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Nos Lecteurs ont la Parole

Pourquoi la démission des députés souverainistes est dangereuse et contre-productive

Depuis le 4 août 2020, une pression grandissante est exercée sur les parlementaires pour les amener à démissionner. Certains ont franchi le pas d’une manière précipitée, sans prendre suffisamment le temps d’analyser les conséquences, leurs partisans saluant ce geste, le qualifiant de « noble », tandis que les détracteurs traitent les députés démissionnaires de « populistes ». Mais revenons aux objectifs des démissions et analysons d’une manière rationnelle les conséquences de cette démarche, loin des sentiments et des passions, car en définitive, il n’y a pas plus pragmatique que la politique.

Les démissions collectives avaient pour but principal de faire tomber le Parlement et provoquer des élections législatives anticipées. Mais il n’y a pas un texte dans la Constitution qui stipule que si une minorité parlementaire, même si c’est une grande minorité, démissionne, le Parlement tombe. Et heureusement d’ailleurs, sinon à chaque fois qu’un groupe perdrait les élections, il pourrait démissionner et cela bloquerait le processus démocratique et la Constitution à jamais. Cela n’existe évidemment dans aucune Constitution au monde.

Quand le groupe des Forces libanaises négociait avec les groupes Hariri et Joumblatt pour orchestrer une démission collective, le but était de créer une situation qui pourrait être interprétée comme contraire au pacte national, vu que le Parlement aurait perdu sa représentation sunnite et druze (la représentation chrétienne n’étant pas remise en question, la majorité des députés chrétiens étant avec Aoun et donc avec la majorité parlementaire).

Cette tentative a échoué, et je ne peux la qualifier que de hasardeuse et dangereuse, dans la mesure où, en suivant les textes constitutionnels à la lettre, cela n’aurait pas fait tomber le Parlement, et nous serions restés coincés dans une des palabres constitutionnelles interminables, chacun essayant d’expliquer le texte constitutionnel à sa guise. Et admettons que le camp de la majorité parlementaire accepte l’interprétation des démissionnaires (ce qui est très peu probable), admettons aussi qu’ils acceptent d’organiser des élections anticipées et que l’opposition gagne, tout ce que les perdants auraient à faire c’est démissionner aussi et bloquer le processus démocratique, pour exactement les mêmes prétextes.

Pour faite tomber le Parlement, il faut une majorité qui démissionne ; mais si majorité il y a, il n’y a plus besoin de démissionner, le Parlement pouvant voter pour raccourcir son mandat et l’affaire serait réglée.

Cette pression sur les députés souverainistes, notamment les députés FL, pour les amener à démissionner provient de plusieurs catégories de groupes qui se qualifient de révolutionnaires et dont les intérêts sont très différents :

– Un groupe bien intentionné, mais qui a peu d’expérience politique, perçoit cette démission d’un point de vue sentimental.

– Un groupe de populistes qui essaient de profiter de la situation et de bien se positionner pour les élections de 2022, jouant sur les sentiments de la population qui en a marre de toute la situation.

– Un groupe qui était avec la majorité jusqu’à l’explosion, il y a quelques mois, et qui veut se racheter en prenant quelques positions spectaculaires pour redorer son image.

– Un groupe, le plus dangereux, que je qualifierais d’anarchiste-gauchiste, qui veut détruire complètement les institutions, sans plan transparent de remplacement. Ce groupe est à mon avis à la solde de l’occupation et œuvre à détruire totalement ce qui reste de notre démocratie.

Je trouvais déjà très dangereux une démission des députés souverainistes comme le groupe FL, même en coordination avec les groupes de Hariri et Joumblatt. Aujourd’hui, sans coordination, elle devient une totale hérésie.

Les quelques députés qui résistent encore au Parlement ne peuvent certainement pas faire adopter, en vue d’une réforme sérieuse, toutes les lois qui nécessitent une majorité simple, qu’ils n’ont pas. Encore plus, ils ne peuvent même pas bloquer certaines mauvaises lois qui nécessitent aussi une majorité simple. Néanmoins, ils ont pu, avec certaines ententes ponctuelles, faire passer quelques bonnes lois, comme celle de la levée du secret bancaire, et surtout ils ont pu empêcher toutes les tentatives de changement constitutionnel néfaste qui nécessite une majorité des deux tiers, comme la loi électorale de Berry qui n’est pas très différente de la loi syrienne.

La démission de ces quelques députés qui résistent encore donnerait carte blanche à la majorité actuelle pour avaliser des changements constitutionnels irréversibles comme la loi électorale ou, pire, décréter l’état d’urgence et annuler carrément les élections de 2022.

Revenons au fond du problème, pourquoi préserver le peu de démocratie qu’il nous reste ainsi que le Parlement, qui est l’institution la plus importante de notre système démocratique et qui est d’une importance primordiale :

Nous sommes sous occupation, certes rien ne peut être résolu proprement sans retrouver la liberté essentielle que constitue notre souveraineté.

Certains groupes de l’opposition reviennent avec les mêmes slogans que Aoun : « On va appliquer des réformes et du changement sans souveraineté », « la souveraineté est importante mais elle n’est pas la priorité, c’est une affaire régionale », etc. C’est du déjà-vu, nous avons emprunté déjà cette route et nous voici au bout de ce chemin.

Notre combat doit être la souveraineté en priorité, et nous ne pouvons la recouvrer qu’à travers une aide internationale, comme en 2005.

Pour avoir une chance d’obtenir cette aide et avoir une oreille qui nous écoute, il faut une légitimité, soit une légitimité populaire dans la rue comme en 2005, soit une légitimité parlementaire aux élections.

Pour avoir une légitimité populaire, il faut rassembler ces 1,5 million de personnes dans la rue qui scandent une seule chose, la souveraineté et la liberté. Malheureusement, cela est impossible aujourd’hui, les groupes Hariri et Joumblatt considérant que la situation internationale n’est pas propice, vu que le monde occidental est en négociations avec l’Iran et ne veut surtout pas que le problème libanais vienne perturber ces négociations. Aussi, certains groupes de l’opposition, infiltrés ou ayant peu d’expérience, empêchent-ils tout rassemblement, utilisant la tactique visant à lancer cent revendications sachant très bien qu’elles ne pourront pas faire l’unanimité, dans le seul but de diviser les rangs ; et surtout, ces groupes refusent, sous divers prétextes, de manifester uniquement pour la souveraineté.

Il faut comprendre qu’il n’y a qu’une seule chose qui fait peur à l’occupant, c’est un rassemblement comme celui de 2005, et il emploie évidemment tous les moyens pour empêcher ce rassemblement. Il a recours à la menace contre certains groupes, comme celui de Joumblatt, ou il tente d’infiltrer les groupes mal organisés de la révolution.

Dans ces conditions, la légitimité internationale ne peut être acquise que par les élections parlementaires et le Parlement, mais aussi faut-il préserver ce Parlement et cette Constitution. Partant de là, les tentatives de détruire les institutions deviennent soit irresponsables, soit maléfiques.

Nous avons besoin absolument de ces députés qui résistent au Parlement, et c’est bien dommage que d’autres, certainement bien intentionnés, aient démissionné sur un coup de tête.


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Depuis le 4 août 2020, une pression grandissante est exercée sur les parlementaires pour les amener à démissionner. Certains ont franchi le pas d’une manière précipitée, sans prendre suffisamment le temps d’analyser les conséquences, leurs partisans saluant ce geste, le qualifiant de « noble », tandis que les détracteurs traitent les députés démissionnaires de...

commentaires (1)

Est ce que le but du crime du 4 août était de faire démissionner le parlement? La politique sans justice devient une farce au service des petits intérêts.

CBG

00 h 59, le 19 juillet 2021

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Commentaires (1)

  • Est ce que le but du crime du 4 août était de faire démissionner le parlement? La politique sans justice devient une farce au service des petits intérêts.

    CBG

    00 h 59, le 19 juillet 2021

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