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Nos Lecteurs ont la Parole

La part de l’ange

Les senteurs du jasmin montent le soir aux fenêtres et phosphore au lointain la ville où, depuis tant de mois, se succèdent les dix plaies d’Égypte.

S’il plut à Dieu de les infliger jadis, de quel esprit maléfique sommes-nous aujourd’hui l’objet ? Sous quels terribles auspices sommes-nous menés et par quelles convoitises, nous qui sommes devenus pauvres au moment d’être riches ?

Qui a mis le siège au pays du Levant ? Qui veut notre peau et s’acharne sur nos os ? Qui a rasé le port ?

Et si, par notre incurie, appâtés par le gain ou inhibés par une nature trop clémente nous avons pris part à cette débâcle, ce déchaînement des éléments ne peut être imputé au seul hasard. Et ceux-là qui distillent le poison veulent nous vendre l’antidote. Ils voudraient abuser ceux qui détiennent, du commerce, la paternité. Ceux qui, par tous les temps, pour vendre leurs babioles, ont navigué à vue et, sur leurs frêles esquifs, ensemencé la Méditerranée.

Si le sort, depuis des mois, sur notre pays s’acharne, mentira l’exilé qui, débarquant ici, n’a pas touché du doigt le cœur du bonheur. Le raffinement des mœurs, le sens de la dignité et le miel du sentiment.

La vie s’étiole et se distille mais au fond de son grabat, le malade n’a jamais été si beau. En ce mois de mai où les arbres sont chargés de nèfles, le Liban est à son acmé, émouvant comme un requiem. Même failli et dévasté, il n’est pas à vendre.

Et gardez vos fleurs.

Tous les ruisseaux vont à la mer et toutes les routes vont à Byblos. Les lauriers roses, la pierre de sable. Et sur le port, à tu et à toi avec le temps qui passe, voir se découper les silhouettes sombres.

Le temps se dilate quand sonne l’heure et dessine le monde avec plus d’acuité.

Habiter à Tyr une maison sur la mer, aspirée par le large, avec des fenêtres comme des fresques et un drap de turquoise tendu pour les bateaux. Et ce mariage sur les flots auquel nous fûmes conviés, pour célébrer, au son du violon, les noces du Phénicien avec la mer.

Quelle fée, penchée sur notre berceau, nous a fait tous les dons sauf celui de pouvoir bâtir une nation. Des hommes au caractère si riche et si trempé et rien pour les endiguer. Et ce qui fait notre force cause aussi notre perte.

Fouler les rues pétries par le passé et se souvenir du corso fleuri à Bhersaf.

Cueillir le sel à Enfeh à même la roche et déguster la part de l’ange avec le whisky, devant le spectacle du soleil couchant.

En ce mois marial, le dernier recours est divin. Dans la crypte du Saint, d’un côté, son tombeau, un baptistère de l’autre.

Même crucifié, le Liban est vivant.

Lui porter l’estocade sera fatal au bourreau.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Les senteurs du jasmin montent le soir aux fenêtres et phosphore au lointain la ville où, depuis tant de mois, se succèdent les dix plaies d’Égypte. S’il plut à Dieu de les infliger jadis, de quel esprit maléfique sommes-nous aujourd’hui l’objet ? Sous quels terribles auspices sommes-nous menés et par quelles convoitises, nous qui sommes devenus pauvres au moment...

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