Alors que le pays se débat dans la crise politique qui empêche la formation d’un gouvernement, l’ancien ambassadeur du Liban à l’ONU et juge à la Cour internationale de justice (CIJ), Nawaf Salam, a estimé que seul un gouvernement formé de personnalités indépendantes de la classe politique, doté d’un programme clair et capable d’engager des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI), pouvait sortir le Liban de la crise. Dans une interview lundi soir avec la chaîne LBCI dans le cadre du programme Vision2030 d’Albert Kostanian, M. Salam s’est dit convaincu que le pays pouvait regagner la confiance de la communauté internationale, à condition de mener une réforme structurelle du politique, économique et judiciaire.
« Le problème n’est pas la nomination d’un Premier ministre, ce qu’il faut, c’est un changement structurel du système – si un gouvernement n’a pas de vision claire et de programme, cela ne sert à rien », a affirmé M. Salam, alors que Saad Hariri a jusqu'à présent échoué à former un gouvernement en raison des demandes contradictoires des parties politiques.
L'ancien diplomate a appelé à former un gouvernement de personnalités « indépendantes de la classe politique actuelle qui nous a menés à la crise, qui puisse procéder à une répartition équitable des pertes et mener des négociations avec le Fonds monétaire international ». « Le modèle économique libanais agonise, on peut dire qu’il est fini », a-t-il ajouté, estimant qu’il fallait imaginer « un nouveau modèle productif, qui puisse assurer un filet de sécurité sociale et une justice sociale », et pourrait lancer « une économie verte ».
« Nous avons une occasion aujourd’hui de fonder un nouveau modèle capable d’attirer les investissements », a encore ajouté Nawaf Salam. « Le pays a un fort potentiel et j’y crois. Nous avons traversé des circonstances difficiles pendant la guerre civile et nous nous en sommes sortis. L’important est d’avoir une vision et de la volonté », a-t-il ajouté, prenant l’exemple de la réussite économique spectaculaire de Singapour, pays multiethnique qui était considéré comme un pays pauvre au moment de son indépendance.
« Je ne suis pas le candidat des Etats-Unis »
Le nom de M. Salam a été avancé à deux reprises par des blocs parlementaires au cours des consultations pour la nomination d’un chef de gouvernement, en décembre 2019 et en août 2020. Une pétition réclamant sa nomination à la tête du gouvernement avait également recueilli des milliers de signatures. Selon certaines informations, le Hezbollah aurait signifié son opposition à la nomination de cet ancien professeur et avocat, le considérant proche des Etats-Unis.
Interrogé à ce sujet au cours de l’interview, M. Salam a indiqué ne pas avoir été informé d’un tel veto, mais assuré qu’il n’était « pas le candidat des Etats-Unis ». Il a rappelé que les Etats-Unis, avec la Grande-Bretagne, étaient « le fer de lance de l’opposition » à sa nomination à la CIJ, et rappelé l’engagement du Liban pour la cause palestinienne lorsqu’il était ambassadeur à l’ONU.
A la question de savoir s’il était possible de régler la crise du Liban dans le contexte des tensions régionales, il a estimé que le Liban pâtit de ces crises « en raison de sa faiblesse structurelle » et qu’il était nécessaire de consolider l’édifice intérieur afin de le rendre moins vulnérable aux tensions régionales. « Il faut mettre le Liban à l’abri des crises régionales en adhérant à la politique de distanciation, avoir une politique étrangère qui reste à l’écart des axes régionaux ou internationaux », a-t-il dit. « Mais nous ne pouvons évidemment pas adopter une politique de neutralité vis-à-vis d’Israël, qui reste tributaire de nos engagements et constantes arabes ».
Il a souligné que le Hezbollah « est une importante force politique libanaise, mais nous ne pouvons pas bâtir un Etat si tout le monde n’est pas soumis à la loi ». La question des armes du Hezbollah doit être débattue dans le cadre de la stratégie de défense, a-t-il ajouté : « elles doivent être au service de l’Etat » et leur sort discuté dans le cadre d’un dialogue national, qui préconiserait par exemple l’intégration des forces du Hezbollah dans le cadre d’une formation paramilitaire comme des « Ansars » (partisans) de l’armée.
Une réforme en profondeur
Plus globalement, M. Salam a développé la nécessité d’une réforme en profondeur du système libanais, exposée dans son dernier ouvrage, « Le Liban d’hier à demain », qui prône l’édification d’un État « capable de transcender les communautés ». « L’accord de Taëf a mis fin à la guerre et a procédé à une nouvelle répartition du pouvoir entre les communautés, mais certaines de ses clauses n’ont pas été appliquées ou l’ont été de façon incomplète », a-t-il expliqué, rappelant par exemple qu’il prévoit l’abolition du confessionnalisme politique, une décentralisation poussée ou l’instauration d’un Sénat qui représenterait les communautés religieuses. « Aujourd’hui, il ne faut pas débattre à nouveau de la répartition du pouvoir entre les communautés, mais faire primer la logique des institutions », a-t-il dit.
L'ancien diplomate a également appelé à renforcer « l’indépendance de la justice, garder la justice à l’abri des interférences politiques et réformer le système judiciaire ». Estimant que le changement au Liban peut venir par les urnes, il a prôné l’abaissement du droit de vote à 18 ans et un système pour accroître la participation des femmes sur les listes de candidats.
commentaires (19)
Le Hezbollah ne donnera jamais ses armes car il veut prendre le pouvoir alors la c'est la fin du Liban mais une province de l'Iran
Eleni Caridopoulou
20 h 35, le 09 juin 2021