Selon la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale (Escwa), 50 % de la population libanaise vit désormais sous le seuil de pauvreté. Et pourtant, les images de restaurants, boîtes de nuit et autres lieux de divertissement bondés sont monnaie courante. Peut-on expliquer cette contradiction par une baisse de l’épargne ?
Il est difficile d’imaginer que, face à l’appauvrissement généralisé de la population libanaise et alors que la livre libanaise a perdu plus de 87 % de sa valeur face au dollar en un an, les Libanais sont en train de sacrifier de l’épargne pour aller dîner ou boire. Il est plus probable que les personnes qui peuvent encore se permettre le luxe d’aller en soirée ou dans un restaurant soient plutôt des dollarisés. Il peut s’agir d’expatriés, de Libanais ayant des parents vivant à l’étranger, ou encore de résidents qui disposent d’un revenu ou d’une forme d’épargne en dollars frais. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le Liban est un petit pays ayant un marché limité, et que la crise a fait grimper des échelons socio-économiques aux individus dollarisés.
Quoi qu’il en soit, l’épargne moyenne d’un individu résidant au Liban a sûrement fortement baissé. En effet, les théories de la consommation admettent que le revenu et le taux moyen d’épargne sont positivement corrélés. En d’autres termes, les riches épargnent plus que les pauvres. Or, la population étant durement appauvrie, les taux d’épargne ont fortement baissé. Cependant, les revenus disponibles ont été canalisés vers un autre type de consommation.
Vers quel type de consommation les gens se tournent-ils dès lors ?
Ce qui caractérise la crise libanaise, c’est la forte dévaluation de la livre qui engendre un taux d’inflation extrêmement élevé (+157,86 % en avril 2021 en glissement annuel, NDLR). Or, les consommateurs basent leurs décisions sur leurs attentes. Dans le contexte actuel, les gens s’attendent à ce que les prix continuent d’augmenter avec le temps. L’on observe dès lors une volonté de stocker le plus possible de biens non durables, mais non périssables, comme les détergents, les boîtes de conserves, ou tout autre produit ayant une durée de vie relativement élevée.
Dans ce contexte, les biens subventionnés par la Banque du Liban suscitent un grand intérêt, puisque les consommateurs sont conscients qu’une fois les subventions levées, les prix de ces produits vont énormément augmenter.
Cela explique en partie que l’on voit aujourd’hui des pénuries et des rayons vides dans les supermarchés. Au final, la consommation augmente et avec elle l’importation, ce qui engendre une fragilisation accrue de la livre libanaise face au billet vert et augmente donc encore plus les prix des biens de consommation et, en conséquence, les comportements de stockage. Dans les faits, nous sommes pratiquement enfermés dans un cercle vicieux.
Si la situation actuelle continue ainsi, quel sera l’effet à long terme de ce cercle vicieux ?
D’abord, il faut s’attendre à une hausse des prix de ces biens sans lien direct avec la dévaluation de la livre libanaise. Il s’agit des mécanismes traditionnels d’offre et de demande qui font que lorsque l’offre pour un bien est limitée mais que la demande est importante, les prix augmentent.
De plus, si la crise s’amplifie et que la livre continue sa dévaluation face au dollar, la course aux biens non périssables pourrait s’amplifier, et même devenir le cœur d’un système de troc. Les gens commenceraient dès lors à échanger leurs conserves contre du détergent par exemple. Il est d’ailleurs possible que ce genre de troc existe déjà...
commentaires (2)
Très bonne explication, mais fallait poser encore plus de questions et surtout aller dans le fond du problème !! Que cela soit du point de vue social ou économique, car les dollarises on veut svp en apprendre d’avantage sur cette petite niche
Bery tus
14 h 45, le 14 juin 2021