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Moyen-Orient - PORTRAIT

Intissar el-Hammadi, la mannequin yéménite otage des houthis

La jeune femme a tenté de se suicider en prison, suite à son transfert dans la section réservée aux prostituées.

Intissar el-Hammadi, la mannequin yéménite otage des houthis

La mannequin yéménite Intissar al-Hammadi, emprisonnée depuis le 20 février à Sanaa. Photo Facebook Account of Model Entsar al-Hammadi/AFP

Elle incarne les aspirations d’une jeunesse qui assume son désir d’émancipation individuel. Mais elle est aussi le reflet de cette même jeunesse, dont la vie est otage d’idéologies et de conflits pensés pour eux, par d’autres.

Intissar el-Hammadi, 20 ans, a été arrêtée le 20 février avec trois de ses amis dans les rues de Sanaa, la capitale yéménite prise par les rebelles houthis aux troupes loyalistes en 2014. Après avoir passé près de quatre mois en détention, la jeune femme a tenté de se pendre lundi en prison, suite à son transfert dans la section réservée aux prostituées. Elle sera secourue de justesse, avant d’être transportée dans un hôpital. « Elle s’est sentie humiliée », déclare à la presse son avocat, Khaled Mohammad al-Kamal, qui s’alarme de la dégradation de la santé mentale et physique de sa cliente.

Fille d’un Yéménite et d’une Éthiopienne, Intissar el-Hammadi était mannequin et actrice dans des séries yéménites à ses heures perdues. Elle portait financièrement sa famille – son père aveugle ainsi que son frère handicapé. Et puis, elle parlait librement sur les plateaux de télévision du pays. Sans être provocatrice, même avec une certaine pudeur, elle faisait passer ses messages à sa manière : assumer d’utiliser son corps pour travailler dans une société conservatrice ; s’autoriser à rêver à voix haute. Quand ses parents lui reprochent de poursuivre un « rêve illusoire », elle persiste et signe. Et quand un présentateur lui demande comment elle a fait pour dépasser les difficultés propres à l’industrie, elle répond : « J’aime mon domaine, donc je ne me soucie pas du reste. »

C’est peut-être ça qui rendait sa voix gênante pour certains. Ou peut-être sa décision de retirer progressivement son hijab, ou bien encore le fait qu’elle ait parlé ouvertement des problèmes de racisme dont elle a souffert dans la société yéménite du fait de ses origines éthiopiennes. Ce qui est certain, c’est que la jeune femme dérange. Au point d’être enlevée, le 20 février, par des forces attachées à la milice pro-iranienne, qui arrêtent sa voiture au cœur de la capitale. Elle est conduite à un centre d’interrogation, où elle est détenue pendant 10 jours, coupée du monde extérieur. Ses proches sont sans nouvelles. Ils n’apprendront que plus tard le motif officiel de son arrestation : elle est accusée de « possession de drogue » et de « comportement indécent ». Elle est transférée en mai à la prison centrale de la ville, où elle aurait été insultée, traitée de « pute » et d’« esclave », en référence à sa couleur de peau, d’après le témoignage de son avocat. Le mois suivant, son dossier est transféré à la Cour de justice, où elle comparaît, sans qu’il ne soit accessible à son avocat.

Charges arbitraires

Sur les réseaux sociaux, son cas est depuis devenu viral. Les organisations de défense des droits de l’homme, des opposants politiques et des journalistes se mobilisent à l’intérieur comme à l’extérieur du pays afin d’obtenir des autorités sa libération immédiate. « Les autorités houthies devraient lui assurer un procès juste et équitable, incluant l’accès aux charges retenues contre elle, à son dossier judiciaire et aux preuves, tout en abandonnant les charges arbitraires », a déclaré Michael Page, le directeur adjoint du Moyen-Orient à Human Rights Watch.

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Au-delà du procès, ce sont les conditions de détention qui inquiètent. Car malgré le peu d’informations disponibles en raison, entre autres, de l’interdiction de couverture médiatique, des rumeurs fuitent via l’avocat ou des témoins autorisés aux visites. Des sources interrogées par l’ONG rapportent que les autorités auraient forcé la jeune femme à signer un document alors qu’elle avait les yeux bandés, offrant de la libérer si elle acceptait de coopérer en usant « sexe et drogue » pour piéger « des ennemis ». Suite à son refus, la jeune femme aurait été mise à l’isolement. Elle échappe également à un « test de virginité », considéré par le droit international comme une forme spécifique de violence à l’encontre des femmes : les autorités menacent de lui infliger le test, avant de retirer leurs menaces début mai notamment sous la pression d’Amnesty International. Des pressions, cette fois de la part des autorités de Sanaa, ont également été exercées contre l’avocat, qui aurait reçu des menaces afin de le pousser à se retirer du dossier. « On m’a dit que ma famille et moi-même paieront le prix si je n’abandonne pas le cas », a expliqué ce dernier à Human Rights Watch. Fin mai, il était suspendu de la Cour, ce qui a bloqué de facto sa capacité à défendre sa cliente.

Pour beaucoup, le traitement réservé à la jeune yéménite est représentatif des méthodes répressives utilisées par les autorités houthies dans les zones qu’elles contrôlent, notamment à l’encontre des femmes actives politiquement et qui s’opposent à la milice. Depuis fin 2014, les agences de sécurité et de renseignements du mouvement islamiste sont accusées de graves violations des droits humains, notamment de torture et de détentions arbitraires. En février 2021, un rapport conjoint publié par trois ONG recensait 1 181 violations commises contre des femmes, notamment des meurtres, tortures, disparitions forcées et violences sexuelles.

Le mouvement rebelle est engagé depuis 2014 dans un conflit armé contre les troupes loyalistes du gouvernement de Abd Rabbo Mansour Hadi, appuyées depuis 2015 par une coalition menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. En janvier dernier, l’administration américaine plaçait la milice pro-iranienne sur la liste des « organisations terroristes » ciblées par des mesures de sanctions.

Elle incarne les aspirations d’une jeunesse qui assume son désir d’émancipation individuel. Mais elle est aussi le reflet de cette même jeunesse, dont la vie est otage d’idéologies et de conflits pensés pour eux, par d’autres.Intissar el-Hammadi, 20 ans, a été arrêtée le 20 février avec trois de ses amis dans les rues de Sanaa, la capitale yéménite prise par les rebelles...

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