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Nos Lecteurs ont la Parole

Les pays meurent aussi

« Dulce et decorum est pro patria mori », avait coutume de dire le poète Quintus Horace pour mettre en exergue combien il était beau et doux pour le Romain de mourir pour sa patrie ; une phrase prononcée en un temps où Rome régnait sur l’univers et accordait à ses citoyens des privilèges sans fin. Oui, il était sûrement beau et doux de mourir pour Rome comme il est toujours normal de défendre sa patrie et de mourir pour elle. Cependant, participer activement à la déchéance et à la destruction de son pays ou assister impuissant à son agonie sont choses beaucoup plus rares… car les pays meurent aussi, sans sépultures. Ils disparaissent à cause de la lâcheté ou de l’avidité de leurs habitants, comme jadis ils sont nés de leurs combats et de leurs sacrifices.

Aujourd’hui, le Liban se meurt ; il se meurt doucement et dans l’indifférence des nations, chose qui étrangement vexe les Libanais plus que l’agonie même de leur pays, car cet abandon international vient leur rappeler qu’ils ne comptent plus pour beaucoup sur l’échiquier mondial et que le phénix libanais renaisse ou non de ses cendres est devenu, dans l’ordre des choses et surtout des réalités, le cadet des soucis des décideurs dans ce monde. Pour la première fois depuis ce jour de septembre 1920 lorsque, de sa seule main valide, le général Gouraud a tracé les limites du Grand Liban, les Libanais se sentent abandonnés faute de pays corvéables prêts à accomplir à leur place les sacrifices qui leur reviennent, et cette situation est vécue par les Libanais encore plus mal que l’état comateux dans lequel se trouve leur pays, car elle leur rappelle qu’ils ont envers leur patrie des responsabilités que durant toute leur histoire ils n’ont eu de cesse de déléguer aux autres. Macron est venu à Beyrouth sans ses parachutistes, Trump n’a pas envoyé ses marines et le pape n’est pas prêt de dépêcher ses gardes suisses. Plus aucun pays n’est désormais disposé à sacrifier ses soldats pour que les Libanais puissent continuer à skier en hiver, à se dorer sur les plages en été et à jouer aux jet-setters toute l’année. Le Liban d’antan, attractif et arrogant, a bel et bien cessé d’exister et cette réalité amère est en train aujourd’hui de s’imposer à une population déboussolée, plaintive et geignarde, mais qui n’est disposée à aucun sacrifice. Les riches habitants du Golfe que les Libanais plumaient et méprisaient à la fois ont trouvé d’autres horizons qui vont de la magnifique côte turque aux superbes plages de Charm el-Cheikh en passant par l’Europe et les États-Unis qui ne sont plus qu’à un coup d’aile. Et en ce qui concerne l’éducation et la santé, ils n’ont plus rien à nous envier, au contraire ce sont leurs hôpitaux et leurs universités qui sont en train de débaucher ce qui se fait de mieux au Liban en matière de professeurs et de médecins. Le port de Beyrouth n’est plus que l’ombre de ce qu’il fut jadis et les routes qui le relient à l’hinterland sont impraticables faute d’entretien et d’élargissement. Les touristes dont les Libanais espèrent vivre des mannes ne font que transiter par le Liban entre de longs séjours dans les pays limitrophes. Il ne reste aux Libanais que la francophonie, le Saint-Georges avec l’illusion de ce qu’ils furent jadis, la corniche et les subsides de la diaspora. Mais à qui la faute ? À l’intarissable avidité d’une classe dirigeante corrompue jusqu’à la moelle ou à l’inénarrable lâcheté d’un peuple prêt à tous les compromis et à toutes les solutions de rechange, mais à aucun sacrifice… Question que se sont aussi posée les habitants de Gomorrhe quand ils ont compris qu’il était trop tard.

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« Dulce et decorum est pro patria mori », avait coutume de dire le poète Quintus Horace pour mettre en exergue combien il était beau et doux pour le Romain de mourir pour sa patrie ; une phrase prononcée en un temps où Rome régnait sur l’univers et accordait à ses citoyens des privilèges sans fin. Oui, il était sûrement beau et doux de mourir pour Rome comme il...

commentaires (1)

J'ai lu ce texte le cœur serré et les larmes aux yeux. Laissez dormir en paix le Liban ?? Merci pour ce très digne thrène pour l'agonie d'une patrie tant aimée

COURBAN Antoine

14 h 46, le 26 juin 2021

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Commentaires (1)

  • J'ai lu ce texte le cœur serré et les larmes aux yeux. Laissez dormir en paix le Liban ?? Merci pour ce très digne thrène pour l'agonie d'une patrie tant aimée

    COURBAN Antoine

    14 h 46, le 26 juin 2021

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