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Société - Témoignages

Ces Libanais qui décident de quitter la ville pour aller s’installer en montagne

De façon provisoire ou définitive, par choix ou par obligation, une partie de la population fait le choix de l’exode urbain.

Ces Libanais qui décident de quitter la ville pour aller s’installer en montagne

Photo DR

Si la tradition de quitter les villes durant la saison estivale pour profiter du climat plus clément de la montagne a toujours existé au Liban, la crise économique, énergétique et sanitaire pousse de plus en plus de familles à trouver d’autres alternatives en dehors des centres urbains.

Dana et Georges, un jeune couple marié, habitent depuis quelques années secteur Palais de Justice. Comme tous les Libanais établis dans les grandes agglomérations, ils n’avaient jamais été confrontés à un tel rationnement en matière d’électricité. Dana, enceinte de sept mois, n’en peut plus. Étouffant au 10ème étage d’un immeuble sans électricité ni climatisation, elle avoue vouloir quitter les lieux aussi rapidement que possible. « Notre vie est devenue un enfer, la moindre activité doit être pensée en fonction des coupures de courant. Je ne peux pas sortir de chez moi et remonter 10 étages à pied. Il faut que nous quittions Beyrouth au plus vite ». Dans le quartier du Palais de justice, le rationnement commence de 10h à 13h, puis de 17h à 19h, en finissant par une coupure de 1h à 6h le lendemain. « Je n’arrive pas à dormir, je suis épuisée physiquement et mentalement. Parfois il nous arrive de sortir de la maison à 7h juste pour nous rafraîchir dans la voiture ».

Pour Dana, qui travaille en ligne depuis son appartement, assurer un connexion de qualité pour ses rendez-vous est également un véritable défi. La 4G semble moins rapide qu’auparavant, et la batterie de son ordinateur ne tient pas plus de deux heures. Pour toutes ces raisons, cela fait maintenant plusieurs semaines que Dana et George sillonnent les villes et villages avoisinant Beyrouth pour trouver un appartement. Ils enchaînent visite sur visite et espèrent être partis d’ici quelques semaines maximum.

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Comme eux, des milliers de familles ont choisi de sortir de la capitale, de façon temporaire ou définitive, fuyant les coupures massives de courant et les répercussions que cela pourrait avoir sur leur qualité de vie. Wissam, propriétaire de plusieurs appartements à Broummana, dont certains qu’il loue à la saison et d’autres sur la plateforme en ligne Airbnb, raconte être totalement dépassé par la demande. « A Broummana, les coupures ne se font pas encore sentir, rien à voir avec la situation de Beyrouth. Quand j’ai ajouté sur mon listing ‘électricité 24/24’, j’ai reçu des dizaines de demandes en quelques heures. Les gens sont désespérés et veulent absolument sortir de la capitale », dans laquelle le poids de la crise se ressent nettement plus, confie Wissam.

Jinane, qui travaille dans une agence immobilière dans le Metn, confirme que les demandes saisonnières pour des appartements dans la région ont explosé avec l’arrivée des grandes chaleurs. « Beaucoup de nos clients fuient Beyrouth et les rationnements de courant, surtout les familles avec des enfants en bas âges pour qui le climat n’est plus supportable ». Les loyers sont maintenant exclusivement en dollars frais, les propriétaires n’acceptant même plus les chèques bancaires. « Nous n’arrivons pas à suivre la demande, il est très difficile de trouver un appartement en location à l’heure où je vous parle ».

Cultiver la terre à nouveau
La crise économique a entraîné une explosion des charges pour les ménages, enfonçant plus de la moitié de la population sous le seuil de pauvreté. De surcroît, l'envolée du prix de l’électricité, assuré à plus de 90% par les groupes électrogènes de quartier, est devenu inabordable pour une large partie de la population.

Cette situation catastrophique est surtout ressentie dans les quartiers les plus pauvres où les familles n’ont plus les moyens de se connecter aux réseaux parallèles, le salaire minimum n’ayant pas augmenté (675.000 LL par mois en 2021). « Bientôt, nous n’aurons plus les moyens de couvrir ne serait-ce qu’un abonnement de trois ampères pour le frigidaire et les lumières. Même pendant la guerre civile, nous n’avons jamais connu cela. Le mois prochain je remonte au village (Denniyé, au Liban nord) et je ne redescendrai que si la situation s’améliore », soupire une habitante du centre de Tripoli.

Les villages en périphérie des grands centres urbains étaient déjà équipés pour traverser des coupures de longues durées. Mais dans les villes, l’adaptation a été beaucoup plus difficile. Avant la crise, le Akkar ne bénéficiait que de 2 à 4 heures d'électricité par jour, alors que les coupures de l'électricité publique n’étaient que de quelques heures par jour dans le centre de Beyrouth où la chaleur est nettement moins supportable.

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Autre raison de migrer : profiter d’un espace plus large pour pouvoir cultiver la terre et ainsi faire des économies. L’effondrement de la livre a rendu les biens de premières nécessités, comme le lait ou la viande, hors de portée de beaucoup de Libanais qui s’en privent au quotidien. En 2020, Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, appelait tous les citoyens à cultiver ce qu’ils pouvaient sur leurs terres, ce qui n’avait pas manqué de provoquer la colère de nombreux jeunes sur les réseaux sociaux. Dans les villages, de nombreux Libanais ont toutefois commencé à replanter des espaces pour soutenir leur propre consommation. Farah, réfugiée syrienne vivant sur les hauteurs de Tripoli, a commencé à cultiver des légumes dans l’arrière-cour de l’immeuble où vit sa famille. « Le prix des légumes a explosé. Pour nous ces quelques salades, concombres et tomates, c'est déjà ça de moins dans notre budget », explique-t-elle.

Farah Stambouli a vécu de longues années dans le luxe à Dubaï. Originaire de Tripoli, elle rentre au pays en 2017. La situation économique la pousse cependant à lâcher son appartement et partir quelques semaines dans un village du Chouf pour prendre un peu de recul sur la prochaine étape. Cette expérience lui a changé la vie et elle affirme aujourd’hui avoir laissé la vie urbaine pour de bon. « Les quatre semaines que je devais passer à la montagne se sont transformées en 4 années. Se retrouver proche de la nature m’a apportée un bien-être que je n’ai jamais ressenti auparavant ». Farah organise des retraites (Forest Retreat) dans plusieurs sites du pays en pleine nature, afin d’offrir aux participants une expérience alternative à la ville, tout en les initiant à diverses activités. « Avec Forest Retreat, nous espérons créer un forum pour toutes les initiatives qui prônent un mode de vie alternative en zone rurale », ajoute Farah.

L'indépendance financière
Hassan, la trentaine, habite à Jnah et travaillait dans l’hôtellerie-restauration avant la crise. Il a récemment pris la décision de quitter Beyrouth pour aller cultiver les terres qu’ils possèdent dans le Sud. Utilisant la technique de la permaculture, il fait pousser toutes sortes d’agrumes et légumes bio en se passant complètement de pesticides. « Je n’ai pas réussi à retrouver un travail à Beyrouth. Avec ce projet, j’espère atteindre une indépendance financière qui me permettra de pouvoir vivre correctement en vendant mes récoltes. Il y a de très bons débouchés pour les légumes bio dans la capitale et ma production est rapidement écoulée sur le marché. Pour moi, retourner à la ville est impossible économiquement », confie Hassan.

Mona Fawaz, professeur de d’étude urbaine à l’Université Américaine de Beyrouth affirme toutefois qu’il est encore trop tôt pour dégager une tendance lourde derrière ces phénomènes. « Nous observons dans notre quotidien certaines personnes qui fuient la ville pour un changement de style de vie, mais cela ne sera sûrement pas pérenne. Beaucoup d’habitant de Beyrouth n’ont pas de propriété dans les villages afin de pouvoir se reloger », ajoute elle. Contacté par L'Orient-Le Jour, le Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud) assure avoir lancé des recherches afin d’analyser cette nouvelle dynamique, mais n’a pas de données à partager pour l’instant.

Si la tradition de quitter les villes durant la saison estivale pour profiter du climat plus clément de la montagne a toujours existé au Liban, la crise économique, énergétique et sanitaire pousse de plus en plus de familles à trouver d’autres alternatives en dehors des centres urbains.Dana et Georges, un jeune couple marié, habitent depuis quelques années secteur Palais de Justice....

commentaires (3)

L'herbe ne pousse pas en été

Tanios Kahi

13 h 23, le 23 juillet 2021

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Commentaires (3)

  • L'herbe ne pousse pas en été

    Tanios Kahi

    13 h 23, le 23 juillet 2021

  • EN MONTAGNE ON PEUT SE NOURRIR D,OEUF DE POULE, D,UN PEU DE LAIT DE CHEVRE ET DES HERBES COMMESTIBLES QU,ON RAMASSE. MAIS AU TRAIN DE 4,5 MILLIONS D,ETRES PLUS LES REFUGIES SYRIENS ET PALESTINIENS IL NE RESTERA MEME PAS UNE TRAITRE HERBE AUX MOUTONS, CHEVRES ET VACHES POUR BROUTER.

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 53, le 23 juillet 2021

  • SAUF QUE, les personnes qui ont besoin de se presenter chaque jour a leur lieu de travail en ville ..... hmm ! difficile ET couteux

    Gaby SIOUFI

    09 h 19, le 23 juillet 2021

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