Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, en tournée officielle auprès des responsables libanais que la communauté internationale tient pour responsables de la grave crise politico-économique dans le pays, a affirmé samedi que l'idée d'une imposition de sanctions européennes contre ces dirigeants était désormais sur la table, mais qu'aucune décision n'a encore été prise à ce sujet. Le responsable de l'UE a également appelé la classe dirigeante à assumer ses responsabilités, à l'heure où le pays reste sans gouvernement actif depuis plus de dix mois, frappé par une hyperinflation et une pauvreté galopante.
"Je suis ici au Liban en tant qu'ami et représentant d'un ami du peuple libanais, l'Union européenne. Et les vrais amis se disent les choses sincèrement. Si le Liban est prêt à prendre ses responsabilités, l'UE fera sa part. Nous sommes disposés à apporter notre aide et soutenir le Liban", a affirmé Josep Borrell aux journalistes qui l'attendaient à la sortie après son entretien avec le président de la République Michel Aoun, au palais présidentiel de Baabda.
"Tous responsables, mais à divers degrés"
Interrogé par notre correspondante Hoda Chedid sur de possibles sanctions européennes contre certains responsables libanais, M. Borrell a souligné : "Les sanctions ne font pas une politique, et il n'est pas dans l'intérêt de nos relations de les appliquer. Mais la question a été posée et on en discute. Cette visite fait partie de l'effort pour voir de quelle façon nous pouvons aller de l'avant. Les sanctions sont sur la table. On en discute, mais rien n'est décidé. Et j'aimerais qu'il ne faille pas en décider". "Je suis un ami et pas un procureur. Je ne suis pas venu pour mettre quelqu'un en accusation. Je suis venu pour mieux comprendre et parler avec les acteurs afin de savoir quelles sont les difficultés. La procédure des sanctions est une procédure longue qui a besoin d'être bien renseignée pour savoir qui fait quoi et qui ne fait pas quoi", a ajouté le ministre européen, en réponse à une question posée par une autre journaliste.
"Lorsqu'une crise politique empêche la formation d'un gouvernement pendant neuf mois (plus de dix actuellement, NDLR), il faut la mettre au compte des responsables politiques locaux. C'est la classe politique libanaise dans son ensemble qui en est responsable. Tout le monde, mais à divers degrés", a-t-il également souligné.
Le Liban est sans gouvernement actif depuis août 2020, après la démission du cabinet de Hassane Diab intervenue dans la foulée de la double explosion dans le port de Beyrouth. Saad Hariri avait été désigné en octobre et il est depuis empêtré dans un imbroglio politico-personnel avec le chef de l'État et son camp politique, dirigé par son gendre, Gebran Bassil. Cette semaine, le président de la Chambre Nabih Berry, a ouvertement pris position en faveur de Saad Hariri, ce qui a provoqué une nouvelle vague de tensions entre les différentes parties. La mise sur pied d'un cabinet est pourtant cruciale pour mettre en œuvre des réformes, condition sine qua non à des aides internationales qui permettrait d'aider le Liban à se sortir de la crise.
Un million d'euros par jour
Selon une note diplomatique consultée par l'agence Reuters, les critères envisagés par l'Union européenne pour imposer des sanctions aux responsables libanais sont la corruption, l'obstruction politique ou le blocage de la formation du gouvernement, la mauvaise gestion financière et les violations des droits de l'homme. Des discussions techniques sur ces sanctions ont lieu à l'UE depuis le mois de mai, suite à une demande de Paris qui avait réclamé que des "pressions" soient exercées sur la classe politique libanaise qui se déchire depuis des mois sur la formation du gouvernement alors que le pays subit une crise financière et socio-économique aiguë. Cette crise est marquée par une paupérisation des habitants du Liban, une hyperinflation, des pénuries chroniques de produits de première nécessité, comme le carburant et les médicaments et des menaces de black-out total de l'électricité.
"L'UE a fourni presque un million d'euros par jour d'aide au Liban l'année dernière. Mais on ne peut pas déclencher une aide budgétaire s'il n'y a pas d'accord avec le Fonds monétaire international. Et l'actuel cabinet ne peut pas s'engager dans un accord avec le FMI, mais il peut préparer le travail pour que le nouveau cabinet puisse le signer", a rappelé Josep Borrell. "Seul un accord urgent avec le FMI sauvera le pays de l'effondrement financier (...) et il n'y a pas de temps à perdre", a-t-il plaidé.
"Les élections (présidentielle, législatives et municipales, NDLR) prévues en 2022 doivent se tenir dans les délais prévus. Il faut que les élections aient lieu à la date prévue (...)", a en outre insisté le responsable européen. Il a enfin appelé les autorités libanaises à mener l'enquête sur l'explosion meurtrière et dévastatrice au port de Beyrouth en août dernier. "Cette enquête doit produire des résultats. Un an plus tard, on est toujours dans l'attente de ces résultats" a-t-il regretté.
Sur Twitter, Josep Borrell a publié des photos de son entretien à Baabda avec le président Aoun. "J’ai passé un message de solidarité de l’UE envers la population libanaise, mais aussi pour exiger que la classe politique prenne ses responsabilités", a-t-il également écrit.
Pour sa part, la présidence libanaise a indiqué sur Twitter que le chef de l'État a évoqué avec M. Borrell "les conditions difficiles que traverse le Liban et le rôle de l'UE pour l'aider à surmonter la crise". Cité par le palais de Baabda, Josep Borrell a estimé que "la crise à laquelle fait face le Liban est locale et interne, et ses conséquences sur la population sont grandes. Les dirigeants doivent assumer leurs responsabilités et un gouvernement doit être formé afin d'appliquer les réformes essentielles sans retard". "Nous ne pouvons apporter d'aides sans que le Liban mette en place des réformes. Mais nous avons les ressources nécessaires pour une telle aide", a ajouté le chef de la diplomatie de l'UE, toujours selon Baabda. Le président Aoun a également demandé à M. Borrell que l'UE "poursuive son aide" au Liban et que celle-ci ne se limite pas à l'aspect humanitaire, mais qu'elle soit également destinée au "développement".
Selon des informations de notre correspondante Hoda Chedid, la tournée de M. Borrell au Liban vise à "dresser un rapport sur les raisons et les propositions de solutions à la crise dans le pays, afin d'envoyer ce rapport à Bruxelles". Des sources proches du dossier lui ont enfin affirmé que M. Borrell "n'a pas évoqué la question des sanctions lors de son entretien avec le président de la République".
Josep Borrell s'est également entretenu à Aïn el-Tiné avec le président du Parlement Nabih Berry, mais a quitté les lieux sans faire de déclarations. Le chef du Législatif a pour sa part affirmé à son interlocuteur que la crise gouvernementale est "purement libanaise".
Le responsable européen a également eu un échange à la Maison du Centre avec le Premier ministre désigné, Saad Hariri. Il n'a toutefois fait aucune déclaration à l'issue de cet entretien.
Le chef de la diplomatie européenne a aussi été reçu au Grand Sérail par le Premier ministre sortant Hassane Diab. "L'UE est prête à aider, mais un programme du FMI doit être mis en place. Voilà ce que l'on attend du leadership" libanais, a écrit sur Twitter M. Borrell, après cet entretien. Selon les sources de la présidence du Conseil, la réunion a été qualifiée de "positive".
Le diplomate européen a également eu un tête à tête avec la ministre par intérim des Affaires étrangères, Zeina Acar, et le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun.
M. Borrell doit enfin aller à la rencontre de plusieurs ONG et acteurs de la société civile libanaise qu'il a qualifié samedi de "vibrante".
Rapport à Bruxelles
En rentrant à Bruxelles, Josep Borrell doit donc remettre son rapport aux ministres européens des Affaires étrangères. Les sanctions ne font pas toutefois l'unanimité entre les 27 États-membres. Si la France et l'Allemagne se sont prononcées en faveur de ces dispositions, la Hongrie s'y oppose. Un responsable européen a confié à Reuters que la France souhaite que soit sanctionné Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre (CPL, aouniste), déjà sous le coup de sanctions américaines.
Le 10 mai dernier, M. Borrell avait annoncé au cours d’une conférence de presse que l’UE préparait "des sanctions individuelles" contre les dirigeants politiques jugés responsables du blocage. Et le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian, en visite à Beyrouth le 6 mai, avait au préalable informé ses interlocuteurs politiques que les débats se poursuivaient à Bruxelles autour d’un mécanisme européen de sanctions contre ceux qui bloquent le processus politique au Liban, alors que des mesures françaises avaient été prises contre ces mêmes personnes. Paris n'a pas toutefois publié la liste des noms des personnes soumises à ces sanctions.
commentaires (14)
Sur la photo , Borrell avec juste un sourire diplomatique de circonstance, et Aoun a l’air fatigué, dépité et ahuri, qui donne l’impression d’attendre avec impatience la fin de la visite de son hôte pour aller se coucher.
Le Point du Jour.
13 h 32, le 21 juin 2021