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Société - Éducation

L’annulation exceptionnelle de l’épreuve du brevet ne fait pas l’unanimité

La décision du ministre de l’Éducation met en exergue le besoin urgent de réforme du système éducatif.

L’annulation exceptionnelle de l’épreuve du brevet ne fait pas l’unanimité

Le brevet, une épreuve annulée in extremis par le ministre de l’Éducation. Ici, lors de précédents examens. Photo d’archives Marwan Assaf

Une soixantaine de milliers d’élèves étaient supposés présenter les épreuves officielles du brevet libanais en ce mois de juillet. Épreuve qui conditionne habituellement leur passage au cycle de l’enseignement secondaire. Mais le ministre de l’Éducation, Tarek Majzoub, en a subitement décidé autrement. Après plusieurs déclarations confirmant le maintien des épreuves et à quelques jours de celles-ci, il a annoncé lundi l’annulation de l’examen du brevet pour cette année, aussi bien pour l’enseignement général que professionnel et technique, « au vu de la situation délicate que traverse le Liban ». Une situation marquée par une dépréciation record de la livre libanaise (elle s’échangeait hier au marché noir à plus de 17 500 LL pour un dollar), par l’effondrement socio-économique généralisé qui touche notamment les secteurs de la santé et de l’éducation, et par la paupérisation de la population. La décision a donc été prise d’accorder des attestations à tous les élèves de troisième, après « évaluation » de l’importance de ce diplôme national, et en raison « de la situation sanitaire », autrement dit de l’apparition du variant Delta du Covid-19 connu pour être hautement transmissible et d’une augmentation des contaminations.

L’occasion pour le ministre Majzoub d’annoncer une réflexion sur la suppression du brevet pour les années à venir, « pour que les élèves ne soient pas otages des aléas politiques et économiques ». C’est dans ce sens qu’il a invité les députés « à supprimer définitivement » ce certificat intermédiaire qui marque la fin du cycle d’études complémentaires.

En plein confinement, un enseignement archaïque

Sans surprise, la décision a été accueillie avec joie et soulagement par les élèves du Liban et leurs familles qui ont vécu deux années particulièrement difficiles, marquées par la crise inédite, le soulèvement populaire, la pandémie de Covid-19 et l’explosion du port de Beyrouth. Deux années durant lesquelles il leur a fallu s’adapter, avec les moyens du bord, à un enseignement à distance improvisé, souvent mal façonné dans le secteur public et les écoles de petite envergure, alors qu’ils manquaient de matériel informatique et de connexion internet et que le rationnement électrique se faisait plus sévère. Et ce d’autant que le brevet est largement insuffisant sur le marché de l’emploi et ne sert plus à rien désormais. Il marque juste la fin de l’éducation obligatoire (fixée à 15 ans), la limite entre l’enseignement de base complémentaire et l’école secondaire.

Et pourtant, de nombreux élèves s’arrêtent encore à cette étape, victimes de décrochage scolaire, principalement en milieu rural où l’éducation est sélective. Selon les chiffres de l’année scolaire 2019-2020 du Centre de recherche et de développement pédagogique (CRDP) rattaché au ministère de l’éducation, les élèves du secondaire ne représentent plus que 12,65 % du nombre total d’élèves, contre 19,16 pour ceux du cycle complémentaire et 48,33 pour ceux du primaire.

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« Il est difficile d’imaginer qu’à Zahlé, première ville de la Békaa, des élèves doivent attendre le retour de leurs parents du travail pour écouter la leçon envoyée par les enseignants sur WhatsApp ! », s’exclame Youssef Malak, professeur à l’Université libanaise, spécialisé en technologie de l’éducation. « Car le Liban ce n’est pas seulement Beyrouth et les grandes villes, c’est aussi le Hermel et le Akkar où les familles nombreuses n’ont pas les moyens d’assurer les outils informatiques nécessaires à leurs enfants », observe l’universitaire. Il faut aussi compter avec le fait qu’« un nombre élevé d’enseignants n’ont pas d’ordinateur » et souffrent au même titre « d’une mauvaise connexion internet et de pannes répétées de courant électrique ». Sans oublier que la grande majorité d’entre eux, « les enseignants du public particulièrement, n’ont bénéficié d’aucune formation à l’éducation en ligne ». « L’enseignement s’est déroulé dans des conditions archaïques, résume le professeur Malak, saluant l’annulation des épreuves du brevet. Les maintenir aurait été anormal », souligne-t-il, évoquant « le manque flagrant d’équité dans le processus d’apprentissage » entre les élèves nantis et les plus défavorisés.

À plus long terme, l’expert se demande d’ailleurs à quoi peut bien servir le brevet libanais dans la vie. « À rien d’autre qu’à vider les caisses de l’État pour organiser des examens qui rapportent de l’argent au ministre, au directeur général de l’enseignement, au chef des comités d’examens… et à tous ceux qui ont été embauchés sur base du piston », gronde le professeur Malak. Car il fut une époque où on pouvait trouver un emploi avec le brevet en poche. « Cette époque est révolue. »

La pression populiste

Mais la décision du ministre Majzoub est loin de faire l’unanimité. Elle est même sévèrement critiquée par d’autres experts qui voient dans cette mesure la preuve du délitement étatique et institutionnel. Selon eux, les pressions politiciennes à visées populistes ont eu raison d’un ministre de l’Éducation qui n’a pas été à la hauteur de la tâche. « Le populisme a vaincu. Les groupes de pression menés par les enseignants syndicalistes représentant les partis politiques au pouvoir ont obtenu gain de cause face à un ministre qui ne fait pas le poids », dénonce le chercheur Adnane el-Amine, professeur à l’UL et spécialiste en sociologie de l’éducation. À cette réalité s’est ajoutée la pression populaire contre la tenue des épreuves. Sauf que dans ce jeu populiste, les élèves sont les grands perdants, « tout le monde ayant réussi, ceux qui ont bûché et ceux qui n’ont rien fichu ». L’annulation du brevet dans ce contexte « porte atteinte à la crédibilité d’un système éducatif en plein effondrement, à l’image du pays », déplore l’expert. Un effondrement marqué par « une baisse dramatique de l’apprentissage » à tous les niveaux et par « le creusement des inégalités entre les élèves du pays », ceux qui ont bien travaillé et bénéficié de l’enseignement en ligne et ceux du public et d’écoles privées de petite envergure qui n’ont absolument rien appris. « La tenue du brevet aurait permis de quantifier l’ampleur des lacunes et de les évaluer afin d’y remédier, soutient le Dr Amine. Car aucune donnée ne permet de mesurer les pertes du secteur éducatif. »

Les inégalités accentuées

« Contre toute évaluation standardisée. Contre le filtrage des élèves » : C’est ainsi que se prononce sur le brevet libanais Maha Cheaïb, présidente du Center for Lebanese Studies, institut de recherche à but non lucratif rattaché à l’Université libano-américaine (LAU). « Il aurait fallu toutefois l’annuler plus tôt et non pas en dernière minute, pour éviter aux parents d’élèves des dépenses inutiles qui ne seront certainement pas remboursées », regrette-t-elle. Ce n’est pas tant la décision du ministre de l’Éducation qu’un système éducatif basé sur la sélectivité qui est au cœur des inquiétudes de la chercheuse. Un système qui laisse de nombreux élèves sur le carreau. « L’éducation est un droit pour tous, rappelle-t-elle. D’où la nécessité que le système s’assure que tous les élèves ont bénéficié de l’égalité dans l’apprentissage et d’un enseignement de qualité. » Ce qui n’est pas le cas au Liban. Pire encore, la pandémie de coronavirus a accentué les inégalités entre les élèves, vu les aléas de l’enseignement virtuel et l’appauvrissement d’une population incapable d’assurer ses besoins de base. « Dans le secteur public, nous sommes certains qu’il n’y a quasiment pas eu d’apprentissage, révèle Mme Cheaïb. Une situation encore plus dramatique pour les petits réfugiés syriens, enrôlés dans les cours de l’après-midi. »

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Dans cet état des lieux, le besoin d’une réforme du secteur éducatif se fait pressant. Avec, dans la foulée, pourquoi pas, une réflexion sur l’annulation définitive ou non du brevet libanais. En France, rappelons-le, le débat sur l’annulation de cet examen diplômant est toujours engagé, même après plusieurs réformes. « Avec ou sans coronavirus, l’éducation ne peut continuer ainsi », tranche Youssef Malak. « Une refonte du système éducatif est nécessaire avant d’envisager l’annulation définitive du brevet », renchérit de son côté Adnane el-Amine. « S’il faut à tout prix évaluer les élèves, c’est la qualité de l’apprentissage qui doit être évaluée. À la condition que l’évaluation ne soit pas la condition de l’exclusion ou de l’inclusion des élèves, mais l’occasion de mieux les soutenir », conclut Maha Cheaïb. C’est dire le chantier à mettre en œuvre afin que le système éducatif libanais devienne moins élitiste. 

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