Le pays est plongé dans un marasme sans fond. Difficile de voir la lumière au bout du tunnel. Et voilà que le Festival de Baalbeck se propose d’apporter un rayon d’espoir à travers son initiative #ShineOnLebanon. Pourquoi miser sur l’espoir aujourd’hui ?
L’espoir est ce dont nous avons besoin pour continuer à vivre et ne pas sombrer. Nos soucis touchent notre quotidien à chaque instant : l’électricité, l’essence, l’argent, les médicaments, les soins hospitaliers, l’école de nos enfants, la sécurité... Écrasés par ces cauchemars, nous avons besoin de rêve et d’évasion, nous avons besoin de nous faire du bien, de voir et d’écouter du beau, de reprendre de l’énergie et de nous ressourcer, de faire travailler nos sens pour dépasser ce quotidien terriblement angoissant. C’est ce que nous avons essayé de créer en nous lançant dans ce projet. Plus de 150 personnes ont travaillé de très près sur ShineOnLebanon dont une cinquantaine d’artistes, neuf réalisateurs, douze cameramen, sans oublier les producteurs, les organisateurs, les techniciens, les monteurs, les communicants et toutes les petites mains. Nous avons utilisé 200 chambres d’hôtel, 20 bus de transport, loué des générateurs, du matériel sophistiqué, servi plus de 30 repas par jour pendant 10 jours de tournage. Demain, les médias prendront la relève. C’est toute une partie de l’industrie culturelle qui s’est mise en activité, dans une ambiance où la bonne humeur ne nous a pas quittés. C’est une thérapie en soi. Et le 9 juillet, lorsque des millions de spectateurs assisteront au concert sur les chaînes libanaises et panarabes ou sur les réseaux sociaux(https://www.facebook.com/events/498702914794302/? ref=newsfeed et https://www.youtube.com/watch ? v=dt1RPq-AFFI), nous espérons leur procurer une heure et demie de bonheur. J’espère que chaque Libanais se sentira fier de découvrir de jeunes artistes aussi créatifs et des lieux aussi magnifiques. Ils rêveront de ce Liban qu’ils aiment et qui leur échappe.
Vous avez pris le pari de soutenir la jeune scène artistique libanaise. Comment s’est construite cette initiative ?
Après le succès de Sound of Resilience en 2020, le comité exécutif du festival que je préside s’est promis de continuer sa mission tant qu’il le pourra. Nous étions convaincus qu’il fallait soutenir, aujourd’hui plus que jamais, la jeunesse libanaise qui représente la relève, l’avenir, l’espoir dont nous parlions justement. Notre monde est celui de la culture, de la musique, donc naturellement, nous nous sommes tournés vers la nouvelle scène musicale qui n’arrête pas de nous étonner par sa créativité. Et comme nous n’étions pas sûrs de pouvoir recevoir des spectateurs, nous avons décidé d’explorer des lieux hors de l’acropole de Baalbeck. L’idée d’investir les temples romains de la Békaa est celle de Jean-Louis Mainguy, qui est également le directeur artistique du projet et membre du Festival de Baalbeck depuis de très longues années. Nous avons confié à Leyla Nahas, également membre du comité exécutif, la sélection des artistes. Puis nous avons fait appel, avec l’aide de Bassem Christo, à huit autres jeunes réalisateurs libanais. Chacun s’est concentré sur une des stations musicales, lui apportant tout son savoir-faire.
Baalbeck est l’unique festival qui persiste et signe cette année malgré tout et en dépit de tout. Comment avez-vous relevé le défi sur le plan économique ? Tout en sachant que les sponsors habituels qui sont les banques n’ont certainement pas pu être au rendez-vous…
Dès que l’idée du projet est née, nous savions que nous ne pouvions pas compter sur les subventions de l’État (comme ce fut d’ailleurs déjà le cas l’année dernière).
Mais nous savions aussi que pour un certain nombre de mécènes, la culture constitue un des cœurs battants du Liban, quels que soient les autres besoins vitaux du pays. Les encouragements sont vite arrivés et les donations suivaient grâce en partie au dévouement de Joumana Debbané (vice-présidente du festival, NDLR), chargée du mécénat. Les grands donateurs sont pour la plupart des institutions culturelles, locales et de la diaspora, ou des amoureux de la culture, du Festival de Baalbeck… et du Liban.
De leur côté, les artistes têtes d’affiche et les réalisateurs bénéficiant chacun d’une belle visibilité ont participé gracieusement, et cela nous a permis d’assurer un financement substantiel pour étoffer la partie artistique en ajoutant musiciens et danseurs, et de faire appel à des techniciens (son, cameramen, photographes, monteurs, coloristes, graphistes) de haut niveau afin de garantir un événement de très grande qualité. Et quelques fournisseurs ont offert une partie de leurs services.
Impact BBDO nous a apporté tout le soutien nécessaire à la communication et les chaînes de télévision locales diffuseront simultanément le concert, ainsi que les chaînes panarabes MBC4 et Shahid. La LBCI filmera le lancement du film à partir de Baalbeck et Google MENA nous réserve des surprises.
Ce sont toutes ces personnes que j’aimerais remercier chaleureusement une à une, car, sans elles, ce concert produit par le Festival de Baalbeck n’aurait pas pu voir le jour et, surtout, n’aurait pas pu prendre l’envergure rêvée.
Ensuite, il faudra assurer la continuité... garder le bureau du festival fonctionnel, même si c’est à temps et à budget réduits, car c’est grâce au dévouement de ces personnes que le travail peut se faire. Il faudra créer au plus vite l’Association des festivals libanais pour nous battre unis. Nous ne baisserons pas les bras jusqu’au dernier souffle. Et j’espère que notre initiative fera boule de neige.
Il y aura toujours des esprits chagrins pour critiquer une telle initiative en disant que ce n’est pas le moment et qu’il y a d’autres priorités... Que leur répondez-vous ?
Certains nous demandent aussi si nous allons oublier les artistes internationaux et devenir un festival national. Non, sûrement pas, mais pour le moment, nous sommes allés vers le plus urgent, exister, sauver nos talents locaux, notre patrimoine culturel. Inviter des artistes internationaux et créer des échanges culturels fera toujours partie de nos priorités, lorsque les occasions et les moyens se présenteront, mais il faudra donner un sens à chaque message que nous voulons envoyer. Le pays a changé, nous ne pouvons plus faire les choses en ignorant le nouvel environnement dans lequel nous vivons. Notre combat culturel est aussi un combat politique.
Aux esprits chagrins qui parlent d’autres priorités, je leur rappellerai la légende du colibri. Que chacun fasse sa part ! Chacun avec ce qu’il sait faire. C’est ainsi que nous pourrons sauver le pays.
« Encourager les jeunes musiciens et compositeurs libanais »
Leyla Nahas, comment la sélection des artistes s’est-elle faite ?
Avec cet événement, nous voulons offrir une plateforme, et encourager les jeunes musiciens et compositeurs libanais en mal d’opportunités créatives et de visibilité. Avec les conseils avisés de quelques experts, nous avons sélectionné onze groupes ou musiciens de la scène indépendante libanaise selon des critères précis.
Avant tout, nous avons choisi des artistes de genres musicaux très variés afin de montrer la richesse de cette scène musicale et d’offrir une programmation éclectique. Il y aura de l’oriental, du jazz, de l’indie folk, de la pop, du hip-hop, du classique… Nous avons privilégié l’arabe bien sûr, mais nous avons voulu laisser une place à l’anglais et au français, à l’image du pays. Ces artistes vivent et travaillent au Liban, et nous proposent ici, pour la plupart, de nouvelles créations.
Il a été également important pour nous d’assurer autant que possible une parité homme-femme. Ils ont été choisis pour leur engagement sur la scène musicale, des artistes qui nous semblaient prêts à contribuer positivement à ce projet. Ce choix est aussi et avant tout une question d’harmonie, de fluidité. Ces musiciens se prêtent à l’esprit du projet tel qu’imaginé par notre directeur artistique.
Le line-up de ShineOnLebanon
1- Blu Fiefer, hip-hop arabe, sur le temple de Qsarnaba, dans un court-métrage réalisée par Ingrid Bawab.
2- Jana Semaan, violoncelliste accompagnée du danseur chorégraphe Pierre Geagea sur le temple de Vénus dans un court-métrage de Roger Ghantous.
3- Quintette Makram Aboul Hosn, jazz, sur le temple de Niha, dans un court-métrage de Mirna Khayat.
4- Le groupe de folk rock Postcards, sur le temple de Niha, dans un court-métrage de Chadi Hanna.
5- Serge, groupe de rap/pop, sur la grande pierre monolithique de Baalbeck, dans un court-métrage de Michel Saliba.
6- Taxi 404, groupe de rap français, sur la grande pierre monolithique de Baalbeck, dans un court-métrage de Michel Saliba.
7- Vladimir Kurumilian et Ziad Moukarzel, folk et électronique, sur le temple de Majdel Anjar, dans un court-métrage d’Émile Slailaty.
8- ZEF, groupe de pop/rock arabe, sur la basilique Civique, dans un court-métrage de Bassem Christo.
9- Ziyad Sahhab (oud) et ses musiciens, sur le temple Aïn Horch, dans un court-métrage réalisé par Élie Rizk.
10- Beirut Vocal Point (a cappella), sous la direction musicale de Janmarie Haggar, dans l’acropole de Baalbeck, et un court-métrage réalisé par Roger Ghantous.
11- Ghenwa Nemnom (qanun) et son groupe, accompagnés par un DJ electro, sur le temple de Niha, et un court-métrage réalisé par Samer Dadanian.
« Les temples de l’art et de la culture »
Jean-Louis Mainguy, pourquoi avoir choisi, à travers ShineOnLebanon, dont vous êtes le directeur artistique, de mettre en avant le patrimoine libanais, et notamment les sites archéologiques de Baalbeck ?
Après avoir été longtemps délaissés, habités par le silence, les temples de Baalbeck se sont laissé renaître à une nouvelle foi, celle de l’art et de la culture. Baalbeck est devenue au fil des ans, en quelque sorte, « le temple de l’art et de la culture », et l’expression de ce qui se fait de mieux dans le monde de la musique, de la danse et du théâtre à l’international.
Baalbeck, ancienne Héliopolis des Romains, « cité du Soleil », est « ce Soleil qui ne s’éteint jamais » !
La lumière est tout ce qu’il nous reste, lorsque tout s’effondre autour de nous. C’est cette lumière qui nous a guidés tout au long de notre démarche, depuis sa conception jusqu’à sa réalisation. Et au fur et à mesure des découvertes que nous avons faites en parcourant le chemin des Pèlerins de l’époque romaine dans la plaine de la Békaa, nous nous sommes rapprochés plus encore de cette ancienne lumière qui a guidé les bâtisseurs de temples dans leur foi et l’énergie surhumaine qu’ils ont déployées pour faire aboutir leurs ouvrages. Lumière toujours, qu’elle soit de jour comme de nuit, Lune et Soleil, les deux astres que l’on retrouve dans notre première étape au temple de Aïn Horché (114-115 après J.-C.) aux confins du sud de la Békaa sur les flancs du mont Hermon (Jabal el-Cheikh) où Hélios (dieu du Soleil dans la mythologie grecque) et Séléné (déesse grecque de la Lune), sculptés aux deux tympans du temple, veillent sur la naissance de chaque jour et de chaque nuit depuis des siècles dans un environnement exemplairement préservé.
Dix lieux inconnus du grand public, choisis parmi la cinquantaine de sites romains érigés dans la Békaa que nous avons souhaité faire découvrir pour ajouter, à la magie du Soleil couchant, les détails architecturaux de ce patrimoine archéologique hors pair.
Du temple de Hosn Niha, construit au Ier siècle après J.-C. par l’empereur Hadrianus dans le même style des temples de Baalbeck, à celui dédié à Bacchus, dieu de la vigne, du vin, des festivités et de la danse, situé un peu plus bas dans la vallée de Niha, ou à celui dédié aux dieux syro-phéniciens Hadaranés et Atargatis, dans la même enceinte des sanctuaires de Niha, au temple de Qsarnaba, bâti entre le IIe et le IIIe siècle, et qui occupe une colline dominant la Békaa au pied du mont Sannine, au temple de Majdel Anjar, datant du premier siècle de notre ère, bâti sans doute sur une construction antérieure à l’époque hellénistique (+/- 100 avant J.-C.) et qui a été transformé en forteresse à l’époque médiévale…
Plus proche de l’acropole de Baalbeck, nous avons souhaité explorer les carrières romaines qui ont servi à la construction des temples avec les plus grands monolithes au monde jamais taillés et transportés par l’homme, puis le temple circulaire, dit « Temple de Vénus », probablement dédié à la déesse Tyché ou Fortuna d’Héliopolis (déesse de la fortune, de la prospérité et de la destinée d’une cité ou d’un État). Un lieu qui n’avait jamais été utilisé auparavant dans l’histoire du Festival de Baalbeck, au même titre que les colonnades de la basilique civique de Baalbeck, datant du IVe siècle, qui jouxtent les murailles extérieures de l’acropole. Autant de lieux et de sanctuaires oubliés qu’avec l’autorisation et la précieuse collaboration de la Direction générale des antiquités du Liban, nous avons pu intégrer dans notre voyage musical, allant de la « découverte du patrimoine archéologique » à la découverte des jeunes talents de la nouvelle scène artistique libanaise.
Le tout mis en images par neuf réalisateurs de la génération montante qui ont déployé tout leur savoir-faire pour capter des images inédites sur une musique tout autant inédite.
Belle initiative ! De tout coeur avec vous.
21 h 30, le 07 juillet 2021