulagement – sinon avec enthousiasme, et en croisant les doigts – l’éventualité de fermes engagements étrangers quant à une remise en ordre de ses affaires. Mais la honte n’en rejaillit que sur les dirigeants qui, non contents de ruiner l’État (et avec lui le peuple), l’ont dessaisi de toute dignité, respectabilité et crédibilité, au double plan domestique et externe. Davantage encore que le Trésor public, c’est notre modèle de pluralisme, le rêve d’un pays exigu certes mais capable de se gouverner lui-même, qu’ont dilapidé ces flibustiers de la politique. Littéralement pris en otage par leurs propres gouvernants, jamais les Libanais n’ont autant eu besoin de la moindre brise soufflant du large; jamais les idées de conférence internationale, de neutralité et même de mise sous tutelle onusienne du Liban n’auront à ce point séduit les esprits. En même temps que la prise en charge de nos moribondes finances par le FMI, c’est une gestion offshore du gâchis politique et institutionnel libanais qui tombe sous le sens ; pour sauver la République il faut bien commencer en effet par la mettre hors d’atteinte de ses gardiens félons.


En attendant ce jour béni, reste évidemment à tester les cautions extralibanaises dont se prévaut le Premier ministre désigné. Au terme d’une journée de concertations parlementaires, ce dernier faisait état hier d’un consensus général sur la nécessité de former très vite un nouveau gouvernement, compte tenu des cruelles privations qu’endure la population. La prochaine commémoration de l’hécatombe du 4 août 2020 dans le port de Beyrouth et les démonstrations de colère auquel elle doit donner lieu ne peuvent d’ailleurs que commander, elles aussi, la célérité la plus grande.


De fait, les promesses de coopérer n’ont pas manqué, assorties parfois de pièges grossiers, tandis que le palais présidentiel de Baabda retrouvait l’atmosphère courtoise des tête-à-tête entre les deux pôles du pouvoir exécutif.


Toutes ces bonnes résolutions c’était promis, juré, la main sur le cœur ; mais garanti vraiment, qui donc irait le croire ?


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Il y a longtemps déjà que l’on s’y était fait, au point que le phénomène a fini par intégrer le folklore national, au même titre que la dabké et le tabboulé : le Liban attire comme un aimant les influences et ingérences étrangères. Sans même évoquer les nombreuses armadas qu’il a vu défiler durant les siècles derniers, notre pays reste sans doute le seul au monde où,...