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Société - Crise au Liban

Pénuries, blocages de routes : la descente aux enfers s'accélère

Le ministre sortant de l'Intérieur agite la menace du chaos et affirme craindre "le pire".

Pénuries, blocages de routes : la descente aux enfers s'accélère

Des manifestants brûlent des pneus sur la place des Martyrs à Beyrouth, le 26 juin 2021. Photo AFP / ANWAR AMRO

Pénuries d'essence, coupures d'électricité, suspension des services de l'Etat faute de moyens : la descente aux enfers du Liban, pour reprendre une formule du directeur de l'hôpital Rafic Hariri, se poursuit et s'accélère, poussant des citoyens en colère à bloquer des routes du Nord au Sud. Après un week-end marqué par de violentes manifestations, le Liban était à nouveau partiellement paralysé lundi avec le blocage de plusieurs routes par des protestataires excédés par la détérioration des conditions de vie, la pénurie d'essence qui a atteint des proportions dramatiques, et la chute vertigineuse de la livre libanaise par rapport au dollar qui dépassait les 17.500 L.L. pour un billet vert. Une situation qui a fait dire au ministre sortant de l'Intérieur, Mohammad Fahmi, qu'il craignait une dégradation de la situation sécuritaire. C'est dans ce contexte que le président Michel Aoun a convoqué mardi une réunion du Conseil supérieur de défense.

"Nous sommes vraiment en enfer"
Dans ce contexte, plusieurs services de l'Etat ont été contraints de suspendre lundi leurs services par manque de courant ou de matériel. Le centre de la Sûreté générale à Sodeco à Beyrouth a suspendu ses formalités suite à une panne de courant due à un dysfonctionnement des générateurs. La suspension des systèmes informatiques du ministère des Finances a entraîné l'arrêt provisoire des opérations de paiement au Palais de justice à Beyrouth, rapportait par ailleurs la chaîne locale al-Jadeed. Ces pénuries sont symptomatiques de la crise dans laquelle le Liban est englué depuis un an et demi, caractérisée par l'incapacité de l'Etat à assurer les services de base comme l'électricité.

Plus inquiétant encore, le directeur de l'hôpital gouvernemental Rafic Hariri, Firas Abiad, a de son côté tiré la sonnette d'alarme face aux conséquences des coupures de courant. "La situation du courant est inacceptable pour l'hôpital. Un arrêt de 21 heures pour jour. On ne trouve pas de fioul et si on en trouve, on n'a pas de liquidités. Les patients ne peuvent pas couvrir la différence", a-t-il affirmé dans un tweet. "Nous avons pris la décision de couper la climatisation, sauf dans les services médicaux, malgré la canicule. Pas besoin d'avoir recours à l'imagination, nous sommes vraiment en enfer", a ajouté le directeur de l'hôpital, en première ligne dans la lutte contre la pandémie de coronavirus.

Tandis que le Liban s'effondre, le ministre sortant de l'Intérieur Mohammed Fahmi a de nouveau mis en garde lundi contre une détérioration de la situation sécuritaire. "Je crains le pire (...) parce que les gens peuvent tout supporter sauf de voir leurs enfants affamés", a-t-il déclaré au quotidien panarabe al-Chark al-Awsat. "Tant que la situation reste ainsi, le chaos va s'accroître, mais il ne se transformera pas en chaos total", a-t-il prédit. En mars dernier, il avait estimé que le pays était "exposé à tous les dangers, pas seulement aux assassinats" et souligné que les forces de sécurité n'étaient plus en mesure d'effectuer "90% de leurs tâches".

Routes coupées
Sans surprise, de nombreuses routes ont de nouveau été coupées lundi par des Libanais en colère. L'autoroute côtière a été coupée au niveau du rond-point de Dora au nord de Beyrouth par des automobilistes en colère qui attendaient en vain depuis l'aube de faire le plein à l'une des rares stations d'essence ouvertes dans un contexte de violent rationnement de l'essence, selon de nombreux témoignages. Elle avait également été fermée en matinée au niveau de Jal el-Dib. Plusieurs automobilistes ont témoigné avoir attendu des heures devant les stations-service, les files d'attente provoquant d'énormes embouteillages.

Dans la banlieue-sud, la circulation a été coupée au niveau du Sultan Ibrahim à Jnah, ainsi qu'au niveau de l'autoroute Hadi Nasrallah. Dans les autres quartiers de la capitale, l'artère principale reliant les quartiers de Tallet Khayyat et Aïcha Bakkar, les route de Corniche Mazraa, Kaskas, Verdun, les voies de la Quarantaine et l'avenue Béchara el-Khoury ont été bloquées. A Hamra, dans la capitale, des déposants en colère sont entrés de force dans une banque qu'ils ont vandalisée. Des contestataires se sont en outre rassemblés devant le commissariat de Gemmayzé, coupant la rue à ce niveau, pour réclamer la libération de deux des leurs. Dans la périphérie de Beyrouth, le boulevard de Sin el-Fil a également été coupé. 

A Saïda (Liban-Sud), des contestataires avaient fermé en matinée l'entrée sud de la ville au niveau du pont de Siniq avec des pierres et ont bloqué la route de Abra, à l'est, à l'aide de pneus enflammés. La plupart des stations-service de la région étaient, là aussi, fermées et de longues files de voitures se sont formées dès l'aube devant celles encore ouvertes, rapporte notre correspondant dans la région, Mountasser Abdallah. "Nous avons peur d'ouvrir à cause des embouteillages et des tensions entre les clients et les employés. Les gens vont nous dévorer", affirmait ainsi un propriétaire de station-service. Les accrochages se sont multipliés au cours des derniers jours devant les stations entre des Libanais désespérés de trouver de l'essence et des pompistes qui avaient pour ordre de rationner les quantités distribuées de carburant. Dans la ville côtière, plusieurs incidents ont eu lieu dans des stations-services devant lesquelles les files d'attente ne diminuaient pas. Dans la station-service d'el-Kilani, une voiture a pris feu alors qu'elle faisait le plein, en raison d'un frottement électrique. 

Par ailleurs, dans la soirée, plusieurs manifestants ont été blessés dans des échauffourées avec l'armée, alors qu'ils tentaient de bloquer les accès à la place des Martyrs de Saïda.

Des voitures patientent devant une station d'essence à Damour, au Liban, le 25 juin 2021. Photo Reuters/Aziz Taher

Nouvelle grève le 7 juillet
Le nord du Liban n'a pas été épargné par ces blocages. Des propriétaires de taxis ont bloqué la place el-Nour et des manifestants ont coupé la circulation sur la place Abdel Hamid Karamé, à Tripoli. Au nord de la ville, la plus pauvre du bassin méditerranéen, l'autoroute de Minié a été coupée. Celle de Bohsas est toujours fermée dans les deux sens.

Dans la plaine de la Békaa, les routes de Jdita el-Ali, Deir Zanoun, Masnaa et Kab Élias ont été fermées. A Baalbeck, des conducteurs de vans ont bloqué l'entrée-sud de la ville et la route Beyrouth-Damas au niveau de Dahr el-Baïdar avec leurs véhicules pour protester contre les pénuries de carburant, selon notre correspondante Sarah Abdallah. Dans la Békaa-ouest, des habitants ont organisé un sit-in devant le siège d'Électricité du Liban à Jeb Jennine, pour protester contre les coupures permanentes de courant, rapporte notre correspondante Sarah Abdallah. Comme dans de nombreuses régions libanaises, ils ne reçoivent plus le courant qu'une heure par jour.


Des hommes poussant une voiture à sec au Liban, le 28 juin 2021. Photo Marc Fayad


Beaucoup de stations-service ont arrêté de vendre l'essence en attendant la décision du gouvernement d'augmenter les prix, mais la décision tardait à être annoncée. Selon certaines sources, l'augmentation des prix devrait avoir lieu mercredi au plus tard. Le Premier ministre sortant, Hassane Diab, a signé vendredi le décret autorisant la Banque du Liban à financer pour trois mois, sous forme de prêt à l’État et à partir de ses réserves stratégiques, le mécanisme de subvention dont bénéficient les importateurs de carburant depuis octobre 2019 au taux de 3.900 livres le dollar et non plus à celui de la parité officielle (1.507,5 LL). Si de nombreux détails sur la mise en œuvre de cette décision demeurent inconnus, il est toutefois sûr qu’elle aura un impact sur l’ensemble des prix sur le territoire libanais, à un moment où l’inflation bat déjà tous les records (+119,83% en rythme annuel à fin mai). A ce propos, le chef de l'Etat, Michel Aoun, a demandé à M. Fahmi et à d'autres responsables sécuritaires d'intervenir pour empêcher le stockage abusif de carburant et faire en sorte que les citoyens puissent en disposer. Il a également appelé à l'application de la loi envers les contrevenants.

Commentant ces pénuries, le porte-parole du syndicat des propriétaires de stations-service, Georges Brax, a estimé dans la matinée que le trafic devant ces établissements devrait diminuer avec "l'augmentation des prix des carburants mercredi". Selon lui, les prix devraient atteindre "61 ou 62.000 livres libanaises avec cette augmentation". "Les quantités qui doivent être distribuées aux stations sont moindres que celles prévues en raison du stockage et de la contrebande", a-t-il ajouté, dans un entretien à la chaîne locale d'informations LBCI, appelant à remplir deux conditions afin de permettre d'alléger les files d'attente pour ceux qui veulent faire le plein : assurer que les sociétés importatrices puissent accéder aux crédits et produits nécessaires pour répondre à la demande locale et garantir la distribution de la totalité de ces importations aux stations.

Dans ce contexte, les syndicats des transporteurs routiers ont appelé à une grève le 7 juillet pour protester contre l'augmentation prévue des tarifs des transports. De leur côté, les fonctionnaires ont appelé à une nouvelle grève du 30 juin au 9 juillet pour protester contre l'effondrement de leurs salaires.

Le pays a déjà connu pendant le week-end de violentes manifestations, notamment à Tripoli et Saïda, où des protestataires avaient tenté de prendre d’assaut certains bâtiments publics, notamment les agences de la Banque du Liban. Les violences avaient fait une vingtaine de blessés.


Pénuries d'essence, coupures d'électricité, suspension des services de l'Etat faute de moyens : la descente aux enfers du Liban, pour reprendre une formule du directeur de l'hôpital Rafic Hariri, se poursuit et s'accélère, poussant des citoyens en colère à bloquer des routes du Nord au Sud. Après un week-end marqué par de violentes manifestations, le Liban était à nouveau...

commentaires (7)

Pensent ils aux malades qui n ont plus l opportunite de se faire soigner? Aux medecins qui n ont plus d essence pour repondre aux urgences qui se presentent? Au pauvre peuple qui se meurt a petit feu...

C EL K

21 h 53, le 28 juin 2021

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Commentaires (7)

  • Pensent ils aux malades qui n ont plus l opportunite de se faire soigner? Aux medecins qui n ont plus d essence pour repondre aux urgences qui se presentent? Au pauvre peuple qui se meurt a petit feu...

    C EL K

    21 h 53, le 28 juin 2021

  • D'aprés le "The 961" vrai ou faux, deux journalistes ont été kidnappé par des membres du Hozballah . l'un Anglais , l'autre Allemande . Ils étaient parait-il aux alentours des pompes a essence s'interessant aux pénurie de carburants au Liban.

    DRAGHI Umberto

    21 h 52, le 28 juin 2021

  • Il n'est plus sourd que celui qui ne veut pas entendre. Y aura-t-il enfin une réaction quand tout le mode sera mort?!

    Politiquement incorrect(e)

    18 h 21, le 28 juin 2021

  • Les citoyens de tous bords devraient transgresser délibérément, de manière publique, concertée et non violente ce qui reste comme loi applicable, encore, au Liban, si ces bourricots n’entendent pas agir, commettre des infractions de manière consciente et intentionnelle des délits mineurs . la désobéissance civile est le droit est le seul droit imprescriptible qui reste aux Libanais afin d’éjecter ces inconscients, il serait par exemple judicieux de laisser les voitures là où elles tomberont en panne… de planter des tentes devant tous les ministères et administrations publiques…. Aucun de ces responsables ne devrait s’en tirer à bon compte. Même après avoir pioché dans les réserves stratégiques ( l’argent des déposants) ils sont dans l’incapacité de fournir le carburant.

    C…

    16 h 46, le 28 juin 2021

  • C’est quand même le comble ! Un ministre qui se dit responsable de la sécurité des personnes et des biens, déclare qu’il craint le chaos mais ne se pose même pas la question POURQUOI ? Je lui répondrai de la meme façon que le président Sarkozy a répondu au type qui a refusé de le saluer: casse toi v…. c..

    Lecteur excédé par la censure

    13 h 56, le 28 juin 2021

  • AU LIEU DE STATIONNER DE CÔTÉ, LES GENS N'ONT QU'À SACRIFIER LEUR VOITURE ET LES LAISSER VIDE D'ESSENCE EN PLEIN RUE. ET C'EST LE DEBUT D'UNE VRAIE RÉVOLUTION.

    Gebran Eid

    12 h 59, le 28 juin 2021

  • LE SOULEVEMENT GENERAL POUR DEGAGER TOUS LES MAFIEUX, LA TETE LA PREMIERE, LE BACILLE SECOND, LES MILICES ET TOUT LE RESTE... COMMENCE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 19, le 28 juin 2021

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