Évoquée depuis mars et initialement annoncée pour lundi, la nouvelle circulaire de la Banque du Liban (BDL) autorisant les déposants des banques libanaises à effectuer des retraits mensuels, en dollars frais et en livres libanaises, à partir de leurs comptes en « dollars libanais » ou « lollars », a finalement été publiée aujourd'hui.
Ces deux dernières expressions, popularisées au cours de la crise qui frappe le pays depuis près de deux ans, désignent les dollars enregistrés dans les banques avant que ces dernières ne commencent à restreindre de façon illégale l’accès des déposants à leurs comptes, vers fin 2019. Les établissements bancaires empêchent encore aujourd’hui les titulaires de comptes en « lollars » de décaisser leurs fonds tels quels ou de les transférer à l’étranger – contrairement aux « dollars frais », dont la BDL a garanti la pleine disponibilité via la circulaire n° 150 d’avril 2020. C’est également à cette période que la BDL a autorisé, via la circulaire n° 151, ces déposants à décaisser les fonds bloqués en livres à un taux de 3 900 livres pour un dollar. Un taux supérieur à la parité officielle de 1 507,5 livres, mais inférieur au taux du marché parallèle qui a dépassé la barre des 14 000 livres aujourd'hui pour la première fois depuis mars dernier.
La nouvelle circulaire principale, portant le n° 158 et devant entrer en vigueur le 30 juin, se présente donc comme une alternative à la n° 151. Ce texte a une période de validité d’un an, et peut être renouvelé si la BDL l’estime nécessaire. Une fois l’option acceptée par le client, l’exécution de son mécanisme pourra cependant s’étendre sur une période plus longue – qui pourra s’étendre jusqu’à 5 ans, selon nos calculs confirmés par une source bancaire.Cette mesure concerne uniquement les comptes en dollars qui ont été ouverts avant le 31 octobre 2019 et qui étaient encore en vigueur.
Dans son communiqué de vendredi, la BDL a indiqué que les montants totaux des comptes de « 800 000 clients » seront soldés dès la première année, soit « 70 % » des comptes des déposants. La BDL avait indiqué à L’Orient-Le Jour la semaine passée que le nombre des comptes en « dollars libanais » était supérieur à un million. Son but est de réactiver la « confiance » vis-à-vis du secteur bancaire, selon des déclarations faites par le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, à la télévision saoudienne il y a deux semaines.
Comment ça marche
Concrètement, le texte obligera les banques à décaisser ou transférer pour le compte des particuliers, uniquement, qui en font la demande, 400 dollars « frais » par mois, ainsi que leur équivalant en livres au taux de la plateforme de change Sayrafa (soit fixé la semaine dernière à plus de 12 000 livres pour un dollar pour les clients des banques). Ces montants ne pourront pas dépasser un total de 50 000 dollars (incluant des livres au taux de Sayrafa et des « vrais » dollars). Les 400 « vrais » dollars seront soit donnés en espèces, soit transférés à l’étranger, soit serviront à provisionner des cartes de paiement utilisables au Liban comme à l’étranger, soit encore être virés sur des comptes en « dollars frais ». Seule la moitié des 400 dollars convertis en livres au taux de la plateforme Sayrafa sera donnée au client en espèces, tandis que l’autre moitié ne sera disponible que via une carte bancaire.
Les montants fixés (mensuel et plafond total) sont applicables pour l’ensemble des comptes en « lollars » d’un déposant au sein d’une même banque. Le client sera toutefois libre de s’entendre avec sa banque pour décider quels comptes seront assujettis à ce dispositif. Si la circulaire est muette à ce sujet, une source bancaire assure qu’un même client pourra activer ce mécanisme dans chaque banque dans laquelle il possède au moins un compte en « lollars ». Les bénéficiaires ne pourront cependant plus profiter du retrait des « dollars libanais » à 3 900 livres conformément aux disposition de la circulaire n° 151, une renonciation qui serait considérée comme définitive par les banques selon la source interrogée, alors que la circulaire explicite clairement le caractère provisoire de la renonciation. Les banques considèrent en outre que le plafond total de 50 000 dollars s’applique à tous les comptes au Liban.Une fois ouvert, le mécanisme de la circulaire n° 158 s’appliquera jusqu’à ce que le déposant retire tous les « lollars » de son ou ses comptes – ou à hauteur de 50 000 dollars si les montants cumulés sont supérieurs à ce seuil.
Ouverture d’un sous-compte spécial
C’est la banque qui doit prévenir les clients éligibles à ce mécanisme. S’il souhaite en profiter, le déposant devra demander à sa banque de lui ouvrir un « sous-compte spécial » dans lequel l’établissement bancaire transférera soit une partie, soit l’ensemble des fonds en lollars (qu’il s’agisse de dollars ou d’autres devises bloquées par les restrictions) qu’il possède, avec toujours la limite de 50 000 dollars pour le total. Les comptes joints sont également inclus dans la liste de ceux pouvant être retenus. Les banques ne pourront refuser, sous peine de sanctions, d’exécuter cette procédure si le client en formule la demande, a prévenu la BDL.Le solde pris en compte sera celui en date du 31 mars 2021, sauf s’il est supérieur à celui au 31 octobre 2019, auquel cas c’est ce dernier qui sera pris en compte.
Plus en détails, le solde total est calculé en additionnant ceux des différents comptes que possède le client, y compris les comptes joints, et en retranchant les montants qui ont été convertis en livres depuis le 31 octobre 2019 ; ceux des comptes bloqués servant de garanties en espèces à des prêts ; ainsi que le montant des prêts en devises que la banque a octroyés au client et qu’une partie des clients peuvent rembourser en livres au taux officiel depuis août 2020 (circulaire intermédiaire n° 568). Le sous-compte ne pourra pas être alimenté après le transfert de la part de la banque et ne sera pas rémunéré (le client ne percevra aucun intérêt). Le client recevra les montants mensuellement.Autre précision, le déposant bénéficiaire pourra laisser les montants de retraits mensuels, qui sont autorisés par la BDL via la circulaire, s’accumuler sur son compte et les retirer « quand il en a envie », dans une limite annuelle dans chacune des monnaies de 4 800 dollars (12 fois 400 dollars). La circulaire leur permet d’utiliser ces montants pour provisionner des chèques ou de les transférer dans un autre compte au Liban – même au sein du même établissement. La BDL prévient néanmoins qu’une telle décision de la part du client éteindra sa capacité à bénéficier du mécanisme passé ce point – sans en préciser les raisons.
Exclusions et centrale de contrôle
Sont exclus de cette circulaire les clients des banques et les importateurs qui ont transféré plus de 500 000 dollars à l’étranger entre le 1er juillet 2017 et le 17 août 2020, mais qui n’ont pas rapatrié 15 % de ce montant comme demandé par la circulaire n° 154 d’août 2020. Cela s’applique également aux membres des conseils d’administration des banques, aux grands actionnaires ou aux personnes politiquement exposées qui n’ont pas rapatrié 30 % des transferts. Ces montants devaient être bloqués pendant 5 ans sans que la BDL indique le taux d’intérêt octroyé. Toutefois, 30 % de 500 000 dollars équivaut à 150 000 dollars, soit trois fois le montant maximal dont un client peut bénéficier selon la circulaire publiée aujourd'hui. Cette somme passe à 75 000 dollars s’il faut rapatrier 15 %. Ainsi, le moyen de pression pour inciter les agents économiques à rapatrier leur argent semble faible.
Une centrale spécialisée dans « les sous-comptes spéciaux » sera créée au sein de la BDL et se chargera de fournir à chaque sous-compte spécial un numéro unique pour tout propriétaire de compte. Les banques devront alors informer cette centrale de toute ouverture de compte, du solde et des retraits mensuels qui ont lieu. Cette centrale s’assurera de la bonne application de la circulaire, tout en rapportant toute infraction au gouverneur de la BDL.
Elle vérifiera également les plafonds de retraits et informera le gouverneur du nom des bénéficiaires, pour qu’ils ne puissent plus bénéficier de la circulaire n° 151. C’est la raison pour laquelle le client devra accepter la levée du secret bancaire sur ce sous-compte spécial – le secret bancaire s’appliquant toujours sur les autres comptes – uniquement vis-à-vis de la BDL et de la Commission de contrôle des banques (CCB). Ce n’est pas la première fois que la BDL indique qu’un client devra renoncer au secret bancaire instauré par une loi de 1956. Ce fut en effet le cas pour les clients souhaitant bénéficier de la plateforme de change Sayrafa, à travers la circulaire n° 157, vis-à-vis également de la BDL et de la CCB.
Provenance des liquidités
La circulaire de la BDL fournit également des indications concernant la provenance des liquidités qui devront servir à financer le mécanisme, un des principaux, si ce n’est le principal point de divergence entre elle et les banques du pays. Comme cela avait été indiqué dans le communiqué de la banque centrale publié vendredi, les montants payés aux clients seront puisés dans les comptes ouverts par les établissements libanais auprès de leurs banques correspondantes à l’étranger et à partir de leurs réserves obligatoires déposées à la BDL – sans que les proportions ne soient explicitées.
Pour rendre cette solution acceptable, la BDL s’engage à réduire le ratio des réserves obligatoires en devises imposées aux banques du pays – qui passerait de 15 à 14 % – selon son communiqué de vendredi. Cette question n’est toutefois pas tranchée dans la circulaire (les banques misent, elles, sur une répartition égale entre les deux sources). Elle autorise également les banques à puiser dans les liquidités qu’elles ont placées à fin février auprès de leurs banques correspondantes, un montant équivalant à 3 % de leurs dépôts en devises à fin juillet 2020, via la circulaire n° 154 publiée fin août de la même année. Une possibilité soumise à une condition : reconstituer les liquidités utilisées au plus tard au 31 décembre 2022. La BDL a enfin averti les banques qu’elles ne pouvaient absolument pas utiliser l’argent placé dans les comptes en « dollars frais » ni l’argent qui a été rapatrié dans le cadre de la circulaire n° 154.
En juillet 2020, les banques libanaises possédaient 143,3 milliards de dollars de dépôts, dont 114,9 milliards de dollars en devises, ce qui veut dire qu’elles doivent avoir déposé 3,45 milliards de dollars au total auprès de leurs banques correspondantes. Le Premier ministre sortant, Hassane Diab, avait annoncé en mars à la presse étrangère que le montant des réserves obligatoires s’élevait à 15 milliards de dollars. Cette baisse de ratio porte donc les réserves obligatoires à 14 milliards de dollars.
La BDL met en garde les banques contre une utilisation contraire aux dispositions de la circulaire des montants qu’elle leur transférera mensuellement pour financer le dispositif. C’est la CCB qui aura la charge de vérifier que les établissements du pays appliquent les règles imposées et de faire remonter toutes les infractions constatées, directement à Riad Salamé et à la présidente de la CCB, Maya Dabbagh. La commission suivra aussi toute plainte de la part d’un déposant s’il accepte de lever le secret bancaire envers la BDL et la CCB.
Réaction de l’ABL
Si la BDL semble avoir pris le temps de détailler son mécanisme, la principale inconnue reste la volonté des banques du pays à y souscrire. L’Association des banques au Liban (ABL) avait pris les devants en envoyant jeudi un courrier à la BDL, dans lequel elle statuait sur « l’incapacité » du secteur bancaire à fournir « n’importe quel montant en espèces en devises ». Dans cette missive, l’association conditionnait l’octroi de devises à l’abaissement du ratio des réserves obligatoires. Ce que la BDL a promis vendredi et a effectué aujourd'hui.
Vendredi soir, l’ABL avait nuancé sa position en mettant en avant sa volonté de coopérer dans l’optique de servir « l’intérêt général ».Une source bancaire interrogée par L’Orient-Le Jour a toutefois qualifié cette réponse de « très floue », indiquant que l’ABL pourrait tout aussi bien jouer sur l’expression « intérêt général » afin de ne pas appliquer cette mesure, étant donné le risque élevé de dépréciation de la livre en conséquence. L’ABL a d’ailleurs convoqué une réunion ce soir pour évoquer les enjeux de la mise en œuvre de la circulaire.Ironie de l’histoire, la BDL a également invoqué l’intérêt général dans l’introduction de sa circulaire pour justifier sa publication. En contraignant les déposants à choisir entre le mécanisme de la circulaire n° 151 et celui de la n° 158, ainsi qu’en leur imposant de provisionner une partie des montants en livres sur une carte de paiement, la banque centrale semble chercher à limiter autant que possible la possibilité qu’une partie des montant perçus dans la monnaie du pays via le nouveau mécanisme ne se retrouve sur le marché parallèle. Il reste que permettre aux clients des banques du pays de retirer 200 dollars en livres en espèces au taux de Sayrafa revient pour la BDL à gonfler encore plus la masse monétaire dans la monnaie nationale, ce qui pourra négativement impacter son taux tout en poussant l’inflation à la hausse.
commentaires (12)
Il vaudrait mieux pour nous déposants , que toutes les banques soient déclarées en faillite afin d'être obligées de redistribuer illico presto les fonds qui leur restent , et proportionnellement , entre tous les déposant , sans rien attendre de plus . L'opération serait plus simple , plus nette et plus équitable . Fermons ces banques !
Chucri Abboud
18 h 31, le 09 juin 2021